Lumière 2022 (Tim Burton)

Sections de la 14ème édition du Festival Lumière couvertes sur cette page  :

  • Louis Malle, le solitaire du cinéma français
  • Sidney Lumet, le prince de New York
  • André de Toth, les films hongrois
  • Sublimes moments du muet
  • Grands classiques du noir et blanc
  • Souvenirs de Bertrand Tavernier
  • Lumière Classics
  • Trésors et curiosités


Louis Malle

Le solitaire du cinéma français

La petite / Pretty baby (1978, Louis Malle)

Petite (La)

1917, à La Nouvelle Orléans, dans un des bordels du quartier chaud de Storyville. Violet (Brooke Shields), 12 ans, assiste à l’accouchement de Hattie (Susan Sarandon), sa mère. Arrive un jour Bellocq (Keith Carradine), un jeune photographe, qui arrache à la patronne l’autorisation de venir tous les jours photographier ses sujets favoris : les prostituées. Bientôt, il se lie d’amitié avec Violet, qui va bientôt en devenir une à son tour.

Notre avis (3.5/5) : La petite (1978), premier film de la période américaine de Louis Malle, reste encore aujourd’hui un film rare. Une rareté qui n’a d’égal que le caractère controversé de ce long-métrage. Faut-il voir en ce constat une relation de cause à effet ? Possible. Du livre Storyville, New Orleans d’Al Rose, panorama historique du Quartier Rouge de 1880 à 1917, le cinéaste français tire parmi les interviews proposées des témoins de cette époque celui de Violet. Alors âgée de douze ans (l’âge de son interprète à l’écran : Brooke Shields), Violet apprend dans la maison close où elle réside le métier de prostituée.

Malle aborde ainsi des sujets tabous et scabreux – pédophilie et prostitution enfantine – particulièrement délicats à exploiter. Tout écart de traitement d’un sujet qui s’y prête volontiers pourrait faire glisser le film vers le graveleux et la vulgarité. Le développement mis en œuvre est précis et délicat, souvent en limite du raisonnable (et au-delà du concevable aujourd’hui dans le 7ème art : nudité de la jeune actrice), mais jamais les limites à ne pas dépasser ne sont violées.

La petite s’expose (à la critique) dans de larges mesures au même titre que ses actrices mais évite la surexposition. Le cinéaste se positionne ni en juge ni en procureur. Il déroule longuement son exposé pour n’introduire finalement que (très) tardivement les contre-points alors qualifiés de « puritains ». Ainsi, dans son ultime partie précédée d’un épilogue qui fera disparaître la sphère patiemment constituée, La petite échappe in extremis à l’œuvre-thèse sans contradiction. Pour autant, cela ne dépare pas ce long-métrage d’une certaine ambiguïté renforcée par le fait que Malle filme avec complaisance une maison close présentée comme une nurserie ou un cocon familial somptueusement mis en photographie par Sven Nykvist, chef opérateur notamment de Ingmar Bergman.

Vanya, 42e rue / Vanya on 42nd street (1994, Louis Malle)

Vanya, 42e rue

New York, 42e rue, le New York Amsterdam Theatre. Des comédiens répètent la pièce Oncle Vanya d’Anton Tchekhov, sous la direction du metteur en scène André Gregory, au sein d’un théâtre désaffecté.

Notre avis (3/5) : Après My Dinner with Andre réalisé en 1981, Louis Malle remet Wallace Shawn et André Gregory dans le champ de sa caméra. Le premier interprète le rôle-titre de la pièce Oncle Vanya, le second endosse son propre rôle, à savoir celui du metteur en scène sur les planches de cette pièce de théâtre d’Anton Tchekhov.

Le cinéaste plonge ces deux acteurs au sein d’une troupe de théâtre en pleine séance de répétition de ladite pièce de théâtre. Il procède ainsi à une mise en abime se doublant d’une sorte de synthèse hybride entre documentaire et fiction. En effet, Vanya, 42e rue renvoie à la fiction par le jeu des comédiens alors que la forme adoptée renvoie au documentaire.

L’action prend place dans une unité de lieu constituée par le New Amsterdam Theatre alors délabré et restauré depuis par la compagnie Disney. Malle n’effectue pas ou très peu de de mise en scène et se contente de filmer simplement. Certaines séquences, en début de métrage en particulier, semblent ainsi avoir été prises sur le vif.

Cette absence d’effets cinématographiques permet une totale mise en relief des excellentes compositions délivrées par la poignée de comédiens réunis au casting de Vanya, 42e rue. On notera en particulier la belle gestion des émotions ressenties par Brooke Smith et Julianne Moore.

Dans ce qui restera son ultime film, Malle capte avec brio et une distance toujours adéquate les trajectoires évolutives de ses comédiens entre séances de travail et représentation théâtrale. Vanya, 42e rue est plus que du cinéma-théâtre auquel il candidatait naturellement.


Sidney Lumet

Le prince de New York

Le prêteur sur gages / The pawnbroker (1964, Sidney Lumet)

Prêteur sur gages (Le)

Sol Nazerman (Rod Steiger) a émigré aux États-Unis. Juif allemand, rescapé d’Auschwitz, il y a perdu son épouse et ses enfants. Désormais, il est prêteur sur gages à Harlem. Il a pour employé un jeune délinquant, Jesus Ortiz (Jaime Sanchez), bien décidé à gagner sa vie légalement. Sol accepte de blanchir l’argent d’un truand…

Notre avis (4.5/5) : Le prêteur sur gages a vu sa sortie en salles retardée de deux ans, la censure prétextant une scène de nudité. La raison plus crédible de la censure de ce film est à chercher dans son contenu. Sidney Lumet s’empare du traumatisme psychologique vécu par son personnage principal prénommé Sol (Rod Steiger, Ours d’argent du meilleur acteur en 1964) et survivant de l’holocauste. Bien qu’entouré, Sol, irascible, vit en solitaire. Sa boutique de prêts sur gages à New York, véritable capharnaüm, agit comme une prison non pas physique mais mentale pour Sol.

Cette boutique est le lieu de passage quotidien de New Yorkais désargentés à la recherche d’un prêt de quelques dollars. Le prêteur sur gages constitue en définitive une radiographie d’une population américaine défavorisée, indifféremment blanche ou noire. En filigrane, Lumet dénonce une société où seul l’argent compte et où, face à la pauvreté ambiante, la violence peut surgir à tout instant. Le réalisateur fait aussi la chasse aux aprioris couramment véhiculés autour de la population de confession juive.

La diatribe proposée est extrêmement brillante et parfois difficile à regarder, voire glaçante (scène d’anthologie dans une rame du métro new yorkais). La psyché malade de Sol est restituée à l’écran par l’insertion sporadique d’images du passé traumatique de ce protagoniste central. Et, toujours très efficace dans sa mise en scène, Lumet relève la fin de son film par des scènes très dynamiques tournées en direct dans quelques rues de New York. Le choix d’un traitement distancié de l’holocauste donne au Prêteur sur gages une atmosphère très spécifique qui colle au mental en sortie de projection.

