Dinard 2021

Vous trouverez dans les lignes qui suivent notre journal critique de la 32ème édition du Festival du film britannique de Dinard. Les notes attribuées aux films visionnés peuvent aller de 0 à 5. La note maximale, très rarement attribuée, correspond à nos yeux à un chef d’œuvre.


Land & Sea

La sélection Land & Sea avec pour parrain Nicolas Hulot propose 5 films qui mettent en lumière les luttes quotidiennes des hommes et des femmes pour défendre leurs traditions insulaires qui, petit à petit, entrent en conflit avec les temps modernes.

Fanny Lye deliver’d (2020, Thomas Clay)

Royaume-Uni et Allemagne, 1h 50m

Avec Maxine Peake, Charles Dance, Freddie Fox, Tanya Reynolds, Zak Adams, Peter McDonald

Fanny, John Lye et leur jeune fils Arthur vivent une vie puritaine dans une ferme isolée. Un matin, alors qu’ils se sont rendus à l’église, un couple s’abrite dans leur grange : le charismatique Thomas Ashbury et sa jeune « épouse », Rebecca Henshaw. Bientôt, trois étrangers s’approchent de la ferme : un Shériff et son adjoint accompagnés d’un policier local, tous trois membres de « Ranter », secte blasphématoire. Dès lors, les incidents s’enchainent et changent leurs vies à jamais.

Notre avis (3/5) : « 1657. Après la guerre civile anglais et l’exécution de Charles 1er, l’Angleterre devient une république dirigée par Olivier Cromwell. Libérés de la tyrannie du roi, mais souffrant de la loi puritaine de Cromwell, certains se tournent vers des idées nouvelles radicales et une religion clandestine. C’est au cours de cette période brève et violente que nos notions modernes de liberté personnelle, politique et sexuelle ont été forgées. »

Cet intertitre apparaît à l’écran avant les premières images de Fanny Lye deliver’d. Il contextualise le film et résonne peut-être comme une annonce de programme. Par contre, il ne contextualise par le personnage évoqué par le titre. A l’écran, ce personnage-titre est incarné par Maxine Peake mais n’est pas le protagoniste principal. En ces temps-là, les hommes accaparent les pouvoirs, les femmes sont quant à elles reléguées à des conditions sociales de seconde zone.

Thomas Clay place donc son non encore héroïne à ce statut de faire-valoir. Il place aussi le récit de la trajectoire de Fanny Lye en voix off dans la bouche de son second personnage féminin : Rebecca Henshaw interprétée à l’écran par Tanya Reynolds. Dans les faits et gestes, tout oppose ces deux femmes. La trajectoire émancipatrice de la première est ainsi mise en images par le réalisateur et racontée par la seconde. Là où un récit à la première personne semblait tout désigné, le réalisateur-scénariste opte pour un choix plus audacieux : porter un récit au féminin mais par personne interposée dans un monde d’hommes. Une société percluse de religiosité déclinée en un vaste terrain de chasse aux hérétiques.

Fanny Lye deliver’d jouit d’une belle photographie (la bande annonce en rend compte) notamment sur les scènes tournées en extérieur dans la campagne anglaise, celle du comté de Shropshire. La réalisation quelque peu démonstrative par instants rentre en collision avec l’ambiance austère du milieu du XVIIème siècle restitué à l’écran. Ainsi, la réalisation du film aurait gagné en qualité en gommant certaines afféteries inutiles. Côté casting, on peut aussi déplorer que les interprétations et incarnations des personnages ne soient pas toujours appropriées. On sent ainsi poindre par instant quelques reflets contemporains qui dénaturent la reconstitution historique envisagée.

Bait (2019, Mark Jenkin)

Royaume-Uni, 1h 29m

Avec Giles King, Edward Rowe, Simon Shepherd, Mary Woodvine

Martin Ward est un pêcheur sans bateau. Son frère Steven a réaménagé celui de leur père en bateau de tourisme, créant un fossé entre eux. Leur maison de famille est devenue un refuge pour Londoniens aisés, et Martin emménage dans la propriété située au-dessus du port pittoresque. Sa lutte pour redorer le nom de famille et leur héritage génère des tensions grandissantes avec les touristes et les habitants locaux, lorsqu’une tragédie familiale bouleverse son monde.

