Lumière 2017 (Wong Kar-wai)

Après successivement Clint Eastwood, Milos Forman, Gérard Depardieu, Ken Loach, Quentin Tarantino, Pedro Almodóvar, Martin Scorsese et Catherine Deneuve, c’est le réalisateur chinois Wong Kar-wai qui recevra le 9ème Prix Lumière. Il lui sera remis lors du festival Lumière qui se tiendra à Lyon et dans sa Métropole du samedi 14 au dimanche 22 octobre 2016. Ce prix lui est attribué pour ses films inclassables qui sont autant d’éclats de beauté, pour la trace qu’il laisse déjà dans l’histoire du cinéma, pour ce que son œuvre a de splendide et d’inachevé.

« C’est un grand honneur pour moi d’être le récipiendaire de ce prix et une grande fierté de rejoindre ceux qu’il a déjà distingués », a déclaré Wong Kar-wai.

Le Prix Lumière a été créé par Thierry Frémaux et Bertrand Tavernier afin de célébrer à Lyon une personnalité du septième art, à l’endroit même où le Cinématographe a été inventé par Louis et Auguste Lumière et où ils ont tourné leur premier film, Sortie d’Usine, en 1895. Parce qu’il faut savoir exprimer notre gratitude envers les artistes qui habitent nos vies, le Prix Lumière est une distinction qui repose sur le temps, la reconnaissance et l’admiration.

Le programme complet du festival est disponible au format pdf sur ce lien.

Film d’ouverture

La mort aux trousses

d’Alfred Hitchcock (1959)

Le publiciste Roger Tornhill se retrouve par erreur dans la peau d’un espion. Pris entre une mystérieuse organisation qui cherche à le supprimer et la police qui le poursuit, Tornhill est dans une situation bien inconfortable. Il fuit à travers les Etats-Unis et part à la recherche d’une vérité qui se révèlera très surprenante.

Notre avis (4/5)Des cadres contraignants

Wong Kar-wai : Prix Lumière 2017

In the mood for love

de Wong Kar-wai (2000, 1h38)

Hong Kong, 1962. madame Chan (Maggie Cheung) loue une chambre chez madame Suen. Le même jour, sur le même palier, monsieur Chow (Tony Leung Chiu-wai) s’installe, lui, chez monsieur Koo. Tous deux emménagent sans l’aide de leurs conjoints, absents ce jour-là. La femme de M. Chow travaille à la réception d’un hôtel et le mari de Mme Chan est très souvent en voyage à l’étranger. Sans savoir comment tout cela a pu commencer, M. Chow et Mme Chan découvrent que leurs époux sont amants. Blessés, ils se fréquentent alors de plus en plus.

Fraichement restaurée, la copie de In the mood for love est présentée en avant-première mondiale en clôture de ce festival Lumière 2017. Le travail réalisé est de qualité même s’il semble qu’il ait été effectué un léger sur-étalonnage du vert.

Notre avis (4/5) : Près de vingt ans après sa réalisation, In the mood for love arbore des qualités esthétiques toujours aussi éclatantes et fulgurantes. Sous le célèbre thème composé Shigeru Umebayashi et les ralentis orchestrés par Wong Kar-wai, le temps semble suspendu notamment quand les personnages incarnés par Maggie Cheung et Tony Leung, parfaitement « appareillés », vont s’approvisionner en nouilles. Des scènes ultra-célèbres auxquelles nous préférons celle, d’une extrême complexité technique, qui intervient au mitan du film. Sur deux mouvements d’aller-retour latéraux et par un savant jeu de miroirs et masquages partiels du champ de la caméra, le visage de chaque personnage apparait ou disparait au profit de l’autre.

Carte blanche à Wong Kar-wai

(Films chinois des années 2000)

Infernal affairs

d’Andrew Lau et Alan Mak (2002, 1h41)

Ming (Andy Lau) a infiltré la police pour le compte d’une organisation criminelle. Au sein des forces de l’ordre, il passe pour une recrue exemplaire et gravit les échelons. Yan (Tony Leung Chiu-wai) a suivi l’itinéraire inverse et joue les taupes au sein de la pègre. Condamnés à mener une double vie, les deux hommes se livrent un duel impitoyable pour se démasquer et s’éliminer mutuellement.

Notre avis (2.5/5) : Andrew Lau et Alan Mak livrent avec Infernal affairs un film d’espionnage en milieu policier solide au scénario particulièrement bien pensé. Premier élément d’une trilogie, ce film puise allègrement dans les codes cinématographiques des polars américains. Cependant, ces multiples emprunts ne se déclinent pas en une volonté de renouveler ces codes. Dès lors, il n’est pas étonnant que Infernal affairs ait fait l’objet quatre ans plus tard d’un remake outre-Atlantique : Les infiltrés (2006) de Martin Scorsese.

Le mystère Clouzot

L’assassin habite… au 21

de Henri-Georges Clouzot (1942, 1h24)

Quatre crimes ont été commis en un mois à Montmartre. Le meurtrier, cynique, signe ses forfaits en laissant sur le corps de ses victimes une carte au nom d’un mystérieux M. Durand. L’inspecteur Wens (Pierre Fresnay) est chargé de l’enquête, mais il n’a pas le moindre indice. Les meurtres s’enchaînent et la maîtresse de Wens, Mila-Malou (Suzy Delair), à qui son imprésario conseille quelque coup d’éclat, décide elle aussi de débusquer l’assassin. L’affaire semble avancer le jour où un chiffonnier révèle à Wens que l’assassin pourrait bien habiter une pension de famille, au 21 de l’avenue Junot…

En avant-séance, Jean-Paul Salomé indiqua que L’assassin habite… au 21 d’Henri-Georges Clouzot et sa vaste galerie de rôles secondaires avaient été une source d’inspiration pour la réalisation de son premier long-métrage en 1991, Crimes et jardins. Alors principalement connu comme scénariste, Henri-Georges Clouzot réalise ici un premier film, une comédie policière teintée de cynisme et d’une vraie noirceur.

