L’autre côté de l’espoir – L’envers de l’infortune

Six ans, telle est la période qui sépare les deux derniers longs métrages réalisés par Aki Kaurismäki, Le Havre en 2011 et donc L’autre côté de l’espoir en cette année 2017. Un retour très attendu et déjà célébré à La Berlinale par l’obtention pour le cinéaste finlandais de l’Ours d’argent du meilleur réalisateur. Ce prix vient fort justement saluer la belle maîtrise technique et formelle dont fait preuve l’auteur de L’homme sans passé (2002) dans cet ultime opus digne prolongement thématique du Havre, à savoir le rapport des Européens à l’immigration clandestine.

Helsinki. Deux destins qui se croisent. Wikhström, la cinquantaine, décide de changer de vie en quittant sa femme alcoolique et son travail de représentant de commerce pour ouvrir un restaurant. Khaled est quant à lui un jeune réfugié syrien, échoué dans la capitale par accident. Il voit sa demande d’asile rejetée mais décide de rester malgré tout. Un soir, Wikhström le trouve dans la cour de son restaurant. Touché par le jeune homme, il décide de le prendre sous son aile.

De port en port, d’exil en exil

Dès la première scène (cargo), Aki Kaurismäki inscrit L’autre côté de l’espoir en prolongement de son précédent film, Le Havre. L’espoir était né en 2011 dans la ville portuaire française, l’autre côté de ce même espoir prend place dans une autre ville portuaire, Helsinki. Nous retrouvons aussi cette continuité dans les sujets et thèmes abordés : l’accueil dans l’espace communautaire européen des réfugiés africains en 2011 ou syriens et irakiens en 2017.

Deux ruptures forment les deux points d’appui sur lesquels la narration va se poser. Quinquagénaire finlandais, Wikström rompt avec sa vie conjugale et professionnelle. Le débarquement fortuit de Khaled à Helsinki entérine la rupture de ce jeune réfugié syrien avec son pays natal. Chacun fuit un passé traumatique et se lance dans la quête de l’autre côté d’un espoir défunt.

Les trajectoires respectives de nos deux protagonistes principaux, étrangères l’une de l’autre, d’abord narrées en parallèle finiront par se rejoindre. Comme dans Le Havre, L’autre côté de l’espoir fait se rencontrer un réfugié et un autochtone pas moins étranger. Autour de cette rencontre centrale, d’autres liens se noueront dont celui entre Khaled et Mazdak. Un migrant syrien croise le chemin d’un homologue irakien. Aki Kaurismäki ne peut se montrer plus explicite dans sa volonté d’ancrer son film dans l’actualité.

Comme à son habitude, le cinéaste se plait à peindre le portrait de personnages marginaux ou marginalisés : réfugiés, sans-abris, voyous, etc. Des femmes et des hommes étrangers dans la société dans laquelle ils vivent et, par effet de contagion, finalement étrangers de leur propre existence.

Mélancolie d’un présent

Six ans après Le Havre, Aki Kaurismäki s’empare à nouveau de la question de l’immigration clandestine en Europe. En Finlande, si la population semble plutôt favorable à l’accueil de migrants malgré quelques préjugés et amalgames d’une minorité (Khaled confondu avec un juif), le gouvernement s’y refuse. La rigidité de l’administration locale n’a ainsi d’égale que celle du verdict de la commission d’immigration à l’adresse de Khaled sous couvert d’une lecture orientée de la situation à Alep, la ville natale du demandeur d’asile.

Sans discourir, le réalisateur dénonce cette position gouvernementale et les mesures sécuritaires qui l’accompagnent (contrôle d’identité, mise à l’isolement). Inéluctablement politique, extrêmement lucide, L’autre côté de l’espoir n’est nullement un film à thèse car son auteur cherche à ré-enchanter cette société. Le constat fait sur le drame des migrants est certes sévère mais pas désespéré. Grâce à des citoyens de bonne volonté, l’entraide désintéressée entre et envers les migrants existe.

Cinéma social et engagé, film moral et humaniste, L’autre côté de l’espoir bénéficie de l’acuité réaliste de son auteur qui laisse libre cours à sa poésie propre teintée d’humour décalé.