Notre avis (2/5) : Mark Jenkin, réalisateur et scénariste de Bait, est issu de la sphère des documentaristes. Sur la forme, il opte pour une austérité certaine que rien dans l’histoire narrée ne semble justifier. Il choisit ainsi un format carré et un noir et blanc tirant sur le sépia. Pour renforcer le côté vintage apparemment visé (pourquoi ?), les photogrammes ont fait l’objet d’un traitement en postproduction pour ajouter de fausses rayures. Jenkin semble, via des artifices techniques, vouloir donner l’impression que le film a été tourné sur pellicules désormais usagées.

Le stratagème mis en œuvre ne fait bien sûr pas long feu. Rien dans le scénario avancé ne permet de justifier de tels partis pris formels. Les aspects visuels de Bait paraissent ainsi très fabriqués, voire trafiqués, et au final factices. Certes, nous pouvons reconnaître au réalisateur le mérite de faire varier ses cadres et ses distances de prise de vues mais cette recherche d’originalité dans le filmage est étouffée par le procédé de réalisation mis en place et décrit plus haut.

Le même sentiment de facticité ressort des dialogues peu appliqués dans leur écriture mais appliqués dans leur restitution. Là encore, peu de naturel émane de ces dialogues échangés entre les protagonistes. Enfin, sur le fond, le récit manque indéniablement de souffle et de rythme. La narration captive peu d’autant qu’elle est peu conséquente et diluée dans des effets de mise en scène alourdissant sérieusement l’ouvrage.


Irish Eyes in Dinard

La sélection Irish Eyes in Dinard comporte une sélection de 5 films irlandais.

Arracht (2019, Tom Sullivan)

Irlande, 1h 26m

Avec Dara Devaney, Saise Ní Chuinn, Dónall Ó Héalaí, Siobhán O’Kelly

Irlande, 1845. À l’aube de la Grande Famine, Colmán Sharkey, un pêcheur, père et mari, recueille un étranger à la demande d’un prêtre. Patsy, ancien soldat des guerres napoléoniennes, arrive juste avant le « mildiou », maladie qui finit par anéantir la récolte de pommes de terre du pays, entraînant la mort ou l’exode de millions de personnes. Alors que les cultures pourrissent dans les champs, Colmán, son frère et Patsy se rendent chez le propriétaire anglais…

Notre avis (3/5) : Tom Sullivan, acteur à la télévision et passé depuis une dizaine d’années à la réalisation pour ce même média, propose avec Arracht son premier long-métrage destiné au grand écran. Dans ce film, Sullivan fait le récit historique d’un drame irlandais survenu entre un propriétaire terrien et, dans le rôle principal, un de ses fermiers (Dónall Ó Héalai). Placée à la veille de la Grande Famine, la narration ambitionne quelques visées historiques. La trame narrative mise en œuvre ménage d’amples ellipses sans pour autant nuire à la compréhension du récit.

La réalisation de ce premier film pour le cinéma est tout à fait honorable. Le cinéaste évite de trop en faire (défaut couramment constaté dans les premiers films). Il s’attache à filmer de façon organique les environnements naturels dans lesquels campent les évènements et les actions. La colorimétrie brunâtre renvoie ainsi à la terre, élément naturel prépondérant de la première partie du film. Dans sa seconde partie plus fantasmagorique, Arracht s’éloigne des codes réalistes dans lesquels baigne sa première partie. L’eau, autre élément naturel, y prédomine ainsi pour venir étayer la fluidité du récit. Notons enfin que les nappes musicales se révèlent plutôt efficaces pour accompagner le drame mis en images.

The bright side (2020, Ruth Meehan)

Irlande, 1h 38m

Avec Barbara Brennan, Derbhle Crotty, Siobhan Cullen, Gemma Leah Devereux, Fiona Egan, Tom Vaughan Lawlor

Kate McLaughlin, comédienne dublinoise, est lasse du monde qui l’entoure et a des idées noires. Ses prières morbides sont finalement exaucées : on lui diagnostique un cancer. Elle accepte tout de même de suivre une chimiothérapie pour apaiser sa famille. Cynique, adepte des blagues noires, Kate se met à dos quatre femmes qui subissent aussi le traitement. Ces quatre femmes irlandaises, de tout horizon, vont percer une brèche dans son cœur.