Notre avis (3/5) : La première réalisation d’Henri-Georges Clouzot est une libre adaptation du roman policier éponyme de Stanislas-André Steeman, romancier dans la tradition de Georges Simenon. Le cinéaste dote son premier film d’une réalisation certes classique mais déjà maîtrisée. Il  s’aventure ainsi vers quelques mouvements d’appareil intéressants et propose une belle variation de cadres notamment dans la scène d’interrogatoire au commissariat du docteur Linz (Noël Roquevert). Le réalisateur livre une sorte de cluedo en quasi huis clos dans la pension des Mimosas sise au 21 avenue Junot. La narration fluide est parfaitement rythmée par d’incessantes et savoureuses vacheries que se lancent les protagonistes. La plus belle des caractéristiques de L’assassin habite… au 21 demeure la galerie de personnages bien campés dressée avec brio. Autour de l’inspecteur Wenz (Pierre Fresnay), Clouzot fait vivre une douzaine de personnages caractérisés avec soin jusqu’à un épilogue un peu abrupt.

Le corbeau

de Henri-Georges Clouzot (1943, 1h32)

Saint-Robin est une petite ville de province comme une autre. Jusqu’au jour où un déluge de lettres anonymes s’abat sur ses habitants. Signées « Le Corbeau », elles ciblent les notables, un à un, et particulièrement le docteur Germain (Pierre Fresnay), accusé d’être un avorteur et l’amant de la femme de son collègue, le docteur Vorzet (Pierre Larquey).

Notre avis (4/5) : Si Henri-Georges Clouzot inspire son récit d’un fait divers des années 1920, c’est bien de la France d’alors dont il est question, à savoir celle de 1943 sous occupation allemande. A sa sortie, Le corbeau fit l’unanimité contre lui car, avec une ambiguïté prêtant le flan à la critique, Henri-Georges Clouzot dresse un portrait acerbe de la France et de ses composantes : autorités politiques comme simples citoyens résistants ou pas.

Le réalisateur se prête à un véritable petit jeu de massacres. Il fait de tous ses protagonistes des suspects. Puis, nombreux d’entre eux seront accusés sur la base de peu d’éléments confondants pour certains. Que cela relève de la graphologie ou pas, tout est écrit avec précision mais sans concession.

Miquette et sa mère

de Henri-Georges Clouzot (1950, 1h35)

La Belle Époque. Dans une petite ville de province, la jeune Miquette (Danièle Delorme) travaille avec sa mère (Mireille Perrey) dans la boutique familiale. Urbain de la Tour-Mirande (Bourvil), neveu du marquis local (Saturnin Fabre), est épris de la jeune fille. Mais le vieil homme refuse cette union. Après avoir assisté à une représentation, Miquette rêve de théâtre. Après quelques ruses et mensonges, le marquis obtient un rôle pour Miquette dans une tournée…

En avant-séance, Jean Ollé-Laprune souligna la rareté de ce film de commande, divertissant et mal aimé. Ici, Henri-Georges Clouzot porte au cinéma un Vaudeville déjà maintes fois adapté par le passé à l’écran. Il fait quelques expérimentations dans son adaptation d’une pièce de théâtre au cinéma : cartons et, au milieu de dialogues, apartés des comédiens avec les spectateurs.

Les tournages avec Henri-Georges Clouzot étant réputés difficiles en particulier pour les actrices, Danièle Delorme avait obtenu l’ajout d’une clause à son contrat lui permettant de quitter le plateau en cas de conflit avec le metteur en scène. Elle n’eut pas à faire jouer cette clause, le tournage de Miquette et sa mère a pour réputation d’avoir été le plus paisible de la filmographie du metteur en scène.

Notre avis (3/5) : Première comédie et film en costume de Henri-Georges Clouzot, Miquette et sa mère dénote dans l’œuvre cinématographique de son auteur, ici réalisateur, coscénariste et dialoguiste. Dans cette libre adaptation de la pièce de théâtre éponyme, Clouzot parodie et force le trait de sa comédie, un genre qu’il juge inférieur au drame. Un avis dont il fait étalage au détour d’une réplique du film. Si Bourvil et Danièle Delorme forment un couple de jeunes amoureux candides en mode histrion, Louis Jouvet en théâtreux besogneux et Saturnin Fabre relèvent le niveau d’interprétation d’un casting hétéroclite.

Les quelques cartons dispersés tout le long du film semble le découper en actes comme une pièce de théâtre. Miquette et sa mère est aussi émaillé de quelques regards-caméras durant lesquels un personnage interrompt son dialogue avec son interlocuteur pour adresser un court aparté à destination des spectateurs pour leur faire part de ses sentiments de l’instant.

Le film convainc notamment quand Clouzot parvient à mélanger dans une même séquence la fiction racontée et une représentation de théâtre amateur avec le personnage campé par Jouvet en tête de file. Ce procédé est employé pleinement lors du dernier tiers de Miquette et sa mère.

La vérité

de Henri-Georges Clouzot (1960, 2h10)

Dominique Marceau (Brigitte Bardot) comparaît aux assises pour le meurtre de son amant, le chef d’orchestre Gilbert Tellier (Sami Frey). Jeune femme libérée, ses mœurs la condamnent d’avance. Dominique ne nie pas et entreprend de raconter comment elle en est arrivée à tirer sur celui qu’elle aimait.

Lors de sa présentation du film en avant-séance, Anne Le Ny mentionna que le film était inspiré d’un réel procès d’assises. Pendant trois ans, Henri-Georges Clouzot assista à ce type de procès dont il assurait des comptes rendus journalistiques.

Notre avis (3.5/5)Henri-Georges Clouzot fait l’autopsie du procès aux assises de son héroïne meurtrière incarnée par Brigitte Bardot dans son premier rôle de tragédienne. Au fil de ce procès, le drame nous est dévoilé en treize flashbacks distribués par ordre chronologique. Ces flashbacks répondent à l’audience aux assises et inversement. Symbolique du nombre treize aidant, c’est dans l’ultime flashback que se jouera le drame. En couvrant l’essentiel des quatre-vingt-dix premières minutes, ces flashbacks retirent à La vérité l’aspect film de procès qui le menaçait. La vérité-titre est celle du crime passionnel, l’unique vérité plaidée aux assises alors que le procès mis en images se focalise plus volontiers sur la vie dissolue de l’héroïne que sur son crime. Au fil d’un scénario précis, c’est une jeunesse libre qui s’oppose à leurs aînés puritains et moralisateurs.

Ce film de Clouzot est émaillé de belles joutes orales entre l’accusation, maître Eparvier incarné par Paul Meurisse, et la défense, maître Guérin sous les traits de Charles Vanel. Les deux comédiens s’offrent une belle opposition.