Atemporalité scénique

Ce côté décalé de l’humour pratiqué par Aki Kaurismäki, nous le retrouvons dans sa mise en scène. Ainsi le cinéaste conserve sa mécanique paradoxalement atemporelle en regard du sujet éminemment contemporain traité. Par l’utilisation d’éléments vintage et désuets tels que du mobilier en formica, de vieilles voitures, des machines à écrire, des revêtements en lambris, l’esthétique semble figée dans les années 50 ou 60. Sous un éclairage digne de l’âge d’or d’Hollywood, Timo Salminen, directeur de la photographie attitré du cinéaste, excelle dans utilisation des cadres et des couleurs magnifiés par un tournage sur pellicules.

Une ambiance délicieusement surannée et statique émane de cette mise en scène minimaliste et anti-spectaculaire. L’absence de travelling et de panoramique et la rareté des mouvements de caméra renforcent cette sensation d’immobilisme. La dynamique du film se niche presque exclusivement dans celle de son montage. La partie quasi muette de poker ouvert vaut pour modèle par son remarquable découpage. Tous ces éléments participent à la restitution d’un univers inimitable où aucun élément de sur-dramatisation n’a cours.

Voir plutôt que dire

Si les mouvements de caméra sont comptés chez Aki Kaurismäki, les dialogues le sont aussi. Le cinéaste fuit la tendance commune de psychologisation des personnages. Dans ce domaine, deux scènes peuvent être citées en exemple. La partie de poker ouvert mentionnée plus haut et la scène mutique de rupture conjugale de Wikström. Une alliance posée sur une table de cuisine, un échange de regards et un verre d’alcool suffisent, tout est « dit », magistral !

Entre élans humanistes et personnages neurasthéniques, L’autre côté de l’espoir cultive de profonds contrastes de tons où se mêlent drame et comédie, cynisme et humanisme. Le tout est émaillé de touches d’humour pince-sans-rire savoureuses.

Cette narration orale parcimonieuse, l’installation patiente et méticuleuse des personnages et les pauses musicales rock aux accents finlandais entretiennent l’ambiance nostalgique du film. Le rythme ralenti ainsi imprimé au long métrage favorise la compassion ressentie envers les protagonistes, notamment lors du récit par Khaled des atrocités subies par sa famille.

Pour camper ses personnages Aki Kaurismäki a fait appel à quelques-uns de ses acteurs fétiches tels que Kati Outinen, Sakari Kuosmanen (dans le rôle de Wikström) ou encore Janne Hyytiäinen. Pour interpréter ses réfugiés, le cinéaste a enrôlé Sherwan Haji dans le rôle de Khaled et Simon Al-Bazoon dans celui de Mazdak. Tous les deux signent ici leur première apparition au casting d’un film. Les interprétations figées et inexpressives, les dialogues laconiques, l’enchaînement de faits ni expliqués ni discutés sont autant de marques de fabrique de la filmographie d’Ari Kaurismäki. En cela, L’autre côté de l’espoir s’arroge à nos yeux une place de choix dans ladite filmographie.

5 réflexions sur “L’autre côté de l’espoir – L’envers de l’infortune

  1. Une réussite en effet. Cela fait plaisir de revoir un film de Kaurismaki de ce calibre après un Le Havre décevant – en retrouvant son univers particulier, il réussit ici ce qu’il avait (à moitié) raté dans Le Havre sur un sujet proche. J’ai beaucoup aimé.

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    • Je vois L’autre côté de l’espoir comme un prolongement du Havre qui, comme toi, m’avait laissé sur ma faim. Le projet initial était de réaliser un triptyque « portuaire ». Kaurismaki y a collé la question des migrants. Logiquement, un troisième volet devrait suivre !

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      • Depuis qu’on a changé de millénaire, Kaurismaki a un rythme de réalisation « lent ». Et sachant qu’il a mis 10 ans à réaliser sa trilogie Finlande (1996-2006), je pense qu’on est parti pour au moins 3 ou 4 ans d’attente.

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