Enfin, ce remarquable film de Lumet baigné dans un beau noir et blanc composé par Boris Kaufman est aussi le réceptacle de la première musique de film signée par Quincy Jones.

Le gang Anderson / The Anderson tapes (1971, Sidney Lumet)

Gang Anderson (Le)

Duke Anderson (Sean Connery) sort de prison, après dix ans derrière les barreaux. Il retrouve une ancienne maitresse, Ingrid (Dyan Cannon), particulièrement bien installée dans un immeuble luxueux. Lui vient alors une idée : « visiter » chaque appartement et faire le casse du siècle. Il commence à recruter son équipe : Haskins (Martin Balsam), antiquaire, The Kid (Christopher Walken), petit malfrat aux talents d’électricien et Spencer (Dick Anthony Williams), militant d’une organisation révolutionnaire et futur chauffeur du camion de déménagement…

Notre avis (3.5/5) : Le gang Anderson réalisé en 1971 est un film-charnière dans la filmographie de Sidney Lumet car c’est celui qui fait basculer le cinéaste dans les thématiques du Nouvel Hollywood. Ici, il s’agit de confronter essentiellement le personnage principal du film interprété par Sean Connery à sa paranoïa. L’acteur signe ici sa deuxième collaboration avec le cinéaste après La colline des hommes perdus (1965). Et, un an avant le scandale du Watergate, Lumet filme l’Amérique sous surveillance de masse du début des années 70.

Ce film de casse à l’ambition narrative certaine est très bien réalisé autour d’un excellent groupe de comédiens dans lequel on note la présence d’un jeune débutant : Christopher Walken. Le scénario recèle quelques choix surprenants et originaux et multiplie les intrigues permises par la multiplicité des protagonistes en présence. La gestion des ruptures de ton et le découpage de la narration sont précis et efficaces. Quelques séquences, notamment humoristiques, viennent désamorcer la frénésie d’actions sur laquelle repose Le gang Anderson.

Equus (1977, Sidney Lumet)

Equus

Alan Strag (Peter Firth), 17 ans, comparaît devant un tribunal. Une nuit, dans le haras où il travaille, il a crevé les yeux de six chevaux à l’aide d’un crochet métallique. La magistrate chargée de l’affaire (Eileen Atkins) décide de confier l’adolescent à son ami psychanalyste Martin Dysart (Richard Burton). Commence alors un long travail pour reconstituer un puzzle mental…

Notre avis (3.5/5) : Signé Sidney Lumet, Equus surprend. Le cinéaste new-yorkais passé maître dans la réalisation collant à la réalité de son Amérique contemporaine livre ici un film très psychologique. Le film explore l’espace mental, les traumatismes et la folie de ses protagonistes principaux interprétés, comme sur les planches, par Peter Firth et Richard Burton. Ce long-métrage déborde même sur les pentes du mysticisme et échappe ainsi, de bout en bout, au réalisme qui imprègne les autres réalisations du cinéaste new-yorkais.

Equus est l’adaptation sur grand écran de la pièce de théâtre éponyme écrite par le dramaturge Pater Shaffer crédité ici au scénario. Cette pièce de théâtre inspirée d’un fait divers fut un énorme succès auprès du public au début des années 70. La maîtrise technique de la mise en scène est, comme à l’accoutumé, parfaite chez Lumet. L’aridité du récit se reflète dans cette mise en scène dans laquelle le cinéaste fait des choix audacieux comme par exemple ces séquences en regard-caméra sur le personnage interprété par Burton. Ces scènes d’autoanalyse face à la « normalité », voire de confession, participent à l’instauration d’une atmosphère anxiogène rehaussée par l’usage de gros plans dont certains sont zoomés à l’extrême. En définitive, Equus est une œuvre hybride des plus singulière et difficilement identifiable y compris dans la filmographie pourtant riche de son auteur.

7h58 ce samedi-là / Before the devil knows you’re dead (2007, Sidney Lumet)

7h58 ce samedi-là

Deux hommes masqués attaquent une bijouterie dans la banlieue de New York. L’un reste dans la voiture tandis que l’autre pénètre dans la boutique. Tout se passe mal, des coups de feu sont tirés. Le chauffeur quitte les lieux seul, en catastrophe.

Notre avis (4/5) : 7h58 ce samedi-là est l’ultime film réalisé par Sidney Lumet alors âgé de 83 ans. On aurait pu imaginer un film paisible pour clore une œuvre cinématographique remarquable. Il n’en est rien. 7h58 ce samedi-là est animé d’une dynamique surprenante notamment dans ses scènes d’action qui bénéficient d’une mise en scène imaginative. Certes, ce film sec sans rédemption possible et hanté de personnages cyniques ne porte aucun message profond et n’appelle pas à de savantes réflexions mais on a connu des fins de filmographie bien plus ternes et désolantes que celle-ci.

L’intérêt du film réside principalement dans le schéma narratif très astucieux mis en œuvre. La scène de braquage et de l’issue dramatique de celui-ci ouvre le long-métrage. Le fil narratif ne cessera ensuite de tracer des boucles temporelles. Les trois premières proposent autant de flashbacks et sont chacune dédiées à l’un des trois personnages principaux (successivement Ethan Hawke, Philip Seymour Hoffman et Albert Finney). Les deux premiers flashbacks creusent le passé alors que le troisième remonte le temps que d’une journée avant le braquage pour ensuite commencer à rendre compte de l’après braquage. Ces trois premières boucles temporelles forment autant de chapitres annoncés à l’écran. Le récit de l’après braquage relève du même procédé sans être annoncé à l’écran. Il est donc laissé aux spectateurs le soin d’être attentifs aux itérations narratives proposées. Chacune progresse dans le temps tout en ménageant un feedback post-braquage plus ou moins étendu.

Notons enfin la belle direction d’acteurs, discipline dans laquelle Lumet était passé maître de longue date. Seymour Hoffman et Hawke livrent notamment de solides prestations. Alors que le cinéma contemporain souffre souvent de scénarios insuffisamment travaillés, ne boudons pas notre plaisir devant 7h58 ce samedi-là dont l’indéniable qualité première est l’ingéniosité mise dans l’écriture scénaristique. L’effort d’écriture est d’autant louable qu’il n’est pas fait à dessein. Les boucles narratives précitées débouchent naturellement sur un récit fragmenté mais dont l’objet n’est pas d’introduire une complexité dans la narration. Ces itérations viennent jeter progressivement la lumière sur des faits et des actes puis sur leurs conséquences. C’est brillamment imaginé et parfaitement restitué. Un regret peut-être, celui de constater la non conservation d’un titre original magnifique – Before the devil knows you’re dead – pour l’exploitation du film en pays francophones.


André de Toth

Les films hongrois

5 heures 40 / 5 óra 40 (1939, André de Toth)

5h40

Paris. Marion (Mária Tasnády Fekete) s’est séparée de son mari (Tivadar Uray) il y a peu, mais l’homme, un aventurier, continue de la tenir en son pouvoir. Elle demande de l’aide au juge d’instruction Henri Tessier (Ferenc Kiss), son ancien fiancé, qui enquête alors sur le meurtre d’une célèbre cantatrice. Tous les indices désignent le mari, également connu sous le nom de Bijou. Pourtant, il nie tout.

