Depuis le formidable Nobody knows sorti en salle en 2004, Hirokazu Kore-eda n’a cessé de livrer des drames familiaux à la qualité déclinante et bâtis sur des thématiques ressassant des réflexions sur les liens du sang. Ainsi, au fil des années, le cinéaste japonais a réalisé une œuvre cinématographique maîtrisée, limpide et bien rangée. Autant de qualités devant lesquelles nous pourrions placer l’adverbe « trop ». En l’absence de prise de risque et de renouvellement des thèmes abordés, les films de Kore-eda sont devenus prévisibles. En conséquence, notre sentiment de déjà-vu n’a cessé d’augmenter et notre intérêt de diminuer.
Présenté lors de la Mostra de Venise 2017, The third murder était, il y a quelques semaines, en compétition à Beaune dans le cadre de la dixième édition du Festival international du Film Policier ! Ce long-métrage semble donc matérialiser le changement de registre tant attendu et donc un possible regain d’intérêt.
Le grand avocat Shigemori est chargé de défendre Misumi, accusé de vol et d’assassinat. Ce dernier a déjà purgé une peine de prison pour meurtre 30 ans auparavant. Les chances pour Shigemori de gagner ce procès semblent minces, d’autant que Misumi a avoué son crime, malgré la peine de mort qui l’attend s’il est condamné. Pourtant, au fil de l’enquête et des témoignages, Shigemori commence à douter de la culpabilité de son client.
La scène d’ouverture de The third murder nous cueille à froid. Sans le moindre dialogue, de nuit et à coups de marteau, Misumi (Kôji Yakusho) tue un homme, l’asperge d’essence et met le feu au cadavre gisant sur le sol. Le générique nous confirme que Kore-eda est bien l’auteur de cette scène d’une violence sèche et radicale !
La deuxième séquence est une scène de parloir. Misumi plaide coupable face à Shigemori (Masaharu Fukuyama) son avocat et ses deux assistants (Kôtarô Yoshida, Shinnosuke Mitsushima). Déjà coupable de deux meurtres concomitants qui lui valurent trente ans de prison, ce troisième meurtre-titre le condamne à la peine de mort toujours en vigueur au Japon. Peu volubile et peu enclin à se défendre, notre homme est résigné à cette irrémédiable sentence. L’affaire en attente de jugement semble déjà close.
Kore-eda livre un film d’enquête là où ces deux séquences semblaient orienter The third murder vers les rangs des films de procès. Certes le procès de Misumi aura lieu et la parole sera aussi donnée à l’accusation, mais ces deux éléments ne sont pas centraux au film. À ce stade, seuls les aveux de Misumi l’accusent. En cherchant à requalifier les faits, la défense vise à obtenir une peine à perpétuité pour son client menacé par la peine de mort. Durant tout le film, le cinéaste portera un triple questionnement sur le droit de mort (pour l’accusation), de vie (pour la défense) et de naissance (pour l’accusé).
La narration est surtout portée par ces deux dernières composantes. L’enquête judiciaire à mener par Shigemori et ses collaborateurs nécessite de trouver un terrain d’entente avec l’accusé. Les deux « camps » sont séparés par la paroi vitrée du parloir. Par la précision de sa mise en scène et de ses cadres, Kore-eda ne cessera de jouer avec cette ligne de démarcation pour rendre compte du rapprochement ou de l’éloignement des deux parties. Au-delà des dialogues, forcément nombreux dans les scènes de parloir, la mise en scène observée dans The third murder porte de nombreux messages.
Comme dans une plaidoirie, le réalisateur multiplie et varie ses angles d’attaque pour rendre visuellement compte de cette frontière entre le bien et le mal. Par un trucage numérique, elle ira jusqu’à disparaître avant d’être à nouveau « matérialisée » par un contact physique. Cette séparation physique fait barrage aux contacts du même type entre les deux parties. Si deux mains apposées sur cette vitre permettront une communication durant un court instant, plus tard dans le film, la même apposition sollicitée par l’une des parties restera sans réponse.
Mais c’est par l’utilisation de multiples jeux de reflet que Kore-eda pousse sa mise en scène le plus loin. Les visages des protagonistes sont continuellement reflétés sur la paroi vitrée du parloir. L’effet miroir sera même porté jusqu’à un paradoxe : juxtaposer jusqu’à presque confondre les visages de deux protagonistes pourtant placés l’un en face de l’autre. À cet instant précis, un des personnages vient de prononcer une phrase que son interlocuteur avait dit pratiquement mot pour mot plus tôt dans le film. Fin du face-à-face, les deux individus ne font plus qu’un.
Dans la même veine, la dernière séquence de The third murder est très révélatrice. Le visage des deux interlocuteurs se rapproche progressivement de la paroi vitrée. Ce mouvement est démarré par l’accusé et l’ultime avancée sera aussi celle de l’accusé. C’est finalement le reflet du visage de l’avocat qui reculera pour finir sa course en retrait de celui de son vis-à-vis…
Dans The third murder, la dualité avocat/accusé reflète celle opposant accusé et victime. En début de film, la composition d’un plan furtif surprend. L’arrière du crâne de l’accusé est filmé en gros plan pour ne laisser à droite et à gauche de l’écran que la place nécessaire pour capter de face le visage de deux avocats. Ce plan sera réitéré à plusieurs reprises lors de l’interview d’un personnage relatant les actes qu’il a subit. Son témoignage est celui d’une victime alors que la mise en scène le place en position de coupable… à tort ?
Par cet ostentatoire changement de registre cinématographique, Kore-eda renouvèle son cinéma au risque de dérouter une partie de son public. Mais il continue de creuser son thème fétiche, celui du lien du sang entre un père victime du meurtre relaté et de sa fille également victime. Ce thème n’est certes pas le mobile premier de The third murder mais il demeure bien présent… en transparence.
Hello InCine. Effectivement, comme tu le dis bien, la mise en scène traduit, par ces images de reflet, l’évolution du rapport accusé-avocat dans les scènes de parloir (esthétiquement, le résultat n’est d’ailleurs pas toujours heureux. Mais même s’il change de genre, Kore-eda reste le même, explorant ses thèmes de prédilection et mettant comme d’habitude en accusation les parents. J’ai bien aimé.
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Salut Strum,
L’esthétique n’est effectivement pas toujours heureuse mais elle ne m’a pas gêné car finalement elle se marie bien avec un sujet pour le moins très sombre. Cela aurait été une erreur si Kore-eda avait livré un « joli » film.
Oui, il conserve son thème de prédilection mais ici, il est relégué en sujet secondaire à mes yeux. C’est pour cette raison que je ne l’évoque qu’en conclusion de mon article. Le film m’a beaucoup intéressé sur la relation accusé-avocat et sur la mise en scène adoptée. J’aime les films où la mise en scène est réfléchie et porteuse de messages.
J’ai lu ta critique du film sur ton blog. Elle est pertinente mais il faut absolument que tu vois Nobody knows 😉
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Hé, hé, Nobody Knows, je viens de le voir. 🙂 Moi aussi j’aime les films où c’est la mise en scène qui porte le sens du film.
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Et je vois (j’ai commenté ta publication) que tu sembles faire de Nobody knows ton Kore-eda préféré. Si tel est le cas, nous sommes donc deux !
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Oui, merci. En effet, le film est immédiatement devenu mon film préféré du cinéaste (avant, c’était Still Walking).
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