Notre avis (2.5/5) : Ruth Meehan ne parvient pas à donner corps et consistance au sujet abordé. Pourtant la matière mise à l’écran est celle d’un roman. Soit celui-ci n’apportait pas la matière requise mais alors pourquoi chercher à le porter à l’écran ? Soit l’adaptation de ces écrits au grand écran n’est pas aussi satisfaisante qu’espérée. Cette seconde explication nous semble plus probable d’autant que The bright side est le premier film de fiction réalisé par Meehan. La filmographie de la réalisatrice comptait jusqu’ici plusieurs courts-métrages, un documentaire et quatre épisodes d’une série TV irlandaise peu distribuée à l’étranger.

The bright side jouit cependant de touches d’humour « à l’anglaise » fort appréciables dans un récit dramatique plutôt lourd. Gemma-Leah Devereux dans le rôle central apporte à son personnage une certaine légèreté et un enthousiasme qui viennent faire contrepoids au récit. Mais le film comporte trop de scènes en marge d’un sujet qui aurait dû rester le fil directeur de la narration. Les embardées observées vis-à-vis du scénario diluent le propos et relèguent au second plan la thématique de The bright side. Au final, le sujet avancé par le synopsis n’est pas abordé en profondeur et le film se clôt en laissant un goût d’inachevé, comme une sorte de rendez-vous manqué.

Calm with horses (2019, Nick Rowland)

Royaume Uni et Irlande, 1h 41m

Avec Cosmo Jarvis, Barry Keoghan, Niamh Algar, Ned Dennehyn, David Wilmot, Brid Brennan, Kilhan Tyr Moroneyn

Dans la campagne irlandaise, l’ancien boxeur Douglas Armstrong, connu sous le nom d’« Arm », est devenu le redoutable homme de main de la famille Devers, immergée dans le trafic de drogue, tout en essayant d’être un bon père pour son jeune fils autiste. Tiraillé entre ces deux familles, Arm voit sa loyauté mise à l’épreuve lorsqu’on lui demande de commettre un meurtre.

Notre avis (4/5) : L’entame de Calm with horses laisse présager un développement où la violence physique serait appelée à avoir le dernier mot et où la psychologie des personnages serait quasi absente. C’est un peu le lot commun des films dont la scène liminaire se veut choc. Ici, la violence est filmée complaisamment et parait gratuite bien que la voix off du personnage principal vienne tenter de l’expliquer (la justifier ?). Ce personnage principal est immédiatement perçu comme antipathique.

Fort heureusement, la suite de Calm with horses surprend. Les personnages principaux sont très bien campés par Cosmo Jarvis et Barry Keoghan. Keoghan n’est pas une découverte. Il fait déjà partie des jeunes acteurs irlandais connus et reconnus. Nous l’avons maintes fois vu à son avantage sur des productions largement diffusées : ’71 (2014, Yann Demange), Mise à mort du cerf sacré (2017, Yorgos Lanthimos), la série Chernobyl (2019), etc. Jeune acteur également expérimenté, Jarvis nous est moins familier car sa filmographie a une portée internationale moindre, exception faite de Lady Macbeth réalisé en 2016 par William Oldroyd. Sa remarquable interprétation dans le rôle principal de Calm with horses pourrait rebattre les cartes.

Au-delà de ce duo principal, les autres personnages bénéficient aussi d’une forte caractérisation. L’ensemble forme un kaléidoscope d’une société irlandaise de seconde zone. La violence, physique ou sociétale, semble pouvoir resurgir en marge de chaque scène. Ce constat confère au film un intérêt grandissant au fur et à mesure du dévoilement des tenants et aboutissants de l’histoire racontée. Ainsi, Calm with horses évolue sans changer radicalement de registre. Peu à peu, la psychologie des personnages s’épaissit. Le récit bien mené et sans temps mort parvient à intéresser puis à captiver. Les variations de rythme laissent les spectateurs sur le qui-vive.

Dans sa première réalisation destinée au grand écran, Nick Rowland parvient donc par sa mise en scène inspirée à projeter les états d’âme du personnage principal. Le film, adaptation d’un roman, embarque les spectateurs au fur et à mesure de la bascule psychologique de son protagoniste central. Ancien boxeur de talent, d’abord perçu comme une simple brute, ses faiblesses finiront par se/le révéler derrière sa masse physique.