Notre avis (3.5/5) : 5 heures 40 fait partie des premiers films réalisés en Hongrie par André de Toth avant son exil aux Etats-Unis. Ne dérogeant pas à ses principes (tests ?) de visite d’un genre cinématographique spécifique dans chacune de ses réalisations durant sa période hongroise, le cinéaste s’empare ici des codes du polar. 5 heures 40 est ainsi le premier thriller hongrois. De Toth souhaitait introduire dans chacun de ses films quelque chose d’inédit dans le cinéma hongrois où, jusque-là, le crime n’était pas représenté à l’écran.

Préfigurant peut-être son départ outre-Atlantique, 5 heures 40 bénéficie d’une mise en scène à la fois très classique et très américaine. Au-delà du fait qu’elle soit déjà très maîtrisée, elle n’est ainsi pas sans nous faire penser à celle de Frank Capra. En effet, les plans sont élaborés et le rythme est dynamique et sans temps mort. Au même titre que les plans, la photographie confiée à István Eiben est travaillée. Enfin, parmi les autres qualités détectables dans ce long-métrage figure un récit bien ficelé et moderne porté par des dialogues dont l’écriture est soignée. Autant de qualités qui valurent à ce long-métrage le prix du film le plus avant-gardiste à la Mostra de Venise.

Deux filles dans la rue / Két lány az utcán (1939, André de Toth)

Deux filles dans la rue

Deux jeunes femmes, Gyöngyi (Mária Tasnádi Fekete) et Vica (Bella Bordy), se rencontrent au hasard des rues de Budapest. Toutes deux ont fui leur même petit village. Elles décident de s’installer ensemble et leurs vies ne tardent pas être bouleversées.

Notre avis (3.5/5) : Deux filles dans la rue surprend à plus d’un titre. Il y a d’abord un sujet audacieux qui met en scène deux jeunes femmes en protagonistes principales (Mária Tasnádi Fekete et Bella Bordy) faisant causes communes. Dans les sphères parcourues, l’immobilier et les arts, la gente masculine filmée est volontiers prédatrice notamment par l’abus d’influence et de harcèlements. Si les immeubles sont en construction, la vie des deux personnages féminins principaux reste à construire dans un environnement peu porteur et hostile. Il est donc ici question de la lutte de ces deux femmes pour leur indépendance et leur émancipation. Les questions soulevées par ce drame social étaient peu traitées dans le cinéma hongrois de l’entre-deux-guerres.

L’autre surprise apportée par Deux filles dans la rue réside dans sa mise en scène. André de Toth procède par tableaux successifs pour visiter divers genres filmiques. Sans chercher à être exhaustif, citons notamment le cinéma muet, le théâtre filmé, le réalisme de séquences tournées dans les rues de Budapest au milieu de la population locale, les scènes de cabaret et de music-hall. Le cinéaste hongrois alterne aussi les séquences filmées en extérieur avec celles composées dans des intérieurs reconstitués ou pas. Les cadrages innovants rivalisent d’efficacité avec la concision narrative mise en œuvre.

Pour parachever ce patchwork de scènes et de genres, de Toth fait l’usage sporadique de transparences permettant la composition à l’écran de mosaïques d’images à la façon de René Clair notamment. Notons que ce vaste enchevêtrement de séquences s’effectue sans transition. Les rares transitions observées entre deux scènes sont cependant particulièrement astucieuses. Et, avec la photographie de Károly Vass (chef opérateur de Leni Riefenstahl et de Fritz Lang pour Le testament du docteur Mabuse), Deux filles dans la rue se pare d’un visuel expressionniste exhumé par des angles de prise de vue inhabituels, des contrastes forts et des jeux d’ombres.

Six semaines de bonheur / Hat hét boldogság (1939, André de Toth)

Six semaines de bonheur

Gábor Bozsó (Ferenc Kiss) est braqueur de coffre-fort. Sa fille Eva (Klári Tolnay), scolarisée dans une prestigieuse école, le croit homme d’affaires. Un jour, elle rencontre un étudiant (László Szilassy) qui vient de se faire dérober dans le bus l’argent destiné à ses frais d’inscription. Témoin de la scène et pour aider le jeune homme, Gábor Bozsó décide de reprendre l’argent au pickpocket.

Notre avis (3.5/5) : André de Toth a réalisé Six semaines de bonheur en 1939 juste avant son exil de Hongrie, son pays natal. Ce long-métrage fait partie des cinq premiers opus de sa filmographie qu’il réalisa en l’espace d’à peine plus d’un an ! Une production rapide dont le défaut réside ici dans une postsynchronisation perfectible. Notons que le cinéaste a pris le risque de faire de son personnage principal interprété par Ferenc Kiss l’auteur d’actes illégaux et d’en faire un héros.

A l’écran, la pure comédie mise en scène se révèle à la fois concise (1h16) et alerte. Six semaines de bonheur recèle aussi la mise en abime d’une pièce de théâtre qui pourrait constituer en soi un film dans le film. L’excellent traitement de cette mise en abime rivalise de subtilités et de finesses. Le geste cinématographique réalisé dans l’urgence (tournage d’une durée inférieure à deux semaines) n’en est que plus remarquable. Dès son début de carrière, de Toth a fait montre d’une efficacité redoutable dans sa mise en scène et a prouvé son efficacité quel que soit le genre cinématographique abordé. Six semaines de bonheur en est une preuve supplémentaire.

La vie du docteur Semmelweis / Semmelweis (1939, André de Toth)

Vie du docteur semmelweis (La)

Professeur dans une clinique de Vienne, Ignác Semmelweis (Tivadar Uray), médecin obstétricien, s’alarme : de nombreuses patientes meurent de fièvre puerpérale après leur accouchement. Il entreprend de comprendre les raisons de cette infection. Lorsqu’il découvre que la solution serait une simple question d’hygiène, la communauté scientifique refuse de le croire.

Notre avis (3/5) : L’ambition d’André de Toth dans La vie du docteur Semmelweiss a été de tirer le portrait du docteur-titre en moins de quatre-vingt minutes. Une gageure qui se décline dans un film en costumes forcément très elliptique. Le scénario mis en images ne s’attarde que sur quelques instants de la vie de ce célèbre docteur qui œuvra durant toute sa vie contre la septicémie qui faisait des ravages parmi les femmes en couche. Sans surprise, la fin du métrage est notoirement très abrupte.

A travers le personnage du docteur Semmelweiss incarné à l’écran par Tivadar Uray, de Toth dépeint le portrait d’un homme tempétueux, colérique mais aussi extrêmement virulent et critique envers ses confrères. Dans sa réalisation, le cinéaste alors encore hongrois prend un soin particulier à mettre en évidence le scepticisme que le Dr Semmelweiss provoquait auprès de ses pairs qui portaient peu d’intérêt à ses observations et à ses travaux.

C’est là le grand intérêt porté par La vie du docteur Semmelweiss qui, aujourd’hui encore, est un des rares films biographiques du cinéma hongrois. Sa réalisation très classique est rehaussée par des positions de caméra inclinées et la photographie contrastée en ombres et lumières du chef-opérateur István Eiben.