La prisonnière

de Henri-Georges Clouzot (1968, 1h46)

Élégant et cynique, Stanislas Hassler (Laurent Terzieff) est le propriétaire d’une galerie d’art moderne. Lors d’un vernissage, Josée (Élisabeth Wiener), la compagne de Gilbert (Bernard Fresson), un artiste exposé, tombe sous la coupe de Stanislas. L’homme, énigmatique, aime photographier les femmes nues dans des positions parfois humiliantes. Intriguée, puis séduite, Josée entre dans le jeu de Stanislas…

Notre avis (2.5/5) : Dans ce qui sera son ultime film, Henri-Georges Clouzot renouvelle son cinéma en empruntant à la Nouvelle Vague façon Jean-Luc Godard et au Blow-up de Michelangelo Antonioni. Alors que les évènements de mai 68 sont encore récents, le réalisateur articule le récit de La prisonnière autour de l’amour libre teinté de sadomasochisme. La narration à la fois débridée et retenue ne passionne pas. Par contre, les traitements visuels et sonores pratiqués durant les trente premières minutes et durant l’épilogue sont dignes d’intérêt car porteurs d’une réelle proposition cinématographique.

Westerns classiques

L’homme qui tua Liberty Valance

de John Ford (1962, 2h03)

Le sénateur Ransom Stoddard (James Stewart) revient à Shinbone pour l’enterrement de son vieil ami Tom Doniphon (John Wayne). Interrogé par un journaliste local, il raconte son arrivée dans cette petite ville de l’Ouest et les événements qui entourèrent la mort d’un bandit du nom de Liberty Valance (Lee Marvin)…

En avant séance, Bertrand Tavernier souligna le caractère testamentaire de ce film pour son auteur. John Ford y livre tout ce qu’il pense de la vie et y enfouit toutes ses obsessions : la loi, l’éducation, l’acceptation des étrangers. Sur ce dernier point et comme de nombreux autres films du réalisateur, L’homme qui tua Liberty Valance est peuplé d’exilés. Ici, la figure de l’étranger est principalement incarnée par l’acteur noir américain Woody Strode. Cette petite production associée à un nouveau scénariste pour John Ford en la personne de James Warner Bellah ne trouva son financement que grâce au soutien de John Wayne.

Notre avis (3/5) : Ce western peut être qualifié de crépusculaire. Il l’est d’abord par sa photographie à la tonalité renforcée par un noir et blanc sobre. Il l’est ensuite dans son genre cinématographique d’appartenance, le western. Alors qu’en 1962, tout semblait avoir été montré dans les westerns, John Ford, expérience aidant, parvient à éviter les clichés du genre et réussit à faire arpenter des sentiers nouveaux à un brillant casting emmené par James Stewart et John Wayne. Le metteur en scène a su aussi imprimer à L’homme qui tua Liberty Valance une allure alerte alimentée par de nombreuses ruptures de tonalité. Certaines répliques sont excellemment senties telle que ce « C’était mon steak, Valance » que John Wayne assène au redouté Liberty Valance incarné par Lee Marvin !

La poursuite infernale

de John Ford (1946)

1882, en Arizona. Les frères Earp, Wyatt, Morgan et Virgil, qui conduisent leurs troupeaux vers l’Ouest, font escale à Tombstone. La nuit venue, Virgil est tué et le bétail est volé. Wyatt (Henry Fonda) accepte d’endosser le rôle de shérif de la petite ville pour élucider l’assassinat de son jeune frère. Il est bientôt séduit par la jeune Clementine Carter (Cathy Downs), venue rejoindre son fiancé à Tombstone. Mais la famille Clanton et ses hommes règnent d’une main de fer sur la région.

Dans sa présentation du film, Christian Carion mit l’accent sur la qualité de filmage des grands espaces exercée par John Ford. Ici, ce sont ceux de Monument Valley qui servent de décorum et de leçon de filmage dans l’alternance des plans larges et serrés. Carion prit ensuite place à côté de Luc dardenne et Jean-Paul Salomé pour visionner la copie fraîchement restaurée par la 20th Century Fox.

Notre avis (3/5) : Il est des films dont le titre demeurera à jamais insatisfaisant. Le qualificatif « infernale » n’est pas des plus appropriés pour qualifier la chasse vengeresse mise en scène. De même, le titre original My darling Clementine réduit le long métrage de John Ford à sa partie romancée, certes présente mais pas essentielle. Les mouvements de caméra sont classiquement chez Ford rares et limités dans leur ampleur. Si le récit demeure convenu et le twist classique, les scénaristes ont cependant cherché à le sortir des clichés en l’émaillant de quelques singularités : un possible adversaire souffreteux préférant le champagne au whisky, l’invocation de Shakespeare, l’usage d’un parfum au chèvrefeuille ou encore l’atypique personnage incarné par Linda Darnell.

À la qualité de la gestion des espaces extérieurs s’ajoute celle des volumes intérieurs. Qu’ils soient larges ou étroits, Ford applique à tous les espaces se présentant dans le champ de sa caméra sa science d’utilisation des lignes de fuite. La beauté des cadres composés et des prises de vue calculées sont magnifiées par un noir et blanc lumineux et une gestion prodigieuse de la profondeur de champ.

La chevauchée des bannis

d’André de Toth (1959)

Dans une bourgade du Wyoming, l’éleveur Blaise Starrett (Robert Ryan) s’oppose aux fermiers voisins. Mais le règlement de compte est interrompu par l’arrivée de bandits en cavale. Pour débarrasser le village de la horde de fuyards, Starrett promet de les mener vers la liberté, à travers une terrible tempête de neige…

Lors de la présentation du film, Aurélien Ferenczi mentionna qu’il subsistait un doute sur l’auteur du scénario de La chevauchée des bannis. En effet, Philip Yordan est avant tout connu pour avoir fait travailler des scénaristes bannis et certains éléments laissent à penser qu’André de Toth et Robert Ryan seraient les coscénaristes de ce film. Pour sa part, Luc Dardenne souligna la dureté et la tension du film à travers la lecture des intentions que le réalisateur avait couchées noir sur blanc quelques années plus tard.

Notre avis (4/5) : Dès son prologue, le film est frappé d’un sentiment de fatalité qui ne sera jamais remis en question par la suite. Dès la deuxième scène, remarquablement dialoguée, les personnages incarnés par Helen Crane et Robert Ryan sont mis en opposition. Il est question d’un passé peu glorieux. L’avenir est à peine évoqué et exclusivement dans des termes défaitistes et sans emploi du conditionnel. L’actrice toute de noir vêtue porte déjà le deuil. La mort rode dès les premiers instants dans cette bourgade d’une vingtaine d’âmes et sans représentant de la loi. Le Wyoming environnant, enneigé et désert, semble un bout du monde isolé de tout et régi par aucune loi.

