Passion – Art pour art(s)

Dans Passion, Jean-Luc Godard procède à une mise à nu de sa passion, la création cinématographique ou, plus globalement, la création artistique. Au fil d’une narration déconstruite qui cite et invoque les grands maîtres de la musique classique et de la peinture, l’auteur d’A bout de souffle insuffle une énergie nouvelle faite de contrastes entre beauté et laideur, musique et bruit. Sous des traits assurément godardiens, la composition de tableaux vivants rivalise avec l’excellence de celle des plans-séquences.

Durant le tournage d’un film, un réalisateur se détourne de son entreprise en découvrant la lutte d’une jeune ouvrière licenciée par un patron qui n’appréciait guère ses activités syndicales.

Plus essai-filmique que film, Passion de Jean-Luc Godard ne déroule aucunement le récit d’une histoire. Le chef de file de la Nouvelle Vague n’inflige pas un début et une fin à sa narration. Le langage cinématographique adopté est atypique ou, plus exactement, typiquement godardien. Devant Passion, le spectateur se doit d’être actif, il doit « lâcher prise » et « cesser de réclamer une histoire ». Ici, la narration est plus affaire d’un montage technique qui alterne les plans-séquences autour de deux interrogations majeures.

Il y a d’abord le questionnement de nos rapports au travail. Ce pan du film trouve plus particulièrement son expression dans les relations conflictuelles entre Isabelle Huppert, employée vindicative et bégayante, et son patron incarné par Michel Piccoli, toussotant et peu enclin au dialogue et à la négociation. Deux acteurs majeurs du cinéma français forts chacun d’une filmographie pléthorique et qui pourtant ne se sont que rarement croisés sur un même plateau de tournage. Enfin Passion avec Sauve qui peut (la vie), réalisé deux ans plus tôt, sont les deux seules œuvres ayant réuni l’actrice et Jean-Luc Godard.

Les difficultés des personnages à communiquer entre eux sont mises en relief par une bande sonore postsynchronisée. Cette technique est sciemment détournée par divers moyens par le cinéaste. La bande-son se voit ainsi par instants désynchronisée, ciblée sur les interlocuteurs hors-champ au détriment du personnage à l’écran ou encore la voix de ce dernier est doublée par celle d’un protagoniste invisible. Ce conséquent travail de montage sonore contribue à une sorte de cacophonie qui parasite un fil narratif déjà insaisissable. Jean-Luc Godard pousse l’expérience jusqu’à une mise en abyme de ce tumulte sonore. En effet, là où la musique classique (Mozart, Beethoven, Fauré, Dvořák, Ravel) fait office de personnage à part entière par sa quasi omniprésence, le réalisateur la fait sporadiquement rentrer en conflit avec des bruits d’ambiance dissonants.

La vanité des relations sociales au travail ainsi exposée sert de point d’attache au second thème abordé par Jean-Luc Godard, celui de sa Passion, la création et la recherche tant artistiques que cinématographiques. Là encore, le metteur en scène procède par une mise en abyme en insérant dans son film le tournage en studio d’un film historique avec costumes d’époque… ou pas. Les affres de la création cinématographique défilent devant nos yeux. Rien n’est caché, tout est dévoilé et mis à nu. Au metteur en scène hurlant ses ordres répondent l’agitation et le brouhaha autour du plateau de tournage. La scène d’Hanna Schygulla de visionnage de rushes fait écho à une autre séquence, celle de la répétition d’une scène à la scénographie improvisée sur le champ et dans le champ de la caméra.

Si la question de la mise en scène est discutée, celle de l’éclairage l’est tout autant. Ce thème prend toute son ampleur par le prisme du remarquable travail effectué par Raoul Coutard, directeur de la photographie attitré de l’univers godardien. Le duo Godard-Coutard s’évertue à reconstituer en studio de multiples et célèbres tableaux signés Delacroix, Rembrandt, Ingres, Goya, El Greco ou encore Watteau. La minutieuse mise en scène du cinéaste et la mise en lumière proposée par son directeur de la photographie donnent vie à ces chefs-d’œuvre. Dans Passion, le 7ème art est dévolu à la peinture pour mieux côtoyer l’art photographique.

En première approche, Passion peut paraître comme un insaisissable coq-à-l’âne. Ses formules semblent lancées à l’emporte-pièce. Chaque spectateur est mis à contribution pour apprendre à les saisir. L’art n’est pas une science exacte mais une science libre. À l’image des films réalisés par Jean-Luc Godard, l’art, quel qu’il soit, doit échapper à toutes formes de conformisme. Dans cette veine, il est difficile de ne pas qualifier Passion d’œuvre d’art.

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