Sublimes moments du muet

Dans la nuit (1930, Charles Vanel)

Dans la nuit

Un ouvrier carrier (Charles Vanel) est défiguré à la suite d’une explosion. Pour cacher son visage désormais effrayant, il est obligé de porter un masque, dont il finit par ne plus se défaire. Son épouse (Sandra Milowanoff), qui le soigne, se console auprès d’un autre. Un jour, l’ouvrier surprend les deux amants…

Notre avis (2/5) : Dans la nuit est l’unique long-métrage réalisé par Charles Vanel dont la filmographie en tant que réalisateur sera complétée d’un second élément en 1932, un court-métrage titré Affaire classée et resté confidentiel. Dans la nuit est aussi considéré aujourd’hui comme étant le dernier film muet du cinéma français. En effet, réalisé durant l’été 1929, sa première diffusion dans les salles françaises est datée du 16 mai 1930, date à laquelle le cinéma français mais également mondial a définitivement basculé côté parlant. Les films muets n’attirent alors plus. Ce constat peut expliquer le fait que ce film soit rapidement tombé dans l’oubli.

Le début de Dans la nuit montre l’environnement dans lequel va se dérouler l’action, à savoir une région minière. Puis vient un long préambule relatif aux festivités de la cérémonie de mariage des deux principaux personnages incarnés par Vanel et Sandra Milovanoff. Ce n’est qu’ensuite que le film prend un peu de relief quand survient le drame et la gestion des conséquences de celui-ci jusqu’à un épilogue à oublier car il sacrifie à la facilité scénaristique.

Vanel anime son film d’une réalisation très classique. Les moments aventureux d’un point de vue technique demeurent rares : quelques mouvements de caméra simples en début de métrage avant que celle-ci ne soit embarquée sur une balançoire pour quelques instants. On note l’usage d’images floues pour symboliser un rêve et une scène d’explosion plutôt bien restituée. Il n’y a pas de gestion des transitions entre les plans à de trop rares exceptions près (eau coulant sur l’objectif de la caméra). Enfin, on notera l’usage intelligent d’un masque pour couvrir en partie le visage de l’acteur-réalisateur. Ces éléments disséminés sur toute la durée de Dans la nuit sont en trop faible nombre pour maintenir durablement l’intérêt d’un spectateur cinéphile. Ce « drame d’atmosphère ouvrière », comme Vanel se plaisait à décrire l’histoire racontée qui rendait hommage à son père, réalisé avec sérieux manque d’un rythme plus affirmé.


Grands classiques du noir et blanc

Sciuscia (1946, Vittorio De Sica)

Sciuscia

Au cours de la Seconde Guerre mondiale, deux jeunes enfants, Pascale (Franco Interlenghi) et Giuseppe (Rinaldo Smordoni) rêvent d’acheter un magnifique cheval. Ils survivent en cirant les chaussures et en se livrant à toutes sortes de petits trafics. Un jour, ils sont arrêtés et placés dans une maison de correction à la discipline brutale. Ils parviendront à s’en évader, mais la cruauté de la vie se rappelle toujours à eux…

Notre avis (4/5) : L’année 1946 marque le début du néoréalisme au cinéma. En effet, en septembre, le Festival de Cannes attribue son Prix du Jury à Roberto Rossellini pour Rome, ville ouverte. Quelques mois plus tôt, en avril, Sciuscia sort dans les salles transalpines. Le film est l’œuvre d’un autre cinéaste de renom, Vittorio De Sica. Sciuscia, mal accueilli par les critiques locales dans l’incompréhension, ne trouve pas son public. Ce film fut d’abord un succès à l’international, notamment en France et aux États-Unis.

1946, Sciuscia arrive trop tôt dans une Italie traumatisée par le second conflit mondial. L’Italie ne pouvait alors admettre ce que Bernanos nomme « le scandale de la vérité ». Ce film au casting sans star du 7ème art aborde frontalement un sujet douloureux qui touche à l’avenir du pays : sa jeunesse et le sort qui était réservé à la partie « déviante » de cette jeunesse durant ces (trop ?) récentes années noires. Sans phare, De Sica ne fait que restituer une réalité, cruelle et inhumaine. En cela, Sciuscia est parfois aussi douloureux à regarder qu’essentiel. Un indélébile témoignage qui marque un tournant dans la filmographie de De Sica, côté cinéaste. En effet, lui-même reconnaîtra que « Je crois que Sciuscia […] a marqué la fin de mes mises en scène commerciales, et le début de mes aventures avec les producteurs. À partir de ce moment-là, je n’ai plus jamais trouvé de crédit. » Force est de constater que par la suite, ce sont effectivement les contrats d’acteur de De Sica qui financeront la réalisation et la distribution de ses films.


Souvenirs de Bertrand Tavernier

Autour de minuit / ‘Round midnight (1986, Bertrand Tavernier)

Autour de minuit

New York, 1959. L’ère du be-bop touche à sa fin, et Dale Turner (Dexter Gordon), qui fut l’un des saxo-ténors les plus inspirés de sa génération, voit poindre le bout de la route. Miné par l’alcool et la pauvreté, usé par une lutte incessante contre les préjugés, il livre, dans les boîtes sordides du Bowery, son dernier combat… Quinze ans plus tôt, Dale triomphait à Paris. Au Blue Note, un adolescent de 13 ans découvrait alors, grâce à lui, un son et un univers inconnus, et une raison de vivre. Francis Borier (François Cluzet) est resté fidèle au souvenir de Dale, qui l’a aidé à traverser les épreuves de la guerre d’Algérie. À 28 ans, il continue d’attendre le retour de son idole… 

Notre avis (2.5/5) : Passionné de jazz au même titre que Alain Corneau, Bertrand Tavernier a réalisé Autour de minuit en 1986. Il s’empare du personnage fictionnel de Dale Truner, saxophoniste de renom, pour tirer le portrait de celui qui l’interprète à l’écran : Dexter Gordon. Autour de minuit est ainsi le portrait d’un musicien réputé mais dont la carrière et la santé déclinent. L’homme, comme le musicien, est à reconstruire, à redresser pour qu’il puisse à nouveau composer et peut-être enregistrer un nouvel album.

Gordon est un excellent saxophoniste, parmi les meilleurs de sa génération, mais ses talents d’acteur restent limités. François Cluzet dans le second rôle principal porte tant bien que mal le film bien que sa prestation ne soit pas spécialement remarquable. Les quelques autres acteurs professionnels du casting ont un rôle et une présence à l’écran trop restreints pour prétendre à une appréciation éclairée de leur performance.

Il reste à Autour de minuit des décors nocturnes « gris bleutés » composés par Alexandre Trauner et une bande originale exceptionnelle. Celle-ci vient rehausser et dynamiser une narration quelque peu lancinante alourdie d’un fil narratif secondaire dispensable relatif à la vie professionnelle et familiale du personnage interprété par Cluzet. Finalement, Autour de minuit se déroule à l’écran comme le une partition musicale dirigée par un chef d’orchestre, donc avec sérieux et professionnalisme. Mais nous regrettons la rareté des variations de tempo pourtant nécessaires.