Sans aucune star à son casting, La chevauchée des bannis pourrait passer pour un western de série B. Mais les qualités de la mise en scène d’André de Toth élèvent ce western parmi les meilleurs du genre. En hésitant avec malice entre champ et hors-champ, le metteur en scène opte en définitive pour un bord de cadre pour « dévoiler » sa scène d’extraction d’une balle de colt. Cette douloureuse expérience pour le blessé se voit ainsi transcender en petite séance de torture pour les spectateurs. Finement orchestrée, la scène de bagarre à mains nues s’avère aussi efficace avant que, musique entêtante à l’appui, les mouvements de caméras à 360 degrés sur la scène de danse ne nous fassent perdre la tête.

Aux sacrifices humains viendront s’ajouter ceux de chevaux dans une deuxième partie de film durant laquelle le titre du film trouve toute sa justification. Dans la profondeur des neiges, l’enlisement des hommes et des chevaux menace, le finale ne peut être que fatal, sans issue, désespéré.

Histoire permanente des femmes cinéastes

Jeunes filles en uniforme

de Leontine Sagan (1931, 1h35)

À la mort de sa mère, Manuela (Hertha Thiele), fille d’officier, est envoyée dans une institution pour jeunes filles. Dans ce pensionnat à la discipline rude, Mademoiselle von Berburg (Dorothea Wieck) est une préceptrice adorée de ses jeunes élèves. Très vite, Manuela s’éprend de son professeur. Mais lorsque l’adolescente avoue publiquement son amour, le scandale éclate.

Durant sa présentation, Delphine Gleize plaça Jeunes filles en uniforme entre Zéro de conduite et M le maudit tout en évoquant un film sensuel et charnel, véritable plaidoyer pour l’homosexualité féminine. Un film de femmes au casting exclusivement féminin et réalisé par une femme de théâtre, Leontine Sagan qui signe ici son premier long-métrage.

Notre avis (2.5/5) : Le mot uniforme présent dans le titre du film évoque bien sûr la tenue règlementaire du pensionnat de jeunes filles qui sert d’unique décor au film. Il suggère aussi l’ordre militaire puisque ordre et discipline règnent en ce lieu, jusqu’à souligner ces deux mots sur un même sous-titre. Les rubans et les médaillons que le personnel féminin encadrant porte trônent comme des décorations militaires. De même, dans les réunions de ces encadrants, on parle invariablement allemand, anglais ou français comme dans un conseil de guerre où les stratégies à suivre sont discutées.

Jeunes filles en uniforme est un film subversif à plus d’un titre. Il y a l’homosexualité féminine, un tabou renforcé par le fait que cette homosexualité s’exprime dans le cadre d’une relation entre une femme majeure et une jeune fille mineure. Pour leur part, les rapports dominants-dominés sont surlignés par une mise en scène usant de cadres étonnants et de prises de vue signifiantes. Enfin, la subversion est aussi d’ordre politique. Les allusions à la situation politique allemande du début des années 30 (film réalisé en 1931) est guère allusive. N’entendons-nous pas au détour d’un dialogue que la faim et la soumission sont nécessaires au retour à la grandeur d’une patrie…

Together

de Lorenza Mazzetti (1956, 0h52)

Deux dockers sourds-muets (Michael Andrews et Eduardo Paolozzi) vivent dans le vacarme des quartiers Est de Londres. Ignorant les moqueries, ils mènent, côte à côte, une vie solitaire entre docks désolés et pubs sordides. Un jour, un drame survient.

Notre avis (3/5) : En réalisant Together en 1956, Lorenza Mazzetti signe l’acte de naissance du Free cinema. Ce cinéma social anglais s’intéressera à la classe ouvrière britannique et aux quartiers populaires. L’un des intérêts de Together réside dans le filmage du East End londonien transformé au mitan des années 50 en vaste chantier.

L’autre intérêt du film réside dans le traitement d’un récit ténu. Dès la première séquence, les cadres proposés surlignent les handicaps des deux principaux protagonistes, sourds et muets. Les cadrages ciblent les mains de celui qui « parle » et le regard de celui qui « écoute ». Les rares dialogues entendus sont ceux des scènes dans lesquelles nos deux héros sont absents, étrangers ou pas parties prenantes. Par cette expérience singulière, Mazzetti place le spectateur dans une situation voisine de ses deux acteurs en vue de restituer deux handicaps sur lesquels se nouent le drame final.

Sublimes moments du muet

Un chapeau de paille d’Italie

de René Clair (1928, 1h55)

Alors que Fadinard (Albert Préjean) est en chemin pour son mariage, son cheval croque à belles dents le chapeau de paille d’Anaïs (Olga Tschechowa). Celle-ci, en galante compagnie, craint que la disparition du chapeau n’éveille les soupçons de son mari. Les amants exigent qu’il soit remplacé par un modèle identique. Suivi de toute la noce, Fadinard se lance à la recherche du chapeau compromettant…

Lors de sa présentation du film, Émilie Cauquy de la cinémathèque française précisa que la restauration 4K faite en 2016 portait sur la version originale et musicale de 1928 en noir et blanc colorisé. La musique composée par Raymond Alessandrini et jouée par treize musiciens a été soigneusement synchronisée aux actions montrées dans le film.

Notre avis (3/5) : Dans Un chapeau de paille d’Italie, René Clair relève le défi de porter au cinéma la pièce de théâtre éponyme portée par ses dialogues et ses chansons, deux caractéristiques inexploitables dans le cinéma muet. Clair accroit la difficulté de son pari jusqu’à l’utilisation d’un faible nombre de cartons durant les deux heures du film. Avec comme fil directeur le chapeau-titre, le réalisateur amène chaque action par des objets et privilégie un comique visuel et mécanique jouant sur des détails et des répétitions. La version restaurée projetée est de qualité mais avec un grain assez prononcé et une dernière bobine non colorisée.

