Le pont des espions de Steven Spielberg s’inscrit dans la veine des films historiques chers au cinéaste américain qui, sous couvert de faits réels, réunit Tom Hanks et Mark Rylance. Derrière la brillante et minutieuse reconstitution du New-York et du Berlin de la Guerre froide, le cinéaste met en œuvre une mise en scène classique et maîtrisée. Film de procès puis thriller d’espionnage, Le pont des espions déroule un récit humaniste doublé d’une étude sociale historique.
James Donovan (Tom Hanks), un avocat de Brooklyn se retrouve plongé au cœur de la guerre froide lorsque la CIA l’envoie accomplir une mission presque impossible : négocier la libération du pilote d’un avion espion américain U-2 (Austin Stowell) qui a été capturé.
Le pont des espions (2015) s’inscrit dans la même lignée que son prédécesseur Lincoln (2012) ou plus anciennement Amistad (1997). Steven Spielberg place à nouveau un homme face à l’opposition de ses contemporains. Ce nouvel opus s’inscrit aussi dans la veine historique de la filmographie de son auteur où nous trouvons des longs-métrages tels que La liste de Schindler (1993), Le soldat Ryan (1998) ou encore Munich (2005).
Le scénario du dramaturge Matt Charman couvre l’arrestation en 1957 à New York de Richard Abel (Mark Rylance) et les négociations menées par l’avocat américain James Donovan (Tom Hanks) pour l’échange de ce présumé espion soviétique contre deux ressortissants américains, le pilote Francis Gary Powers (Austin Stowell) et Frederic Pryor (Will Rogers). Sur fond de guerre froide et de construction du mur de Berlin, cet échange de prisonniers s’effectuera en février 1962 sur le pont-titre de Glienicke qui reliait les secteurs américain et soviétique de Berlin.
Le premier plan du film montre Richard Abel sous son vrai visage reflété par un miroir et sous celui d’un autoportrait qu’il est en train de peindre. Présentation très figurative de cet homme-double que l’admirable prologue composé de deux scènes de filature dans les rues et le métro new-yorkais verra traqué par des agents du FBI. Par la méticulosité de sa mise en scène et la vélocité de son montage, cette entame privée de dialogues annonce un film dans la plus pure tradition du thriller d’espionnage.
Film procès dans sa première partie, Le Pont des espions retrace les difficultés de J. Donovan à défendre son client accusé d’espionnage. L’attitude stoïque de l’accusé et de son défenseur face à l’adversité d’une population et d’une justice paranoïaques porte les deux protagonistes dans un même élan, celui où la liberté et la justice, valeurs fondatrices de l’Amérique, deviennent actes. Témoignage des affres d’une époque, cette première partie soulève de pertinentes questions éthiques. Son intérêt réside aussi dans la composition des deux personnages centraux.
Tom Hanks est à créditer d’une bonne interprétation mais sa subtilité de jeu tend à rendre son déjà discret personnage humaniste trop transparent. Mark Rylance, fascinant de placidité, lui vole ainsi la vedette. De nombreux prix d’interprétation viendront saluer cette performance remarquable. Il faut noter que leurs rôles sont servis par des dialogues au cynisme dosé auxquels ont contribués Ethan et Joel Coen.
L’action du film est ensuite déportée à Berlin dans une seconde partie moins accomplie et moins pertinente au fil d’un scénario devenu prévisible. L’abandon de personnages secondaires dont en partie celui interprété par Mark Rylance, le manque de tension dans les rencontres et les transactions entre les belligérants et une vision un peu désuète des relations est-ouest de l’époque font apparaître les premières fissures qui viennent lézarder ce Pont des espions. Steven Spielberg semble avoir arrangé et simplifié l’histoire pour la faire coller à son idée. Il conclut cependant cette partie par la belle séquence annoncée par le titre du long-métrage.
Le pont des espions achèvera de s’abimer dans un épilogue à la fois maladroit et convenu qui met en images le retour à la maison du personnage vertueux, admiré par sa femme, reconnu dans le métro et célébré à la télévision. Steven Spielberg nous gratifie d’une conclusion décevante et dégoulinante de bons sentiments surlignée par le carton final et une musique inappropriée. Cet épilogue dévitalise une fin du film qui aurait été beaucoup plus forte si elle avait été faite sur le dernier plan du pont de Glienicke.
Plein d’humanité, Le pont des espions glorifie le patriotisme américain au détriment de réflexions profondes. La narration fluide, linéaire et bien rythmée jouit de dialogues précis mais évacue le contexte politique de la Guerre froide. Le récit tend aussi à une complexification caractéristique des films d’espionnage. Cela contribue à la froideur du film, barrage à l’empathie des spectateurs envers les protagonistes. Sorte d’antithèse à Munich (2005) où à la terreur répondait la terreur, le film n’échappe pas à un certain manichéisme dans le propos comme dans la forme.
Ainsi, sans justification scénaristique, les mouvements de caméra deviennent plus heurtés pour filmer la partie Est du film. Autre exemple, la photographie de Janusz Kaminski oppose couleurs chaudes et froides. Mais étonnamment, les premières sont utilisées pour les lieux américains alors que les secondes sont réservées aux espaces berlinois et soviétiques. Cependant, dans les deux cas, les lumières ténébreuses surlignent l’élégance et la précision de la reconstitution du New-York et du Berlin des années 60.
La réalisation élégante, précise et soignée du Pont des espions accouche de plans séquences qui font penser aux films noirs des années 50. En adoptant une forme très classique et posée, Steven Spielberg est en terrain ultra maîtrisé et vierge de toute prise de risques. À peine pouvons-nous remarquer quelques effets de montage destinés à gommer les transitions entre les différents pans du récit. Ces ambitions limitées de mise en scène avaient été aussi observées dans Lincoln, précédent opus du cinéaste. Si l’académisme retenu convenait au biopic consacré à Abraham Lincoln, il sied moins au film d’espionnage qu’est Le pont des espions.
Intéressant thriller d’espionnage politique, Le pont des espions déploie un récit humaniste et ethno centré qui interroge l’engagement et l’altruisme sur fond d’étude sociale historique. Steven Spielberg opte pour une forme très classique dans une première partie de métrage qui s’apparente à un film de procès. Dans la deuxième moitié qui emprunte au thriller, le cinéaste n’ambitionne malheureusement rien d’autre que de maintenir cette forme qui s’avère alors trop académique et ne parvient pas à masquer un récit qui perd de son âme en cédant du terrain au manichéisme.
Hello InCineVeritas, Comme toi, j’ai préféré de loin la première partie de ce Pont des Espions, laquelle est souvent remarquable car très bien mise en scène. Ensuite, à Berlin-Est, la greffe Spielberg-frères Coen ne prend pas vraiment et le film perd de sa force. J’ai chroniqué le film chez moi.
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