Lumière Classics

Remorques (1941, Jean Grémillon)

Remorques

André Laurent (Jean Gabin) est capitaine du remorqueur Le Cyclope qui pratique le sauvetage des navires, au large de Brest. Sa femme Yvonne (Madeleine Renaud) souffre d’une maladie de cœur et espère le voir renoncer à ce métier qui l’éloigne d’elle continuellement. Au cours d’un remorquage, André rencontre Catherine (Michèle Morgan) et en tombe amoureux.

Notre avis (4/5) : Remorques est un classique du cinéma français. Pourtant son auteur, Jean Grémillon, demeure encore aujourd’hui un cinéaste peu connu ou, plus exactement, marginalisé par la critique face à d’autres metteurs en scène comme Julien Duvivier, Jean Renoir ou Marcel Carné. Dans Remorques, Grémillon reprend de ce dernier le duo principal formé dans Quai des brumes (1938), à savoir Jean Gabin et Michèle Morgan. Ce couple de légendes se fait trio avec Madeleine Renaud dont le jeu, ici, est lumineux et déchirant. L’alchimie entre les trois acteurs fonctionne à merveille impulsée par Gabin dans le rôle principal. Un rôle complexe où l’acteur peut déployer toute sa panoplie de comédien allant de l’homme en colère à l’amant attendri et en passant par l’époux déchiré et abattu.

De la même manière, le mélodrame tissé par le fil narratif du film passe par divers stades pour finir sur des gammes de pur lyrisme. Le savoir-faire de Jacques Prévert qui a collaboré avec Charles Spaak et André Cayatte à l’adaptation du roman éponyme de Roger Vercel et à l’écriture les dialogues n’est certainement pas étranger à ce constat. Remorques prouve, si nécessaire, que Grémillon était un cinéaste-maître de la nature et des personnages confrontés à cette nature.

Non crédité au casting, Jean Carmet fait l’une de ses premières apparitions dialoguées sur grand écran dans ce grand classique du cinéma français d’entre-deux-guerres. Une seconde Guerre Mondiale dont la déclaration a interrompu un temps le tournage avant que celui-ci ne reprenne au printemps 1940 pour s’arrêter de nouveau au mois de juin de la même année. Ainsi, le montage et les scènes de tempête ne débutèrent qu’en novembre 1940. Enfin, les décors démesurés (restaurant, appartement, remorqueur) sont l’œuvre d’Alexandre Trauner.

Mauvais sang (1986, Leos Carax)

Mauvais sang

Alors que Paris est plongée dans une chaleur étouffante, la population est frappée par un virus, le STBO, touchant ceux qui font l’amour sans s’aimer. Dès lors, deux bandes rivales vont se disputer le germe de ce virus, qui devrait permettre de créer un vaccin et sauver la population. Alex (Denis Lavant) tombe amoureux d’Anne (Juliette Binoche), la compagne de Marc (Michel Piccoli), un truand pour qui il travaille…

Notre avis (4/5) : Après Boy meets girl (1984), premier long-métrage remarqué, Leos Carax se fit un nom sur la scène mondiale du 7ème art en 1986 grâce à la réalisation du très accompli Mauvais sang. Ce deuxième métrage est aussi un des tout premiers films à aborder le sida mais de façon non nommée ou, plus exactement, sous l’acronyme STBO. Empruntant son titre au poème éponyme d’Arthur Rimbaud, Mauvais sang se décline à l’écran en un polar poétique et à l’esthétique extrêmement travaillée et inventive.

Dans cette œuvre d’un cinéphile pour les cinéphiles, Carax rend hommage au cinéma de Jean-Luc Godard, au cinéma muet, notamment celui de F.W. Murnau, mais aussi à la bande dessinée par l’intermédiaire de séquences très graphiques. Chaque scène de Mauvais sang est une proposition cinématographique à part entière. Les cadres composés rivalisent tous d’une étonnante précision. Même les décadrages paraissent soigneusement préparés et pensés. Rien n’est laissé au hasard, tout semble calculé et, plus étonnant encore, extrêmement maîtrisé pour un cinéaste alors âgé de seulement vingt-six ans. Mauvais sang fourmille ainsi de trouvailles visuelles, sonores et de mise en scène. La scène d’anthologie du film reste sans nul doute celle, très dynamique, portée par Denis Lavant sur la musique de David Bowie (Modern love).

Mademoiselle Docteur / Under secret orders (1937, Edmond T. Gréville)

Mademoiselle docteur

Un espion allemand découvre qu’il est suivi par des agents britanniques. Il confie l’information secrète qu’il porte à sa petite amie, Anne-Marie Lesser (Dita Parlo). Après son élimination, celle-ci transmet l’information à ses supérieurs. Elle devient espionne à son tour, espérant venger la mort de celui qu’elle aimait.

Notre avis (2.5/5) : L’œuvre cinématographique d’Edmond T. Gréville est insaisissable. Mademoiselle Docteur confirme ce constat. Nul doute que ce film réalisé en 1937 est un film de commande : casting non choisi et narration non portée par le réalisateur. En fait, Mademoiselle Docteur est un remake en langue anglais du film français éponyme mais aussi titré Salonique, nid d’espions réalisé par Georg Wilhelm Pabst en 1937.

Ce long-métrage répond ainsi à un cahier des charges notamment au regard du jeu d’acteur très « appliqué » qui dissimule mal la mécanique mise en œuvre. L’interprétation monolithique du lieutenant Carr par John Loder est désastreuse. A ses côtés, le rôle-titre est incarné par Dita Parlo dont la panoplie d’actrice est reconnue limitée fournit une prestation sans surprise. Seule les interprétations classiques de Erich von Stroheim et celle plus surprenante de Claire Luce dans un rôle secondaire donnent un peu de profondeur à Mademoiselle Docteur. Notons au passage que von Stroheim signe ici sa première collaboration avec Gréville, d’autres suivront : Menaces (1940) et L’envers du paradis (1953).

La narration est sans réelle baisse de régime. Elle permet de dynamiser une réalisation convenue de laquelle n’émergent que quelques trop rares idées cinématographiques. Quand Mademoiselle Docteur prend ses campements à Salonique, le film semble alors tisser un lien plus ou moins lointain avec Pépé le Moko réalisé un an auparavant par Julien Duvivier. Gréville paraît ainsi s’inspirer de ce dernier mais sans parvenir à fournir le même dynamisme de mise en scène. Ce dynamisme tant attendu n’est relevé qu’en fin de métrage lors de la scène du bombardement au demeurant plutôt réussie.

Dans Trente-cinq ans dans la jungle du cinéma, Gréville déclara que « On m’a affirmé depuis que Claire Luce appartenait aux services de renseignements des États-Unis. C’est possible, car elle dégageait beaucoup de mystère et se déplaçait de façon anormale. Dita Parlo fut elle-même plus tard suspectée d’être un agent nazi. Pour un film d’espionnage, pouvais-je trouver mieux que ces deux femmes ? »

Le scénario de ce film d’espionnage dont l’action se situe durant la 1ère Guerre Mondiale s’inspire de la vie d’Elisabeth Schragmüller. Cette scientifique allemande devenue espionne avait pour surnom « Fräulein Doktor » soit « Mademoiselle Docteur » en français.