Le masque de fer

d’Allan Dwan (1929, 1h35)

La naissance d’héritiers jumeaux, à la cour de Louis XIII (Rolfe Sedan), est une menace pour le royaume de France. Inquiet, le cardinal de Richelieu (Nigel De Brulier) décide de garder la nouvelle secrète et envoie le premier-né en Espagne. Mais le comte de Rochefort (Ullrich Haupt), ambitieux et fourbe, s’empare de l’enfant, qu’il élève dans une haine féroce de son frère. Pendant ce temps, d’Artagnan (Douglas Fairbanks) veille sur Louis XIV (William Bakewell). Mais le moment venu, le comte fait enlever le souverain et installe son jumeau sur le trône.

Notre avis (3/5) : Dans Le masque de fer, Douglas Fairbanks porte plusieurs casquettes : celle de l’acteur bien sûr, celle du coproducteur et celle du coscénariste sous le pseudonyme d’Elton Thomas. Omniprésent devant la caméra, Fairbanks ne ménage pas ses efforts et incarne un d’Artagnan en partie burlesque au fil de multiples péripéties. Peut-être trop nombreuses, ces dernières permettent au film d’être animé d’un rythme sans temps mort.

Cette superproduction réalisée par le très prolifique Allan Dwan relève de la grande fresque plus politique (complots et trahisons / succession de Louis XIII) qu’historique. Les nombreux figurants costumés évoluent sur une bande originale foisonnante orchestrée par Hugo Riesenfeld. Cet ultime film muet de Fairbanks marquera aussi la fin de l’âge d’or du comédien. Dans une belle utilisation de la profondeur de champ, quelques mouvements de caméra sont à remarquer telle cette caméra devançant un groupe de chevaux montés. Notons enfin deux séquences sonores entièrement dédiées aux vocalises du « king of Hollywood ».

Rétrospective Harold Lloyd

Faut pas s’en faire

de Fred C. Newmeyer et Sam Taylor (1923, 1h)

Harold (Harold Lloyd) est un milliardaire oisif, doublé d’un hypocondriaque notoire. Accompagné de son valet et de son infirmière, il part en quête de repos sur une île d’Amérique latine du nom de Paradisio. Comble de la malchance, une révolution éclate. Éternel ingénu, Harold ne semble pas se rendre compte de la situation…

Notre avis (2.5/5) : Éternellement placé entre Buster Keaton et Charlie Chaplin, Harold Lloyd coréalise Faut pas s’en faire et y interprète un personnage lunaire, étranger à son environnement. Il fait ainsi de ce film, aidé par quelques cascades et trucages vidéo, l’un des plus proches de l’univers de Buster Keaton qu’il ait produit. L’univers de Faut pas s’en faire est assez singulier et étranger pour les spectateurs et son protagoniste principal. Les codes vestimentaires employés font penser au Mexique et les nombreux figurants mis en scène sont ceux d’une véritable armée mexicaine.

Ça t’la coupe !

de Fred C. Newmeyer et Sam Taylor (1924)

Harold (Harold Lloyd) est un jeune tailleur bégayant, paralysé devant la gent féminine. À ses heures perdues, il rédige pourtant un manuel de séduction, prétendument inspiré de sa propre expérience. Le manuscrit achevé, il décide de le soumettre à un éditeur. En chemin, il tombe sous le charme de Mary (Jobyna Ralston), promise à un autre homme.

Notre avis (2.5/5) : De facture classique, ce film avec Harold Lloyd se démarque cependant par une longue séquence de poursuite parfaitement orchestrée durant laquelle le maître du slapstick empruntera de nombreux moyens de déplacement. Cette séquence fera référence et sera maintes fois imitées notamment par Buster Keaton en 1925 dans Fiancées en folie.

Vive le sport !

de Fred C. Newmeyer et Sam Taylor (1925, 1h16)

Harold (Harold Lloyd) est un étudiant en mal de popularité. Il est prêt à tout pour conquérir le campus, mais ses tentatives maladroites font de lui la risée de ses camarades. Son unique chance de réhabilitation ? Rejoindre l’équipe de football !

Avant d’aller rejoindre Luc Dardenne dans la salle pour assister à la projection 35 mm du film, Benoît Heimermann souligna qu’Harold Lloyd demeurait moins connu que ses contemporains Buster Keaton et Charlie Chaplin. Trois explications peuvent être avancées : Lloyd a joué dans moins de longs-métrages que Keaton et Chaplin, il ne s’est jamais mis en scène et incarne un personnage à la physionomie moins marquée.

Si ses deux compères avaient choisi la boxe pour réaliser leur film sur le sport, Lloyd en fit de même dans La soupe au lait mais son grand film sur le sport reste ce Vive le sport ! Et si le football américain a été le sport retenu, cela est essentiellement dû à son producteur Fred C. Newmeyer, amateur de cette discipline. Heimermann fit remarquer que les scènes faisant apparaître du public sont des prises de vue faites sur un public réel.

Notre avis (3/5) : Dans Vive le sport !, Harold Lloyd ne ménage pas ses efforts et fait preuve d’un enthousiasme à toute épreuve. Le rythme du film demeure ainsi soutenu de bout en bout. Que Lloyd fasse office de sparring-partner ou soit le doigt sur la couture, son engagement est sans faille. Notons en début de film l’utilisation d’intertitres à la calligraphie originale.

William Friedkin

Le convoi de la peur

de William Friedkin (1977, 2h01)

Quatre étrangers au passé trouble (Roy Schneider, Bruno Cremer, Francisco Rabal et Amidou) échouent dans une dictature sud-américaine et s’engagent dans une compagnie pétrolière. Lorsqu’un puits s’enflamme, il faut combattre le feu par explosion. Contre la promesse d’une vie meilleure, les quatre hommes acceptent d’acheminer un chargement de nitroglycérine par camions, à travers une jungle épaisse et pleine de dangers…

Lors de la présentation du film, Jean-Paul Salomé évoqua le tournage cauchemardesque du Convoi de la peur qui passa notamment par un changement de chef opérateur ou encore par la construction de deux ponts pour respectivement 1 et 3 millions de dollars. Dès sa genèse ce projet en forme de pari fut compliqué et émaillé de multiples contretemps dont un changement complet du casting après les désistements successifs de Steve McQueen, Marcello Mastroianni et Lino Ventura. Et si la distribution finale s’avère moins « bankable », le budget de production ne se limita pas pour autant au montant initialement estimé.

