La sortie en salle française de Pinocchio réalisé par Matteo Garrone n’aura pas lieu. D’abord programmée au 18 mars, elle a été reportée au 1er juillet prochain pour cause de crise sanitaire. Le Pacte, distributeur français du film, a finalement posé son dévolu sur la date du 4 mai et opté pour une distribution via la plateforme Amazon Prime. Un choix dicté par des raisons financières pour un film destiné au grand écran, présenté en février dernier lors de la Berlinale et nommé quinze fois aux prochains David di Donatello (César italiens). Le succès obtenu par Pinocchio dans les salles italiennes n’aura donc pas d’équivalent en France.
Geppetto, un pauvre menuisier, fabrique dans un morceau de bois un pantin qu’il prénomme Pinocchio. Le pantin va miraculeusement prendre vie et traverser de nombreuses aventures.
C’est donc confiné et depuis le canapé de notre salon que nous est donné à voir la dernière réalisation en date de Matteo Garrone. L’œuvre n’a rien d’original puisqu’elle n’est autre qu’une adaptation au cinéma du célèbre conte Les aventures de Pinocchio publié entre 1881 et 1883 par Carlo Collodi.
Ce portage au grand écran est à la fois moderne et très fidèle au texte originel. La littéralité de cette adaptation écrite par le réalisateur ne masque aucunement les passages cruels du conte. L’authenticité semble être le principal moteur animant Pinocchio version Garrone. Ainsi, la photographie soignée de Nicolai Brüel sert cette authenticité voulue pour dévoiler toute la pauvreté de la Toscane du XIXe siècle. Décidément, entre pauvreté, noirceur et archaïsme, le réalisme immédiatement tangible du cinéma italien ne cessera de nous surprendre. Et, là où nous pouvions craindre un excès d’effets spéciaux, Garrone opte au contraire pour un usage privilégié des maquillages et autres prothèses. Le travail sur les matières prime sur la manipulation des pixels.
Par cette authenticité, Pinocchio s’inscrit dans la veine du Conte des contes, adaptation au cinéma d’un autre classique de la littérature italienne, Pentamerone (1634-1636) de Giambattista Basile, que le cinéaste italien avait réalisé en 2015. De la même manière, les rencontres faites ici par le personnage-titre interprété par Federico Ielapi composent un large bestiaire monstrueux et fantastique ce qui renvoie encore au Conte des contes. Une humanité folklorique se cache derrière l’inventivité plastique dont fait preuve le cinéaste italien et derrière chaque figure grotesque et baroque. Au fil des scènes familières et réalistes, le film dessine le canevas allégorique de la société italienne de l’époque.
Tout ne fonctionne cependant pas. Nous retrouvons avec plaisir Roberto Benigni dans le rôle de Geppetto, lui qui interprétait le rôle-titre en 2002 dans sa propre adaptation du conte de Collodi. Son personnage, menuisier esseulé et désargenté, ouvre le film. Bientôt il sera le « papa » d’une créature presque plus vraie que nature et dont l’avènement est bien senti entre poésie et curiosité. Enfin autonome, Pinocchio prendra des chemins de traverse pour un parcours attendu initiatique. Le caractère candide et influençable du jeune héros le détournera du droit chemin.
Garrone choisit de suivre exclusivement les tribulations de son personnage-titre. Geppetto, pourtant actif dans la recherche de son fils, disparaît du champ de la caméra pour n’y réapparaître qu’à l’approche du terme du métrage. Nous le constaterons rapidement. Une part de l’âme sensible du film disparaît avec lui. Ainsi, une fois le décor planté, l’étonnement se fera discret et sporadique durant tout le cœur (de bois) du film. La magie, la fantasmagorie opèrent peu.
La faute en incombe notamment à une narration scolaire et chronologique qui entretient peu les mystères. Par trop de littéralité, Pinocchio conserve la structure en épisodes du conte originel éponyme. Le rythme de la narration pâtit de ce choix car les segments narratifs dialoguent peu entre eux. Le sur-découpage de certaines séquences (celle de la salle de classe notamment) ne permet pas d’instaurer une ambiance durable. De chapitre en chapitre, la narration s’essouffle et perd sa poésie au risque de désintéresser le spectateur finalement étranger aux tribulations du jeune héros.
Pinocchio demeure avant tout un bon divertissement familial, tous publics. Il est donc éloigné de bon nombre des réalisations précédentes de Garrone marquées par un réalisme cru et sans afféterie : Gomorra (2008) ou Dogman (2018, Entre chien et loup) par exemples. Le visionnement du film et la structure en épisodes de celui-ci interrogent. Pinocchio semble avoir été pensé comme une série télévisée qu’il n’est pas. L’idée nous vient alors de nous replonger dans Les aventures de Pinocchio (1972), une série télévisée en six épisodes réalisée par Luigi Comencini. Elle est certes moins littérale que l’adaptation du conte moral de Collodi proposée par Garrone, mais il nous semble nous rappeler qu’elle était plus pleine d’un regard propre.
Je me souviens de la version Comencini, éditée sous forme de long film. Cette version offre un autre univers visuel visiblement, qui peut s’avérer intéressant.
J’aimeJ’aime
Le film de Comencini est magnifique – je n’ai pas vu La série.
J’aimeJ’aime
Bonjour à vous deux
J’ai vu le Pinocchio de Comencini quand j’étais gamin, il y a donc… quelques nombreuses années. Je n’ai pas souvenir de m’être présenté devant la TV plusieurs fois donc comme vous c’est probablement la version film que j’ai vu alors. IMDb la référence avec une durée de 2h14 mais elle est bien tirée d’une série en 6 épisodes d’une durée totale de 5h21. Je ne sais pas si cette série est visible en France, mais ça me tenterait bien. Conte feuilletonnesque, le format série me paraît être le plus « naturel » pour une adaptation.
La structure en historiettes de la version Garrone est trop visible. Les différents segments ne dialoguent pas entre eux, c’est dommage et ça fait barrage à l’instauration d’une véritable ambiance. Par contre, les points positifs sont à mes yeux le visuel qui n’est pas noyé sous trop d’effets spéciaux (on n’est pas chez Disney) et le caractère littéral de cette adaptation qui ne fait pas mystère des pans cruels du texte original.
J’aimeJ’aime