The long night (1947, Anatole Litvak)

Long night (The)

Alors que des policiers encerclent son immeuble, l’ex-militaire Joe Adams (Henry Fonda) s’enferme dans son appartement. Coupable de meurtre, sans aucun moyen de fuir mais refusant de se rendre, il passe la nuit à se remémorer les événements qui l’ont conduit à cette situation désespérée.

Notre avis (3.5/5) : Pour sa première réalisation d’après-guerre, Anatole Litvak s’attaque à une entreprise périlleuse : réaliser une version américaine d’un des chefs-d’œuvre de Marcel Carné : Le jour se lève (1939). Le récit de The long night est strictement identique à l’original à l’exception d’un épilogue voulu positif par les producteurs. Ce choix d’une fin guère opportune (et à oublier) vient détruire l’édifice dramatique patiemment bâti jusqu’ici.

La narration est maitrisée et bien restituée à l’écran. Dans le rôle principal, Henry Fonda succède à Jean Gabin et soutient la comparaison avec celui-ci. Les autres comédiens demeurent cependant un ton en dessous de leurs homologues français placés sous la direction de Carné dont les talents de directeur d’acteurs ne sont plus à démontrer. L’ampleur de jeu d’Ann Dvorak est moindre que celle d’Arletty par exemple.

Dans sa globalité, si The long night reste inférieur au Jour se lève, film-phare du cinéma français de l’entre-deux-guerres, il n’en demeure pas moins notable. Litvak compose un film intéressant resté inédit en France pendant cinquante ans et encore rare aujourd’hui. A l’époque, le cinéaste fut accusé de plagiat par la critique française et le film ne fut pas distribué en France. Enfin, The long night nous permet d’apprécier Fonda dans ce qui constitue l’un de ses premiers rôles négatifs à l’écran.

Le voyage fantastique / Fantastic voyage (1966, Richard Fleischer)

Voyage fantastique (Le)

Après avoir découvert la formule capable de réduire le corps humain à des proportions microscopiques, le professeur Benes (Jean Del Val) est victime d’un attentat dont il sort grièvement blessé. Pour le sauver, les savants américains décident d’introduire dans son corps des médecins « miniaturisés » qui pourront le soigner au plus près.

Notre avis (3/5) : Le voyage fantastique réalisé par Richard Fleischer en 1966 a le charme de sa désuétude tout en demeurant un classique du cinéma d’anticipation et de science-fiction. Ce film est l’œuvre d’un maître du cinéma d’aventures ayant notamment pour références la réalisation de 20 000 lieues sous les mers (1954) et Les vikings (1958). Le scénario mis en œuvre s’appuie sur un élément de pure science-fiction dont la crédibilité ne fait pas long feu. L’intérêt du film ne réside pas dans son contenu de série B (scénario et interprétations limités) mais dans sa réalisation.

Cette prodiguée par Fleischer est remarquable en l’absence, à l’époque, des facilités aujourd’hui offerte par le numérique. Pareil qualificatif peut être employé en regard de l’ingéniosité requise pour imaginer les trucages vidéo nécessaires au déploiement du récit. On imagine la somme de travail qu’il a fallu fournir pour créer des décors restituant/imaginant l’intérieur du corps humain. A ce titre, l’Oscar des meilleurs décors et de la meilleure direction artistique en couleurs et celui des meilleurs effets visuels obtenus en 1967 ne peuvent souffrir d’une quelconque contestation. Il faut reconnaître que le filmage en scope et en technicolor deluxe baigne les photogrammes du Voyage fantastique dans une photographie somptueuse.

Ultimatum / Lúcio Flávio o passageiro da agonia (1977, Hector Babenco)

Lucio Flavio

Dans les années 60, au Brésil, sous la dictature militaire, Lúcio Flávio (Reginaldo Faria) est un célèbre braqueur de banques. Avec ses complices, il doit affronter Moretti (Paulo César Peréio), un policier corrompu, ainsi que Bechara (Ivan Cândido), le leader d’un « escadron de la mort ». Ce dernier a pour objectif de torturer et de tuer les criminels considérés comme trop dangereux pour la société.

Notre avis (3.5/5) : En 1977, en réalisant Ultimatum, Hector Babenco défie frontalement le pouvoir brésilien de l’époque en dénonçant les agissements de la police œuvrant pour la dictature militaire en place. Entre séances de tortures et assassinats prémédités d’opposants ou de supposés opposants, ces pratiques relèvent de milices appelées « escadrons de la mort ».

Le scénario du film tiré du roman éponyme de José Louzeiro, crédité à l’adaptation cinématographique, dénonce ainsi les agissements policiers au sein d’un Brésil gangréné par la corruption. Le film contraint par la censure maintient l’identité des criminels mais modifie celle des agents des forces de l’ordre.

Cette dénonciation est faite par le biais de la revue biographique au long cours du personnage-titre, célèbre braqueur de banques brésilien ayant réellement existé. La réalisation prodiguée par Babenco est d’excellente qualité sans s’aventurer vers trop de complexité. Le film se décline en un thriller dynamique qui jouit aussi de la qualité homogène du casting réuni.

En fait, le seul défaut qu’on pourrait reprocher aux choix effectués par Babenco serait celui d’avoir fait abstraction de toute contextualisation. En effet, la narration démarre tambour battant et ne comporte aucun élément permettant de dévoiler les réelles intentions et motivations de Lucio Flavio.

Les noces barbares (1987, Marion Hänsel)

Noces barbares (Les)

Violée par un soldat américain, Nicole (Marianne Basler), à peine adolescente, donne naissance à Ludovic. Haï par sa trop jeune mère et ses grands-parents, l’enfant vit caché dans un grenier. La situation ne s’arrange guère après le mariage de Nicole avec Micho (André Penvern), brave et riche mécanicien. Malgré la protection de ce dernier, Ludovic est placé par sa mère dans une institution pour retardés mentaux.

Notre avis (1.5/5) : L’adaptation au cinéma par Marion Hänsel du Prix Goncourt 1985 remis à Yann Queffélec pour son roman éponyme ne convainc pas. Il paraît en effet bien difficile de s’approprier le récit quand celui-ci se déroule sur une vingtaine d’années qui n’ont aucune prise sur l’apparence physique des personnages. Ainsi, dans la dernière partie des Noces barbares, la fille-mère (Marianne Basler, 23 ans) appartient à la même génération que son fils (!) à l’écran (Thierry Frémont, 25 ans).

Dès lors, il apparaît difficile de s’identifier aux personnages qui semblent évoluer dans une temporalité qui paraîtra étrangère à défaut d’être étrange. Malgré les nombreux flashbacks mis en œuvre, l’espace-temps balayé apparaît figé, sclérosé. Là où il devrait être un élément moteur de la mécanique mise en œuvre, l’espace-temps grippe les rouages du mécanisme. La reconstitution des années survolée est poussive. De plus, la gestuelle et le langage employé notamment par le personnage interprété par Basler ne collent pas à la période visitée. Cela pourra paraître cruel mais Les noces barbares est une vraie déception et le temps ne changera rien à l’affaire.


