Quand passent les cigognes – De haut vol

Voir et revoir Quand passent les cigognes et ne jamais cesser de redécouvrir ce film merveilleux. Plus de soixante ans après sa réalisation par le cinéaste russe Mikhaïl Kalatozov, chaque visionnement bonifie encore et encore cette œuvre magistrale. Par bien des caractéristiques, notamment techniques, Quand passent les cigognes a été, est et restera un modèle et une source inépuisable d’inspiration pour de nombreux cinéastes passés, présents et futurs.

Moscou, 1941. Veronika et Boris sont éperdument amoureux. Mais lorsque l’Allemagne envahit la Russie, Boris s’engage et part sur le front. Mark, son cousin, évite l’enrôlement et reste auprès de Veronika qu’il convoite. Sans nouvelle de son fiancé, dans le chaos de la guerre, la jeune femme succombe aux avances de Mark. Espérant retrouver Boris, elle s’engage comme infirmière dans un hôpital de Sibérie.

L’édition 1958 du festival de Cannes fut la seule qui vît décerner sa Palme d’or à un film soviétique. Le film Quand passent les cigognes obtint ce prix tant convoité en l’absence de son réalisateur, Mikhaïl Kalatozov, interdit de sortie de son pays, l’URSS. Dans ce long-métrage, toute l’extraordinaire virtuosité du chef opérateur Sergueï Ouroussevski trouve un écrin idéal pour s’exprimer sans limite.

Les nombreux plans séquences sont le fruit de mouvements de caméra souvent complexes, toujours prodigieux. Les spectateurs sensibles aux caractéristiques de mise en scène constateront aussi une grande variation dans les axes suivis par la caméra lors de ses mouvements. Quand cette dernière se tient immobile, c’est alors la précision des cadres, le jeu sur les lignes de fuite, l’extrême précision et beauté de la lumière qui prennent le relais.

Sur le plan visuel, Quand passent les cigognes glisse peu à peu d’une ambiance lumineuse et paisible à une atmosphère plus anxiogène où dominent ombres et teintes sombres. Le montage accompagne ce mouvement en se montrant progressivement plus heurté alors que le noir et blanc calibré avec justesse fait l’objet de nombreux jeux de lumière.

Ainsi, qu’ils soient fixes ou mobiles, les plans multiplient, alternent et font se succéder les prises de vue en plongée, en contre-plongée, les gros plans et les plans larges, voire aériens. Dans les faits, la caméra est souvent placée là où on ne l’attend pas. L’ensemble de ce travail de mise en scène chorégraphique est magnifié par l’usage d’objectifs grand angle à focales courtes. Cela participe à doter les plans-séquences d’une grande profondeur de champ.

De bout en bout et à chaque instant, la caméra s’évertue à suivre Veronika, le personnage principal incarné par Tatiana Samoilova. Son surnom ? Écureuil ! L’agilité et la rapidité de l’animal sont celles de Veronika. Rapide et agile, tels sont les deux leitmotivs adressés au chef opérateur dans l’animation de sa caméra cherchant à suivre tous les faits et gestes de Veronika. Le virtuose Ouroussevski compose d’innombrables plans-séquences d’anthologie. Citons, parmi d’autres, le plan montrant Boris (Aleksey Batalov) gravir à toute allure les marches d’un escalier, mais aussi celui durant lequel Veronika sort d’un bus pour fendre la foule et se frayer un chemin entre les blindés ou encore sa course à travers les flammes jusqu’au bord du précipice.

Toute la mise en scène révolutionnaire et avant-gardiste déployée par Kalatozov forme par son extrême fluidité un art nouveau. En continu, Quand passent les cigognes constitue, image après image, plan après plan, séquence après séquence, un inestimable manuel pour metteur en scène. Et, comble de l’excellence, toute cette technicité n’est jamais démonstrative car toujours au service de l’émotion et de la narration.

Cette dernière avance au fil d’un récit dense et sans temps morts qui laisse le front de la guerre hors champ. Kalatozov ne filme ni les combats ni les ennemis. Le deuxième conflit mondial sert juste à contextualiser la part humaniste des principaux protagonistes et le caractère antimilitariste du film. Une scène expose à merveille cette ambition. Après le décès d’un des protagonistes, ce n’est pas sa trop courte vie qui défile à l’écran mais ce qu’aurait dû être son mariage fantasmé à jamais : une grande et joyeuse fête. L’ensemble est livré dans un plan dont la composition n’a rien à envier à celle des séquences citées plus haut.

De ce film de commande étatique, certains esprits chagrins pourront trouver à redire au discours sacrificiel clamé haut et fort, au don de soi pour la patrie élevée au rang de valeur noble. Mais Quand passent les cigognes ne fait que rappeler, comme d’autres films soviétiques qui lui étaient contemporains, le lourd tribut que l’URSS a dû payer lors de la deuxième Guerre mondiale. Le scénario écrit par Viktor Rozov, adaptation de sa pièce de théâtre Éternellement vivants (1943), n’est ni une œuvre de propagande communiste ni un pamphlet antinazi. La portée est à la fois lyrique et mélodramatique et ne fait pas mystère, entre autres, de la lâcheté de certains patriotes, de la corruption d’une partie de l’administration, de l’infidélité amoureuse.

Au-delà du coût humain payé et incontestable, Quand passent les cigognes est animé d’une autre certitude : le duo formé par Kalatozov et Ouroussevski était immense. Ce film est un chef-d’œuvre à leur dimension dont le succès fut immédiat, notamment en France. Sa sortie en salles draina pas moins de 5,4 millions de spectateurs ! Un box-office considérable pour l’époque.

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