Performance artistique de premier ordre, The revenant déçoit par son contenu. La maîtrise technique est certes indéniable mais elle ne sert que trop rarement la narration. La proposition filmique se voit ainsi cantonnée aux aspects techniques au détriment d’un contenu étiré à outrance et manquant cruellement d’âme.
Dans une Amérique profondément sauvage, Hugh Glass, un trappeur, est attaqué par un ours et grièvement blessé. Abandonné par ses équipiers, il est laissé pour mort. Mais Glass refuse de mourir. Seul, armé de sa volonté et porté par l’amour qu’il voue à sa femme et à leur fils, Glass entreprend un voyage de plus de 300 km dans un environnement hostile, sur la piste de l’homme qui l’a trahi. Sa soif de vengeance va se transformer en une lutte héroïque pour braver tous les obstacles, revenir chez lui et trouver la rédemption.
Une mise en scène magistrale…
Dès les premières images, The revenant marque nos esprits par la qualité de la lumière qui baignera chaque scène du film. Cette lumière voulue naturelle par Emmanuel Lubezki, directeur de la photographie, a grandement complexifié et allongé (9 mois) le tournage réalisé dans des conditions hivernales. La genèse du film s’articule autour de cette prise de risques peu commune dans le cinéma moderne.
Une lumière donc naturelle éclairant des décors grandioses et tout aussi naturels. Les paysages, sublimes, filmés avec des optiques grand-angle sont parfaitement captés par la caméra d’Alejandro González Iñárritu. Les prises de vues se succèdent et un western crépusculaire prend forme magnifié par la photographie exceptionnelle et virtuose précitée. Capter la lumière et composer des cadres précis font partie des ingrédients qui peuvent mener à la réalisation d’un chef-d’œuvre du 7ème art.
Pour donner corps au récit, la mise en scène est également essentielle car elle donne du relief au fil narratif et accompagne les acteurs dans leur interprétation. Celle proposée par le réalisateur est d’une fluidité remarquable. Une dimension chorégraphique s’empare de certains plans-séquences, notamment celui de l’attaque des indiens dans laquelle la mort peut surgir de nulle part (hors champ). D’autres scènes impressionnent par leur « réalisme », nous pensons ici, entre autres, à l’attaque de l’ours.
Comble d’excellence, cette mise en image virtuose réussit à reléguer au second plan l’aspect performance technique. L’ostentation de la réalisation technique de Birdman, précédent long-métrage du réalisateur, ne peut être apposée à The revenant.
D’un point de vue esthétique, nous avons affaire à un film exceptionnel. Et The revenant demeure excellent dans sa mise en scène bien que celle-ci soit impersonnelle.
… mais impersonnelle…
Fort d’une maîtrise technique qui n’est plus à prouver, Alejandro González Iñárritu a cherché son inspiration parmi ses plus illustres prédécesseurs.
Ainsi, les références au cinéma d’Andreï Tarkovski sont multiples notamment sur la gestion des quatre éléments naturels que sont l’eau, l’air, la terre et le feu. Tel ce plan aérien sur le fleuve dans lequel nous voyons une référence à la séquence d’ouverture d’Andreï Roublev. Bien que l’action se passe dans un temps encore plus reculé (XVème siècle), le plan du cinéaste russe n’est pas anachronique car il est longuement introduit et incarné (nous volons avec le personnage). La magie du plan-séquence opère à chaque visionnage, là où chez le cinéaste mexicain c’est la stupéfaction qui l’emporte car son plan, affiché sans contexte propre, surgit de nulle part et, en conséquence, frappe avant tout par son anachronisme.
Du film Andreï Roublev nous reconnaissons d’autres emprunts, telle que la récurrence du visage christique de Leonardo DiCaprio, mais aussi cette église en ruine où apparaissent des icones religieuses peintes. De nombreux positionnements de caméra sont inspirés de ceux observés dans L’enfance d’Ivan alors que la scène de lévitation corporelle prend pour modèle celle de Le miroir. The revenant est assurément le film le plus Tarkovskien de son auteur.