Notre avis (3/5) : Si William Friedkin roule de mécaniques hors d’âge et bricolées, c’est au détriment de la psychologie de ses quatre héros incarnés par Roy Schneider, Francisco Rabal, Bruno Cremer et Amidou. Le parcours de ces derniers, long de 218 km, s’annonce chaotique et explosif. Il le sera, même à bas régime, par un filmage nerveux et un montage calculé. Parmi les instants de bravoure, il y a bien sûr celui de la traversée du pont par les deux camions sous des trombes d’eau. William Friedkin réalise ainsi son Fitzcarraldo (1982, Werner Herzog) non pas sur, mais sous les flots. La fin hallucinée du trajet est l’aboutissement et le prolongement d’un projet hallucinant.

Le cinéma français par Bertrand Tavernier

Voyages à travers le cinéma français

de Bertrand Tavernier (2017, 1h52)

En huit épisodes – près de sept heures et demie de projection -, Bertrand Tavernier, cinéaste-cinéphile, poursuit sa plongée dans le cinéma français des années 1930 à 1970, entamée en 2016 avec son film Voyage à travers le cinéma français.

Épisode 7 : Les Méconnus – 54 min

Épisode 8 : Mes années 60 – 58 min

Notre avis (3.5/5) : Dans l’épisode 7, Bertrand Tavernier se penche sur des cinéastes Méconnus tout en avouant en avant-séance avoir eu quelques difficultés à les distinguer de leurs confrères Oubliés (épisode 6). Il confesse ainsi avoir fait des choix forcément arbitraires. L’épisode 7 s’ouvre sur le premier film français en couleur, La terre qui meurt réalisé en 1936 par Jean Vallée et récemment restauré avec l’aide du CNC. Des images étonnantes, un rôle peu commun attribué à l’acteur Pierre Larquey pour un film encore très actuel sur le monde paysan. Bertrand Tavernier souligne aussi les dialogues de grande qualité écrits par Charles Spaak, dialoguiste que l’auteur de Laissez-passer a grandement réévalué au fur et à mesure de la réalisation de Voyages à travers le cinéma français.

Outre Jean Vallée, ce septième épisode fait aussi la part belle à trois autres réalisateurs méconnus. D’abord Pierre Chenal, notamment à travers L’alibi (1937) qui confronte Louis Jouvet à Erich von Stroheim ou encore le remarquable Rafles sur la ville (1958) où apparaissent Charles Vanel et Michel Piccoli dans des rôles singuliers pour ces deux comédiens. Ensuite Henri Calef, autre réalisateur peu connu et dont Bertrand Tavernier met en avant des longs-métrages tels que Jericho (1946) sur des dialogues signés Charles Spaak et Bagarres (1948).

L’auteur de L.627 ne dénombre que cinq réalisatrices dans le cinéma parlant français avant l’avènement d’Agnès Varda. Parmi celles-ci, seule Jacqueline Audry fait l’objet d’un traitement dans cet épisode dédié aux réalisateurs méconnus. Côté féminin, une courte attention est accordée à la réalisatrice Nelly Kaplan.

 

Dans l’ultime épisode intitulé Mes années 60, Bertrand Tavernier prend ses collaborations avec Pierre Rissient pour fil rouge. À la Nouvelle Vague dont il a adoré le travail de Claude Chabrol mais n’a pas eu accès à ses images ainsi que celui d’Éric Rohmer traité plus largement, Bertrand Tavernier préfère le cinéma engagé, politique, voire anarchiste. Ainsi sont vus des extraits d’interviews et/ou de films de René Allio, José Giovanni, Michel Deville, Jacques Deray (scène d’ouverture de Rififi à Tokyo, gestion des espaces dans La piscine) ou encore Jacques Rouffio.

L’évocation de Pierre Granier-Deferre à travers deux de ses films, Le chat et La veuve Couderc, offre au réalisateur l’occasion de rendre de nouveau hommage à Jean Gabin et d’en faire de même à destination de Simone Signoret. Jean-Pierre Marielle fait aussi l’objet d’une attention particulière à travers des extraits de ses truculents dialogues de L’amour c’est gai, l’amour c’est triste (1971) réalisé par Jean-Daniel Pollet. Une verve qui, sans transition, mène le débat sur Nuit et brouillard (1956) avant que Bertrand Tavernier n’évoque encore Alain Resnais avec Hiroshima mon amour (1959) puis Je t’aime, je t’aime. Ce dernier film réalisé en 1968 relève d’un choix opportun pour saluer son auteur mais aussi son acteur principal, Claude Rich récemment disparu. Et puis le titre Je t’aime, je t’aime sonne comme un appel de Bertrand Tavernier au cinéma parlant français.

Finalement, le dernier réalisateur invoqué sera Christian-Jaque qui dans Un revenant (1946) s’empare d’un fait réel lyonnais. Le film dialogué par Henri Jeanson s’attaque avec un certain mordant au conformisme et à la pingrerie de la bourgeoisie lyonnaise.

Centenaire Jean-Pierre Melville

Bob le flambeur

de Jean-Pierre Melville (1956, 1h38)

Bob (Roger Duchesne), ancien gangster, s’est retiré des affaires pour se consacrer à son unique passion, le jeu. Il fréquente des tripots où se croisent des individus plutôt louches. Un soir, il rencontre Anne (Isabel Corey), une jeune fille, qui, faute d’argent, est sur le point de se prostituer. Bob décide de l’aider financièrement et de l’accueillir chez lui. Paulo (Daniel Cauchy), jeune homme vouant une admiration sans bornes à Bob, ne tarde pas à s’intéresser à la jeune fille. Bob, ruiné, décide de se refaire et accepte de cambrioler le casino de Deauville le jour du Grand Prix.

Dans son excellente présentation du film avant sa projection, Jean-Claude Raspiengeas nous informa que le tournage de Bob le flambeur avait duré quatre mois. Une durée longue non pas liée à la complexité du projet mais au manque de moyens financiers qui contraignit Jean-Pierre Melville à procéder à un filmage par bribes. Ce film est construit sur le premier scénario original que le réalisateur porta à l’écran. Il marque aussi l’entrée de son auteur dans le polar noir bien que Melville considérait ce film plus comme une comédie de mœurs dans le monde des truands à l’ancienne.

Notre avis (4/5) : Dans ce premier polar, Jean-Pierre Melville impose un style différent de celui constaté dans les séries noires à la française. Le réalisateur emprunte bon nombre des codes des polars produits par cinéma américain mais y adjoint une façon de filmer, notamment les extérieurs, très moderne. Bob le flambeur réalisé en 1956 contient déjà quelques éléments de ce qui fera quelques années plus tard le succès des films de la Nouvelle Vague. À travers son personnage-dandy principal incarné par Roger Duchesne (et connu du milieu parisien), Melville déroule une intrigue assez simple dont on peut regretter un épilogue un peu expéditif dans son exécution.