Trésors et curiosités

Un cas particulier / Prípad pre obhajcu (1964, Martin Hollý)

Cas particulier (Un)

Kolár (Stefan Kvietik), avocat du suspect, mène une enquête sur le viol et l’assassinat d’une jeune fille de 14 ans. Grâce aux contradictions dans le dossier, il pense pouvoir blanchir son client (15 ans) et le sauver d’un probable emprisonnement.

Notre avis (2.5/5) : Martin Holly est un des membres de la Nouvelle Vague du cinéma tchécoslovaque. Dans sa filmographie, Un cas particulier réalisé en 1964 succède à La route des corbeaux (1962) son premier long-métrage. Le cadre du film est rapidement posé. Un viol puis un meurtre ont été commis. Le suspect est identifié, jugé et condamné. Son avocat envisage de faire appel du jugement. C’est donc sur l’après condamnation que toute la narration de Un cas particulier est axée.

Les interactions se concentrent sur les juges, procureur et avocat qui ont débattu lors d’un premier procès non restitué à l’écran. Tous se connaissent et s’apprécient mutuellement. Holly en balayant les possibles erreurs de chacun fait dialoguer ses personnages sur leur point de vue respectif, leurs divergences d’opinion et leurs éventuels désaccords au fil d’un traitement en profondeur de chaque protagoniste. La recherche de vérité apparaît comme la thématique centrale du film.

Sous une réalisation très classique, Holly privilégie des dialogues au long cours issus d’une travail d’écriture conséquent. Un cas particulier relève ainsi du film littéraire durant lequel le temps semble étiré à l’extrême ce qui, sur la durée, fait perdre en force de critique du système judiciaire ambitionnée.

Un homme comme tant d’autres / Nothing but a man (1964, Michael Roemer)

Homme comme tant d'autres (Un)

En Alabama, Duff Anderson (Ivan Dixon), cheminot, et sa compagne Josie (Abbey Lincoln), institutrice, se marient et s’installent en ville. Le couple, afro-américain, souhaite mener une vie simple et calme, mais il doit affronter la discrimination raciale de l’Amérique ségrégationniste des années 60.

Notre avis (3/5) : Un homme comme tant d’autres réalisé en 1964 par Michael Roemer est longtemps resté invisible bien qu’il soit sorti dans les salles françaises en 1966 et fut le film d’ouverture de la Mostra de Venise en 1964. Ce premier long-métrage mal accueilli ne bénéficie pas de stars dans son casting composé en majorité d’acteurs non-professionnels. Il aborde un sujet délicat, celui de la ségrégation de la population noire aux Etats-Unis. Roemer a tourné ce film en Alabama, moins de dix ans après l’affaire Rosa Park (1955).

La scène ouvrant le film place les protagonistes Noirs dans le rôle de forçats des chemins de fer là où l’unique représentant Blanc se voit attribuer un métier bien moins physique, celui de conducteur de la machine juchée sur les rails fraichement mis en place. Le ton du film est donné par cette séquence : les Blancs dirigent les Noirs relégués au rang de simples subalternes et cantonnés dans les tâches les plus harassantes jusqu’à la soumission et la résignation.

Mais, là où le spectateur pouvait s’attendre à un traitement frontal de la ségrégation des Noirs par les Blancs dans les Etats-Unis des années 60, Roemer préfère adapter son angle d’attaque en intégrant dans son récit des conflits internes et ici intimes à la communauté afro-américaine locale. Ces éléments constituent une part non négligeable du film mais aussi, probablement, un moyen de contourner la censure. Dès lors, Un homme comme tant d’autres se révèle moins radical et spectaculaire que The intruder réalisé par Roger Corman en 1962.

Kisapmata (1981, Mike De Leon)

Kisapmata

Dadong Carandang (Vic Silayan), officier de police à la retraite, est un père dominateur, extrêmement jaloux des prétendants de sa fille Mila (Charo Santos-Concio). Celle-ci tombe amoureuse de Noel (Jay Ilagan) et le couple attend bientôt un enfant. Dadong accepte qu’ils se marient, à condition que Noel paie une dot extrêmement coûteuse et organise un mariage luxueux. Après le mariage, le père insiste pour que le couple reste enfermé dans sa maison. Jusqu’au cauchemar…

Notre avis (3/5) : Kisapmata est inspiré d’un fait divers et s’appuie sur un scénario très documenté. Mike de Leon opte pour une narration limpide respectant sans faille l’ordre chronologique des évènements filmés. De la sorte, le propos porté par Kisapmata ne souffre d’aucune incertitude bien que les motivations sombres du personnage principal demeurent floues. Le mobile des actes perpétrés aurait mérité un traitement plus développé que celui proposé. Il reste ainsi en fin de métrage le sentiment d’une certaine ambiguïté dérangeante. Ce constat est renforcé par le choix du réalisateur philippin de ne porter aucun jugement sur ses personnages. Il reste simple observateur et restitue en l’état la violence patriarcale toute à la fois conservatrice, radicale et terrifiante qui régnait alors aux Philippines.

Condenados a vivir (1972, Joaquín Romero Marchent)

Condenados a vivir

Le sergent confédéré Brown (Claudio Undari), accompagné de sa fille Sarah (Emma Cohen), doit assurer le transfert de sept terribles prisonniers enchaînés, alors que son convoi a été attaqué par des bandits.

Notre avis (2/5) : Condenados a vivir réalisé en 1972 par Joaquin Romero Marchent est un western de série B très voisin du Grand silence réalisé quatre ans plus tôt par le cinéaste italien Sergio Corbucci. Ce western espagnol horrifique existe en deux versions. Celle visionnée est destinée au marché domestique alors que l’autre, plus sanguinolente, est adressée au marché international. Quentin Tarantino se serait notamment inspiré de Condenados a vivir, très probablement dans sa version internationale, pour réaliser Les huit salopards (2015).

Il est en effet ici question du transfert de prisonniers, cette fois-ci en grand nombre (sept) et dument enchaînés. Une classique histoire de vengeance se trame sous un fil narratif dont on devine rapidement que certains des neufs personnages centraux ne parviendront pas à bon port. L’itinérance parcourue est montagneuse et neigeuse. Les éléments naturels mais pas uniquement sont contraires.

Le scénario, âpre, sombre et nihiliste, coécrit par le metteur en scène et Santiago Moncada ne bouscule rien de très établi. L’intérêt du film réside plus précisément dans le déroulé des évènements. Ces derniers sont multiples et imprédictibles. Difficile en effet de deviner quel(s) sera ou seront le(s) protagoniste(s) appelé(s) à mener l’aventure jusqu’au bout.

Wendemi, l’enfant du bon Dieu (1993, S. Pierre Yameogo)

Wendemi, l'enfant du bon dieu

Wendemi est un bébé abandonné. Son père est prêtre et sa mère, incapable de révéler la vérité à sa famille, n’a d’autre solution que de se séparer de lui, puis de s’enfuir. Devenu adulte, son manque d’histoire familiale le fera se heurter à la société qui le rejette, puisqu’elle ne le « reconnaît pas ». Il erre à la recherche d’un nom, d’une famille. Cette errance le mène à la capitale, Ouagadougou, où il croit pouvoir retrouver sa mère.