L’intégrale de Joanna Hogg

L’intégrale de Joanna Hogg est dédiée à la réalisatrice anglaise sélectionnée à la Quinzaine des réalisateurs cette année avec The souvenir. Cette dernière réalisation en date révèle la fille de Tilda Swinton (avec Tilda Swinton) en 2 parties de 2 heures chacune.

Unrelated (2007, Joanna Hogg)

Royaume-Uni, 1h 40m

Avec Tom Hiddleston, Mary Roscoe, Kathryn Worth

Alors que son mariage bat de l’aile, Anna trouve refuge auprès de son amie Verena, qui passe les vacances d’été avec sa famille en Toscane. De nature réservée, Anna peine à trouver sa place et se rapproche peu à peu d’Oakley, un bourreau des cœurs bien plus jeune qu’elle…

Notre avis (2.5/5) : Ce n’est que dans le dernier tiers de Unrelated que l’argument du synopsis est enfin abordé. Le dénouement dévoilé ne valait pas pour autant une si longue attente. Joanna Hogg se plait à filmer des séquences dont leur point commun est leur caractère anodin. La plupart des scènes, écrites ou improvisées, n’alimente pas le récit qui finalement restera peu conséquent.

Que reste-t-il alors au film ? Probablement son cadre qui met en scène les paysages cinématographiques de la Toscane et les intérieurs d’une maison bourgeoise. Unrelated a la légèreté d’un film de vacances. C’est plaisant un temps mais on devine rapidement que le récit porté sera peu conséquent. La mise en scène sage n’éveille pas plus d’intérêt. Les cent minutes de Unrelated en paraissent bien plus. Le film donne la sensation d’assister à une succession de saynètes sans que le montage technique ne parvienne à établir un véritable liant entre elles. Il n’y a ainsi ni progression dans la narration, ni relief dans le drame existentiel proposé.

Archipelago (2010, Joanna Hogg)

Royaume-Uni, 1h 54m

Avec Kate Fahy, Tom Hiddleston, Lydia Leonard, Amy Lloyd, Christopher Baker

Avant son départ pour un voyage humanitaire en Afrique, Edward retrouve sa mère et sa sœur pour des vacances en famille sur l’île de Tresco. Son père, censé les rejoindre, se défile à la dernière minute. Son absence fait remonter à la surface colères enfouies, rivalités voilées et tensions réprimées…

Notre avis (2.5/5) : Dans ce deuxième long-métrage de fiction, Joanna Hogg reprend le même schéma narratif que celui déployé dans Unrelated réalisé trois ans plus tôt. Le casting de Archipelago est cependant plus resserré et les lieux tant intérieurs qu’extérieurs de l’île anglaise de Tresco ont moins de charmes que ceux de la Toscane.

Si Archipelago colle plus sur la durée à l’argument du synopsis avancé que Unrelated, le traitement proposé échoue malgré tout à captiver son auditoire.  Là encore, à l’image de Unrelated, Archipelago aurait gagné à être plus concis. Le retrait de certaines scènes inutiles aurait permis d’atteindre sans difficulté cet objectif.

Exhibition (2013, Joanna Hogg)

Royaume-Uni, 1h 44m

Avec Viv Albertine, Liam Gillick, Tom Hiddleston

Quand D. et H., couple d’artistes contemporains, décident de vendre la maison dans laquelle ils vivent depuis leur rencontre, ils disent adieu à 20 ans de vie commune sous le même toit. Ce bouleversement fait resurgir les premiers émois, les rêves, et les doutes dont a été témoin cette maison au rôle finalement si déterminant dans leur relation.

Notre avis (3/5) : Après Unrelated (2007) et Archipelago (2010), Joanna Hogg réalise Exhibition en 2013. La thématique abordée demeure la même : une crise existentielle ancrée dans un lieu très identifié. La trajectoire tracée par la réalisatrice est donc sans surprise sur le fond. Le casting mis en œuvre est encore resserré en comparaison aux deux précédents long-métrages réalisés par Hogg. En effet, seul un couple est mis en scène dans Exhibition, là où, une famille l’était dans Archipelago et une famille et quelques amis l’étaient dans Unrelated.

Sur la forme, derrière un titre quelque peu racoleur, la réalisatrice ne déroge pas à ses prises de vue en caméra fixe. Mais, comparativement à ses deux précédentes réalisations, Hogg s’aventure à quelques recherches visuelles qui permettent de relever une mise en scène classique.