En 2014, Kim Seong-hun livrait Hard day, polar sur-vitaminé dont les qualités de réalisation et d’écriture sonnaient comme autant de belles promesses et plaçaient son auteur dans la liste des cinéastes à suivre. Dans Tunnel, Kim Seong-hun, de nouveau réalisateur et scénariste, confirme ses talents de metteur en scène et de conteur notamment par une remarquable fluidité.
Alors qu’il rentre retrouver sa famille, un homme est accidentellement enseveli sous un tunnel, au volant de sa voiture. Pendant qu’une opération de sauvetage d’envergure nationale se met en place pour l’en sortir, scrutée et commentée par les médias, les politiques et les citoyens, l’homme joue sa survie avec les maigres moyens à sa disposition. Combien de temps tiendra-t-il ?
Tunnel et Hard day n’appartiennent pas au même genre cinématographique. Au polar tendu et ubuesque de 2014 succède un drame survivaliste et intimiste encastré dans un film catastrophe. Cependant les deux derniers longs-métrages en date de Kim Seong-hun partagent quelques caractéristiques communes sur l’écran. Outre la qualité de leur réalisation sur laquelle nous reviendrons, Tunnel et Hard day interrogent les conflits internes et l’intégrité de leurs personnages respectifs. Dans ces deux films, le cinéaste prend aussi soin de désamorcer la tension dramatique née de ces questionnements intimes par quelques éclats d’humour noir et d’ironie servis avec subtilité. Ces ruptures de tons et les nombreux rebondissements que cumulent les deux récits servent le rythme et le suspense prenant de la narration.
Ce rythme vif est observé dès le début de Tunnel qui, malgré sa durée de deux heures, est vierge de tout préambule venant s’appesantir sur la présentation des personnages. Kim Seong-hun aborde rapidement son drame survivaliste en faisant s’effondrer le tunnel-titre dès les dix premières minutes du film. En comparaison avec ce qui est généralement constaté dans les films catastrophe d’Outre-Atlantique, ce renversement narratif permet au réalisateur-scénariste de rendre son récit imprévisible et difficile à anticiper.
Un autre élément de différenciation réside dans les scènes d’action. Aussi impressionnantes soient-elles, elles ne sont nullement démonstratives et omniprésentes. Elles ne servent pas à masquer l’indigence d’un scénario qui, derrière un argument minimaliste, déploie une critique à portée universelle des sphères politico-médiatiques de la Corée du Sud. Un message que le spectateur doit s’attacher à écouter car l’écoute est la clé de voute de Tunnel.
Dès la première scène, un pompiste malentendant mettra plus d’essence que demandé dans le réservoir de la voiture de Jung-soo (Jung-woo Ha) pressé de rentrer chez lui et qu’il retardera encore par la distribution de deux bouteilles d’eau. Des faits anodins aux conséquences dramatiques car, sans ce retard pris, Jung-soo aurait traversé le tunnel avant qu’il ne s’effondre. L’écoute du film demeure essentielle de bout-en-bout jusqu’au message vindicatif final de notre héros. Les bruits sourds d’éboulement du tunnel, les bruits que les sauveteurs cherchent à entendre pour sonder une présence humaine ou encore la sonnerie d’un smartphone devenu l’unique vecteur de liaison avec le monde extérieur constituent autant de messages sensoriels. De ces stimuli naissent des émotions comme celles issues d’une confession désespérée lancée par Doona Bae sur les ondes radio sans certitude que le destinataire ne l’entende. Ainsi, au-delà d’une bande originale parfois appuyée, le travail effectué sur la bande son contribue beaucoup à l’effet immersif et claustrophobe du film.
L’argument de Tunnel n’est pas sans nous rappeler celui du Gouffre des chimères (1951) de Billy Wilder. Mais à la critique des médias mis en images au mitan du XXème siècle, Kim Seong-hun adjoint celle des sphères politique et économique. Face à un sauvetage qui s’annonce inéluctablement long, périlleux et incertain, des intérêts contraires vont venir lézarder les bonnes intentions initiales.
En mode « breaking news », les journalistes avides de scoops, de sensationnalisme et de records de survie à battre voient leur éthique confirmée dans son existence incertaine. Le cinéaste coréen interroge aussi l’intégrité et l’efficacité de figures politiques face aux dictats des chiffres de l’économie de marché et du lobbying des groupes de construction. Et, à travers les sauveteurs et la mère d’un ouvrier mort accidentellement, la solidarité et la compassion de tout un chacun sont aussi mises à l’épreuve.
Durant deux heures, Kim Seong-hun alterne les scènes extérieures et les séquences filmées dans le tunnel. L’agitation extérieure contraste ainsi avec l’immobilisme contraint par les gravats du tunnel effondré. Le travail sur les bruitages évoqué plus haut, la qualité de filmage d’espaces exigus et l’efficacité du montage technique de ces séquences participent à un effet de claustrophobie et d’isolement très maîtrisé. A l’instar de Hard day, Kim Seong-hun a su faire circuler dans Tunnel la rigueur de construction de son récit et son savoir-faire de metteur en scène. Seul le placement répété de produits manufacturés locaux vient ternir un tableau brillamment composé.
De simple film de divertissement, Tunnel prend les attributs d’un film de genre mêlant habilement suspense, scènes d’action, satire politique et critique d’une société coréenne dysfonctionnelle. En nous interrogeant sur la valeur d’une vie humaine face aux enjeux politico-économiques, Kim Seong-hun suit les traces de son compatriote Bong Joon-ho dans The host (2006). Tunnel peut aussi être rapproché d’un Dernier train pour Busan (2016) de Yeon Sang-ho dont il serait un pendant contemporain plus réaliste. Par l’écriture et la réalisation de ce film catastrophe intimiste et survivaliste, Kim Seong-hun témoigne à nouveau de son savoir-faire de réalisateur-scénariste.