La façon de filmer la verticalité des arbres en contre plongée nous rappelle celle de Sergeï Parajanov dans Les chevaux de feu. Plans tout en verticalité dont le cinéaste mexicain use et abuse en guise d’inserts entre ses plans séquences marquant ainsi une certaine redondance dans sa mise en scène doublée de quelques effets poseurs.
Enfin, comment ne pas citer le long métrage Requiem pour un massacre d’Elem Klimov ? Opportunément, Alejandro González Iñárritu a été y puiser les techniques de prises de vues immersives, notamment par l’usage généralisé d’optiques grand-angle. Si la source d’inspiration est excellente, les résultats obtenus à l’écran sont éloignés du modèle. Plus de trente ans après sa réalisation, à nos yeux, le dernier long métrage du cinéaste russe reste la référence absolue dans la catégorie film immersif en milieu hostile. Il est intéressant de noter au passage que le réalisateur mexicain a soigneusement joué sur la ressemblance physique entre son troisième rôle, Will Poulter, et Aleksei Kravchenko, protagoniste central de Requiem pour un massacre.
Enveloppée dans une photographie trop belle et trop lisse, l’immersion proposée dans The revenant ne fonctionne pas pleinement. La beauté visuelle du film que nous avons tant loué en début d’article se révèle contre productive face à l’aspect sauvage et immersif voulu par le réalisateur. Nous constatons que, malgré la maîtrise technique sans faille et la réalisation soignée, la mise en scène et les plans séquences ne servent que trop rarement le récit. Si l’empreinte technique du réalisateur est très visible, parfois même ostentatoire, son empreinte sur la narration est absente.
… au service d’un récit manquant de profondeur
Sur un peu plus de 2 heures et demi, The revenant propose une adaptation à l’écran du roman éponyme de Michael Punke. Si la première partie du film (jusqu’à l’attaque de l’ours) est très convaincante et bien rythmée, nous ne pouvons malheureusement pas adopter les mêmes adjectifs pour le suite du film.
Sans réellement nous ennuyer, la deuxième partie du long métrage traîne un peu en longueur. Ce sentiment est dû à l’étirement parfois forcé de certaines scènes mais également à l’aspect spirituel que le réalisateur a voulu donné à son film sans en maîtriser les composants. Là encore, malgré toute sa maîtrise technique, Alejandro González Iñárritu est loin de son modèle Andreï Tarkovski. A la fois plus près de nous et du genre filmique considéré, Jim Jarmusch dans Dead man avait réussi là où le réalisateur mexicain ne fait qu’affleurer la spiritualité, qui, nous le reconnaissons, est l’un des registres les plus difficiles à filmer.
Au fil des évènements, Glass (incarné par Leonardo DiCaprio) passe du statut de survivant à celui d’indestructible, renaissance métaphorique comprise. Le film perd alors graduellement son intérêt à nos yeux. En contrepoids, le parcours initiatique sur les sentiers de la vengeance balisé par la pancarte « on est tous des sauvages » ne pèse pas lourd. The revenant vire au pur spectacle et nous perd irrémédiablement en tant que défenseurs pourtant un temps convaincus.
Dans le contenu, nous sommes désormais très loin des premiers longs-métrages (Amours chiennes, 21 grammes, Babel) du réalisateur, temps béni où il formait un brillant duo avec son scénariste Guillermo Arriaga. De film en film, la mise en scène relègue en arrière plan le récit, la forme gagne ce que le fond perd : un emballage impeccable cachant un contenu dévitalisé et sans âme. Là où Birdman proposait encore un certain fond critique servi par une virtuosité technique, The revenant n’offre que la virtuosité technique. La performance artistique est indéniable mais étrangère à la narration. Nous regrettons amèrement qu’elle ne soit nullement accompagnée par son pendant narratif.