Séances spéciales

Chronique d’un monde d’images

de Christian Guyonnet (2017, 59 min)

« Il y a soixante-dix ans, en 1946, la France a été à l’avant-garde en créant le Centre national de la Cinématographie. Il visait à soutenir et protéger un cinéma national sous les décombres de la Seconde Guerre mondiale. Chargé d’aider au financement de la création et de réguler les marchés du cinéma et de l’audiovisuel, sa mission est aussi d’entretenir et de valoriser le patrimoine cinématographique. » (Chronique d’un monde d’images, CNC / Cherche-Midi)

Depuis 1946, le CNC est un acteur-clé du paysage cinématographique français. Entre préservation du passé et enjeux de demain, entre les pouvoirs publics et les professionnels, le Centre mène une politique de soutien en faveur du cinéma, art mais aussi industrie. Sa naissance fut un moment important dans l’histoire des institutions culturelles.

À travers les interviews de grands cinéastes et des extraits d’œuvres marquantes de l’histoire du cinéma, Chronique d’un monde d’images souligne la richesse et la vitalité d’un secteur qui, tout en préservant son passé, regarde inlassablement vers l’avenir.

Documentaire vu lors du Festival du Film Francophone d’Angoulême 2017, voici l’avis que nous portions alors.

Notre avis (3/5) : Les cinq premières minutes de ce documentaire sont consacrées à des témoignages élogieux de réalisateurs à l’adresse du CNC. Passée cette introduction en forme d’auto-promotion, le documentaire gagne en intérêt en alternant extraits de films et interviews en français de réalisateurs reconnus (Gavras, Haneke, Polanski, Mungiu, Varda, Kaplish, etc.). En interrogeant ces cinéastes sur ce qu’est le cinéma, un film, la cinéphilie ou encore les motivations à réaliser un long-métrage, Chronique d’un monde d’images éclaire le 7ème art d’une lumière nouvelle.

Grandes projections

1900

de Bernardo Bertolucci (1976, 5h16)

Alberto (Robert De Niro) et Olmo (Gérard Depardieu) sont nés le même jour, au cœur de l’été 1900, au sein d’un domaine agricole de la province d’Émilie, au nord de Italie. L’un est le petit-fils du propriétaire (Burt Lancaster), l’autre celui d’un des métayers (Sterling Hayden). Amis, ils grandissent ensemble, dans un climat qui oppose les paysans et leurs patrons.

Récemment restauré, 1900 de Bernardo Bertolucci fait l’objet de sa deuxième première mondiale après avoir été projeté au festival de Venise en septembre dernier. Cette information nous est fournie par Thierry Frémaux qui, avant la projection du film, tient à préciser que c’est la véritable version originale qui sera projetée, à savoir la version italienne et non anglaise.

Notre avis (4.5/5)Les Rouges et les Noirs

Reds

de Warren Beatty (1981, 3h15)

1915. John Reed (Warren Beatty), dit Jack, jeune homme originaire d’une famille aisée de Portland, est journaliste au journal radical The Masses. Militant pour les droits des travailleurs, il s’engage contre l’entrée en guerre des États-Unis. Jack rencontre Louise Bryant (Diane Keaton), épouse d’un dentiste, journaliste et militante féministe. S’engage alors entre eux une relation libre, passionnelle et intellectuelle. Jack propose à Louise de le suivre à New York.

Notre avis (2/5) : Dans son biopic du couple formé par les journalistes militants John Reed (Warren Beatty, acteur) et Louise Bryant (Diane Keaton), Warren Beatty, réalisateur, insère en plans fixes des témoignages anonymes contemporains face caméra et sur fond noir. L’identité de ces témoins n’est révélée que dans le générique de fin sans que la nature de leur lien avec les deux protagonistes ne soit indiquée. D’un intérêt variable et manquant de contextualisation, ces témoignages viennent interrompre la narration et, pour certains, empiéter sur la partie biopic de Reds.

Dans celle-ci, Beatty privilégie la romance et les problèmes du couple formé par les deux journalistes au détriment des aspects liés au militantisme politique, notamment dans la première partie du film. La narration avare en repères géographiques et temporels gagne encore en confusion par un montage alterné durant la première heure de projection. Malgré la qualité et la variété des lieux filmés, c’est l’aspect patchwork romancé de Reds qui domine. Le récit sur plus de trois heures de la grande œuvre de Beatty metteur en scène n’atteint que rarement la cible attendue. Enfin, en découpant son long-métrage en deux parties, Beatty engloutit malencontreusement (?) la révolution russe (dans les faits) dans l’ellipse qui sépare les deux parties du film. Au final, la partie russe de Reds est « traitée » en mode breaking news (voix off de journalistes) avant que l’Internationale ne soit utilisée comme relais narratif.

Nouvelles restaurations

L’affaire du courrier de Lyon

de Claude Autant-Lara et Maurice Lehmann (1937, 1h32)

Le 27 avril 1796, la malle-poste de Lyon transporte une importante somme d’argent pour l’armée d’Italie. Mais le convoi est attaqué par des brigands. La police mène l’enquête. Joseph Lesurques (Pierre Blanchar), un bourgeois parisien, victime de sa ressemblance frappante avec le chef des malfaiteurs, est arrêté et condamné à mort.

Notre avis (2.5/5) : Dans L’affaire du courrier de Lyon, Claude Autant-Lara et Maurice Lehmann adaptent à l’écran « l’affaire Lesurques » qui  défraya la chronique à la fin du XVIIIème siècle. Le duo de réalisateurs reconstitue l’évènement puis restitue le procès qui suivit tout en expurgeant le film de tout effet romanesque pesant. La narration ainsi simplifiée aurait alors gagné à faire s’entrecroiser les deux personnages incarnés par Pierre Blanchar, un peu théâtral. Le coupable laisse trop rapidement la place à l’innocent pour ne la reprendre qu’en toute fin de métrage. La réalisation est classique mais le film bénéficie de quelques bons mots imaginés par Jean Aurenche.

