Comme Petit paysan d’Hubert Charuel, Une famille syrienne de Philippe Van Leeuw a obtenu trois prix lors du festival du Film Francophone d’Angoulême clos il y a quelques jours. Au prix décerné par le public sont venus se joindre le Valois de la mise en scène et celui de la meilleure actrice décerné ex-aequo à Hiam Abbass et Diamand Bou Abboud. Ces deux longs-métrages ont donc été placés sur un pied d’égalité en terme de récompenses obtenues et pourtant…
Dans la Syrie en guerre, d’innombrables familles sont restées piégées par les bombardements. Parmi elles, une mère et ses enfants tiennent bon, cachés dans leur appartement. Courageusement, ils s’organisent au jour le jour pour continuer à vivre malgré les pénuries et le danger, et par solidarité, recueillent un couple de voisins et son nouveau-né. Tiraillés entre fuir et rester, ils font chaque jour face en gardant espoir.
Avant la projection de son film, Philippe Van Leeuw nous a informés qu’Une famille syrienne n’était pas un film de guerre. Exact. Le conflit syrien est soigneusement placé hors champ d’une caméra pourtant mobile. La présence de la guerre se limite ainsi à quelques détonations sporadiques. Mais le réalisateur est dans l’erreur quand il indique qu’il s’agit d’un « film sur la guerre ». Rien dans Une famille syrienne n’interroge la guerre, à moins de considérer les agissements d’un sniper isolé comme des actes guerriers qu’ils ne sont pas…
Ce film est une tragédie familiale placée dans le contexte d’une guerre anonyme que seul le titre du film permet de situer en Syrie. Le huis-clos filmé à Beyrouth – nous comprenons aisément qu’un tournage à Damas était impossible – aurait pu indifféremment être tourné ailleurs. Même les rares plans en extérieur sont filmés depuis l’immeuble hôte. Comme la porte d’entrée de l’appartement, le film est barricadé, hermétique à l’environnement et aux évènements extérieurs. L’abstraction, tant géographique que politique, du scénario est totale. Aucune scène ne vient présenter et encore moins expliquer les tenants et aboutissants du conflit. Dans la même veine, les motivations et la faction des agresseurs resteront indéterminées. D’ailleurs, il n’est jamais fait témoignage de la situation des civils syriens utilisée ici comme élément d’accroche à destination d’un public (pas toujours) crédule. Nous avons donc affaire à un film dit « atemporel » et « universel » à moins que cela ne cache un défaut d’écriture et de documentation…
Le titre du film fait aussi référence au terme « famille », également trompeur. L’unité de lieu que constitue l’appartement abrite en effet une famille mais aussi une servante, un couple de jeunes voisins et leur bébé, ainsi que l’ami de la fille aînée. Bref, la moitié des occupants de l’appartement n’est pas membre de la « famille » invoquée. Et encore, pour cette famille, le scénario n’attribue un vrai rôle qu’à la mère incarnée par Hiam Abbass. Les autres membres familiaux sont accessoires, et pour certains, inutiles. Certes on pourra nous rétorquer que le titre original du film, Insyriated, gomme la moitié de la tromperie, mais il reste étrange que Philippe Van Leeuw, cinéaste belge francophone, ait opté pour le titre Une famille syrienne.
Peut-être faut-il y voir la volonté du réalisateur d’interroger la notion de famille au-delà de son acception nucléaire. Mais là encore cette potentielle ambition s’effondre quand, à mi-parcours, survient un évènement dramatique qui appellera une « réponse » d’une extrême lâcheté, inimaginable au sein d’une vraie famille. Par cette scène très discutable, Philippe Van Leeuw sacrifie toute possibilité d’empathie envers tous ses personnages à l’exception d’Halima, son héroïne centrale incarnée par Diamand Bou Abboud. A cette dernière, le réalisateur-scénariste réserve un sort spécifique à grand renfort de sur-dramatisation sacrificielle confondante mêlant violence et sadisme. La complaisance dont fait preuve le réalisateur pourra paraître malsaine d’autant que la culpabilité et la moralité seront passées par pertes et profits.
Sur le plan formel, les plans-séquences filant d’une pièce à l’autre de l’appartement jouissent d’une fluidité certaine. Le tableau est cependant noircit par une photographie peu soignée, caractéristique surprenante pour un réalisateur ayant fait ses armes au poste de directeur de la photographie, notamment chez Bruno Dumont pour La vie de Jésus (1997). De plus, les personnages plutôt archétypaux et peu approfondis, l’unité de lieu doublée d’une unité de temps (une journée) masquée par un synopsis faussé, contribuent à asseoir l’apparence de petit théâtre filmé. Un aspect renforcé par l’absence du moindre parti-pris cinématographique.
A défaut donc d’être conceptuel, Une famille syrienne se révèle contextuel et opportuniste. Il n’est pas le film-témoin du quotidien des civils syriens que son auteur prétend avoir réalisé. Nous pouvons nous réjouir qu’un sniper manque sa cible mais nous ne pouvons pas afficher le même satisfecit pour un cinéaste qui rate la sienne.