Les éternels revisite quelques-unes des provinces d’une Chine en pleine mutation économique et sociale. Zhang-ke Jia poursuit donc le traitement de la thématique centrale de sa filmographie. Il revisite aussi ses précédents films jusqu’à incorporer dans Les éternels quelques rushes inutilisés de certains d’entre eux. Film-somme pour certains, film-synthèse pour d’autres, Les éternels ne serait-il pas plutôt un film déjà vu sur une Chine révolue ? Finalement, n’émanerait-il pas d’un cinéma tout aussi révolu ?
En 2001, la jeune Qiao est amoureuse de Bin, petit chef de la pègre locale de Datong. Alors que Bin est attaqué par une bande rivale, Qiao prend sa défense et tire plusieurs coups de feu. Elle est condamnée à cinq ans de prison. A sa sortie, Qiao part à la recherche de Bin et tente de renouer avec lui. Mais il refuse de la suivre. Dix ans plus tard, à Datong, Qiao est célibataire, elle a réussi sa vie en restant fidèle aux valeurs de la pègre. Bin, usé par les épreuves, revient pour retrouver Qiao, la seule personne qu’il ait jamais aimée…
Très tôt dans Les éternels, le spectateur aura le sentiment d’être en terrain connu tant ce film entre en résonnance avec les précédentes réalisations de Zhang-ke Jia. Il y a d’abord le titre Y.M.C.A des Village People qui, à l’écran, chorégraphie comprise, renvoie au Go west des Pet Shop Boys, autre chanson pop entendue en ouverture et clôture de Au-delà des montages (2015, Triptyque narratif). Ces deux films partagent aussi une même structure narrative répartie sur trois périodes restituées par ordre chronologique. Le récit des Éternels démarre ainsi en 2001 pour se terminer de nos jours avec un segment central situé en 2006.
De Au-delà des montages, Les éternels emprunte aussi les changements de format des images proposées à l’écran. Celles-ci varient ainsi dans des ratios allant du 1.33 au 1.85. Plus important encore, les deux films relatent le destin mélodramatique croisé de deux personnages : un homme et une femme unis par des engagements que seule la femme saura se rendre fidèle. Pour sa part, l’arrière-plan sociétal sert toujours de toile de fond à l’action comme dans A touch of sin (2013).
De ce film de 2013, Les éternels adopte aussi l’itinérance géographique au long cours. Les protagonistes traversent plusieurs régions chinoises : la ville de Datong dans la province du Shanxi dont Jia est originaire, la région des Trois-Gorges dans le Sud-Ouest, le Xinjiang dans le Nord-Ouest. Ce décorum en partie commun donc avec A touch of sin va de pair avec la même violence soudaine et imprévisible. De tels déplacements avaient déjà été constatés en 2006 dans Still life où, déjà, la région des Trois-Gorges offrait ses décors. Pour sa part, la ville de Datong avait été placée dans l’objectif de la caméra de Plaisirs inconnus (2002).
De Plaisirs inconnus et Still life, Jia utilise quelques rushes non conservés dans le montage final de ces deux films. On voit ainsi dans les deux premiers segments des Eternels Tao Zhao, épouse du cinéaste et actrice dans tous ses films, pas encore trentenaire doublée par sa présence d’aujourd’hui. Ce parcours dans le temps est aussi géographique. Ainsi, Les éternels est sans cesse en mouvement accompagnant ses protagonistes-migrants (marginaux volontaires ?) qui ne peuvent se fixer dans une société en perpétuelle transformation économique, culturelle et sociale. Si le récit n’apporte rien de nouveau par rapport aux précédentes réalisations de Jia, son ampleur n’a d’égal que le périple composé de longues scènes. L’histoire au long cours qui en découle brille avant tout par la multiplicité de ses tonalités. Le film de gangsters initial mutera ainsi en mélodrame au rythme de scènes sporadiques de comédie musicale.