Notre avis (3/5) : Wendemi, l’enfant du bon Dieu a été tourné en caméra légère en 16 mm puis gonflé en 35 mm. Sa restauration numérique récente permet de mettre en avant la très belle qualité de la photographie. Les couleurs, vives et lumineuses, témoignent de la qualité des cadres et des prises de vues prodiguée par S. Pierre Yameogo. Soulignons aussi un soin particulier apporté à la gestion de la profondeur de champ.

Le schéma narratif développé dans ce film burkinabé est classique. Il reprend par ordre strictement chronologique la quête d’un jeune homme abandonné à la naissance pour retrouver sa mère. Sous prétexte de cette recherche, le fil narratif aborde plusieurs injustices sociétales qui gangrènent une société encore très patriarcale. Il y a bien sûr les abandons à la naissance mais aussi, entre autres, les trafics illégaux et la prostitution de mineures soient autant de maux frappant la société burkinabaise.

La plaisanterie / Zert (1969, Jaromil Jires)

Plaisanterie (La)

Ludvik Jahn (Josef Somr) découvre qu’Helena (Jana Dítetová), une journaliste venue l’interroger, est l’épouse d’un ancien camarade d’études, Pavel (Ludek Munzar), responsable de son exclusion de l’Université. À la suite de ce renvoi, Ludvik a été incorporé dans un bataillon militaire pendant deux ans et demi, puis puni d’un an de prison disciplinaire et de trois ans dans les mines. Quinze ans plus tard, l’occasion est trop belle pour ne pas se venger.

Notre avis (3.5/5) : La plaisanterie de Jaromil Jires est caractéristique des films de la Nouvelle Vague du cinéma tchécoslovaque à savoir en marge de tous les genres cinématographiques. Comme le présuppose son titre, ce film est à classer parmi les comédies. Mais l’utilisation faite de la comédie dans La plaisanterie relève d’un véritable travail d’auteur. Jires ne cesse de jouer avec les codes cinématographiques tout en se jouant de ceux-ci.

Le scénario du film est tiré du premier roman éponyme de Milan Kundera. L’écriture du script assurée par le réalisateur et l’écrivain mélange deux temporalités avec simplicité sans jamais chercher à complexifier la narration. Il y a l’espace-temps contemporain au film et celui qui fait revenir les protagonistes vingt ans plus tôt. Le scénario prend appui sur un fait divers de 1961 autour duquel l’intrigue se noue, celle d’une vengeance suite à une échec sentimental subit par le personnage principal interprété par Josef Somr.

Les scènes du passé, à l’exposition photographique plus prononcée (photographie calibrée par Jan Curik), se mélangent aux scènes du présent. Mieux encore, le présent et le passé se font écho, voire se répondent. Jires établit ainsi une communication entre les deux temporalités. Cette communication nait d’un travail conséquent de montage technique du film tant sur les photogrammes que sur la bande son. Ces deux vecteurs se voient ainsi souvent dissociés. Classiquement, la voix off du personnage principal commente la scène montrée à l’écran ou, au contraire, appartient à une scène de l’autre temporalité. Des retours arrière sont aussi constatés sur la part visuelle du film formant ainsi autant de plans de coupe en réponse à la séquence ainsi interrompue.

Au-delà des belles qualités de sa réalisation, La plaisanterie véhicule aussi un message politique et pacifique audacieux alors que le printemps de Pragues a cours. L’armée et la lutte communiste y sont ainsi présentés notamment sous forme allégorique et toutes en rondeurs.

Dementia (1955, John Parker)

Dementia

Une jeune femme (Adrienne Barrett) se réveille d’un cauchemar dans la chambre d’un hôtel miteux. Elle se lève et erre dans les rues de Los Angeles en pleine nuit. Dans sa déambulation, elle rencontre des personnages de plus en plus étranges. La frontière entre rêve et réalité s’amenuise à la faveur des hallucinations et de la paranoïa qui s’installe.

Notre avis (2.5/5) : Dementia tourné en 1953 est l’unique film réalisé par John Parker. Victime de la censure du New York State Film Board, il sortit dans une unique salle new-yorkaise en décembre 1955. Ce n’est qu’en 1957 que Dementia fut réédité sous le titre Daughter of horror avec un montage alternatif et l’ajout d’une voix off.

Plus précisément, Dementia est un moyen-métrage (56’) horrifique qui présente les caractéristiques d’un court-métrage étiré dans sa durée. Cette série B réalisée avec peu de moyens est très singulière et difficilement classable entre film avant-gardiste et cinéma d’exploitation.

Parker met en images un mauvais rêve de son personnage principal interprété par Adrienne Barrett qui n’était pas une comédienne professionnelle mais la secrétaire du réalisateur. Ce cauchemar (éveillé ?) jette définitivement le trouble dans l’esprit des spectateurs en fin de métrage en faisant surgir dans le monde réel (éveillé !) un élément marquant du cauchemar relaté dans Dementia.

Parker prend le parti de réaliser une œuvre radicale à grand renfort de prises de vues parfois inconfortables au regard de la permutation des angles d’attaque et l’usage récurrent de gros plans parfois zoomés à l’extrême. Le réalisateur emprunte aux codes de l’expressionniste et du symbolisme baroque. Le récit elliptique, l’absence de dialogues et les effets sonores limités à quelques séquences contribuent à l’étrangeté de ce film. La présence marquée de la musique et de vocalises vient hantée une bande son mélangeant de nombreuses sources de sons et contribue à instaurer l’ambiance anxiogène souhaitée. En définitive, Dementia est un moyen-métrage marquant. Il constitue une proposition cinématographique assez incomparable peu avare en expérimentations tant audio que visuelles.

Time to love / Sevmek zamani (1966, Metin Erksan)

Time to love

Halil (Müsfik Kenter)est peintre en bâtiment sur l’une des îles des Princes, un archipel dans la mer de Marmara, en Turquie. Alors qu’il travaille dans une villa, il découvre le portrait d’une femme, Meral (Sema Özcan), et tombe éperdument amoureux de son image.

Notre avis (1/5) : Time to love démarre sous les meilleurs auspices. La séquence d’ouverture propose un beau travelling composé sous la pluie. Mais ce plan bien pensé est très stylisé restera sans lendemain. Certes, Metin Erksan saura par la suite capter la beauté de l’environnement dans lequel il a placé sa caméra mais ces plans relèveront plus de poses photographiques sponsorisées par l’office de tourisme local (mer ou centres-villes historiques en arrière-plan) que de moments cinématographiques.

Le salut du spectateur sera peut-être trouvé du côté de la narration. Las, Erksan n’a pas grand-chose à raconter. Son scénario prenant pour thématique l’image et son pouvoir et les dialogues limités tournent vite en rond et virent à l’ubuesque dénué de toute crédibilité. Le récit ténu aboutit, sans surprise, sur énième retournement de situation, vain. Point de salut non plus du côté des comédiens mis en scène puisque leur jeu d’acteur est au mieux sans relief.