Ressorties

Le coureur

d’Amir Naderi (1984, 1h34)

Amiro (Majid Niroumand), 12 ans, vit seul sur les bords du Golfe persique, dans la cale d’un bateau abandonné. Tour à tour, il cire les chaussures des étrangers, ramasse des bouteilles vides ou vend de l’eau glacée. Mais Amiro apprend très vite que, pour survivre, il doit lutter, courir et être le premier. Rêvant d’horizons nouveaux, le petit garçon sait qu’il ne lui manque qu’une chose pour remporter la course : apprendre à lire.

En avant-séance, la représentante du distributeur du film fit le constat que le réalisateur iranien Amir Naderi était plus connu par les festivaliers que par le grand public. Réalisé en 1985, quelques années après la révolution que connut l’Iran, ce film a su contourner la censure en mettant en scène un enfant. L’année 1985 était aussi marquée par la guerre entre l’Iran et l’Irak ce qui contraignit le réalisateur à déplacer son tournage dans dix villes différentes en fonction de l’avancée du front.

Notre avis (2/5) : La narration du Coureur est exigeante et très (trop ?) métaphorique. En mettant en scène son jeune protagoniste dans divers petits boulots mal rémunérés et en le déplaçant de rues en terrains vagues, Amir Naderi confère à son film un aspect programmatique. Le port ouvert sur la mer, les bateaux prenant le large, les trains et l’aérodrome sont autant d’invitations à un ailleurs moins miséreux pour Amiro, jeune orphelin. L’espoir d’un départ pour un autre pays est figuré par les marins et les touristes se faisant cirer les chaussures contre quelques pièces. La clé d’un possible départ réside dans l’alphabétisation de notre jeune héros. Un alphabet qu’il faudra répéter à haute voix et le crier peut-être. Sans cet apprentissage et sans combattre âprement l’adversité de chaque instant, le doux espoir d’Amiro pourrait fondre comme un pain de glace…

Trésors et curiosités

Morceaux d’amour

d’Ivan Cherkelov (1989)

Trois jeunes couples, amis de longue date, vivent ensemble, comme une seule et même famille. Bientôt, chacun réalise que cette existence hermétique, coupée du monde, ne les rend plus heureux. Entre culpabilité et insatisfaction, les relations entre les amis commencent à s’envenimer…

Morceaux d’amour a été écrit et réalisé en 1988 par Ivan Cherkelov soit un an avant la chute du communiste dans le bloc de l’Est. Ce long-métrage iconique et emblématique en Bulgarie est l’un des films fondateurs de la nouvelle vague du cinéma bulgare. Le très récent travail de restauration 2K du film a duré un mois et demi et a été mené sur l’initiative d’Ivan Cherkelov suite à la découverte d’une copie en négatif à Berlin où vit désormais le réalisateur bulgare.

Notre avis (3.5/5)Ivan Cherkelov met en scène trois couples amis. Sans enfant, approchant la trentaine, ces trois hommes et femmes d’interrogent sur leur existence alors que leur amitié est mise en danger. Le réalisateur emploie des filtres de couleur dont les teintes changent d’une scène à l’autre avec cependant une prédilection pour la couleur marron. Ce procédé maintenu durant toute la durée du métrage ne relève pas d’un effet arty. L’ambiance chromatique obtenue est parfaitement étalonnée entre douceur et austérité et permet de remplacer les couleurs par des nuances voisines les unes des autres. Agrémenté d’une belle bande originale, Morceaux d’amour n’a rien d’ostentatoire mais tout d’une petite pépite très nouvelle vague et traversée par quelques fulgurances visuelles remarquables.

Vers l’inconnu ?

de Georges Nasser (1957, 1h20)

Dans les montagnes du Liban, un homme (Nazha Younes) et sa famille vivent dans la pauvreté. En quête d’une vie meilleure, il abandonne sa femme et ses fils et part pour le Brésil. Les années passent, la mère élève seule ses enfants. Vingt ans plus tard, le cadet s’apprête lui aussi à quitter le village, lorsqu’un vieillard vêtu de guenilles fait son apparition.

Dans sa présentation du film, Myriam Sassine de la société Abbout Productions précisa que Vers l’inconnu ? a été le premier film libanais à avoir fait l’objet d’une exploitation à l’étranger. Il eut l’honneur d’une sélection à Cannes ainsi que le deuxième des trois films réalisés par Georges Nasser. Le tournage pendant onze mois de Vers l’inconnu ? s’explique par le peu de matériels dont disposait le metteur en scène en 1957.

Notre avis (2/5) : Georges Nasser aborde le thème de l’abandon des terres natales par les pères et fils à la recherche d’un ailleurs meilleur, en l’occurrence le Brésil. Sans métaphore, le récit se montre didactique. Avant tout figurative et statique, l’incarnation des personnages se révèle perfectible. Vers l’inconnu ? prend même sporadiquement des airs de document ethnographique à grand renfort de danses et de musiques locales quand ces dernières ne viennent pas surligner le pathos sous-jacent. Et, malgré les apparences, si la reconnaissance n’a pas lieu, le lien du sang demeurera la seule vérité.

La dame sanguinaire

de Viktor Kubal (1980, 1h14)

Au château de Čachtice vit la jeune et douce comtesse Elizabeth. Alors qu’elle se promène dans un bois voisin, un orage éclate. Souffrante, elle trouve refuge chez un bûcheron qui reste à son chevet. La comtesse tombe éperdument amoureuse de lui, mais doit retourner au château. Avant de le quitter, elle lui offre littéralement son cœur. Dès lors, Elizabeth se transforme en une créature cruelle et glaciale. La légende de la dame sanglante est née.

Notre avis (2/5) : Réalisé en 1980 par Viktor Kubal, La dame sanguinaire est un film d’animation slovaque qui est resté longtemps invisible jusqu’à sa récente restauration. Kubal, caricaturiste, scénariste et réalisateur a été l’auteur de plus de deux cents courts-métrages avant de réaliser son premier long-métrage en 1976.

Dans La dame sanguinaire, Kubal retrace la légende d’une comtesse slovaque qui fut accusée d’atroces sévices pratiqués sur des jeunes filles. Par l’intermédiaire de dessins très simples, voire enfantins, le réalisateur crée un univers atypique. D’abord doux et poétique, l’ambiance s’assombrit progressivement au fur et à mesure de l’avancée du récit notamment par l’emploi d’une musique devenant de plus en plus heurtée et lugubre.

L’intérêt de ce film d’animation réside dans la figuration de la violence et de la folie au moyen de dessins simples et dans l’utilisation de la symbolique du cœur.