Travelling 2019 (Villes-monde)

Portraits

Titicut follies – Frederick Wiseman

États-Unis, 1967, 1:24, N & B

Bridgewater (Massachusetts), 1967. Frederick Wiseman tourne Titicut Follies, son premier film, dans une prison d’État psychiatrique et atteste de la façon dont les détenus sont traités par les gardiens, les assistants sociaux et les médecins à l’époque. Ce qu’il révèle a valu au film d’être interdit de projections publiques aux États-Unis pendant plus de 20 ans. Témoin discret et vigilant des institutions, Frederick Wiseman pose, avec Titicut Follies, les bases de ce qui fait son cinéma depuis 50 ans.

Notre avis (2.5/5) : Avec Titicut follies réalisé en 1967, Frederick Wiseman amorce sa filmographie tout autant qu’un procédé de réalisation de documentaires. Le cinéaste innove n’intervenant que dans le filmage et la prise de sons. Ainsi, Titicut follies et ses autres réalisations sont vierges d’interviews, de commentaires off et de musiques additionnelles.

Ici, Wiseman jette un regard d’une acuité terrible sur l’hôpital pour aliénés criminels de Bridgewater dans le Massachusetts. Dans cette prison d’État psychiatrique, la caméra observatrice témoigne de la façon dont les détenus sont traités par le personnel encadrant : gardiens, assistants sociaux et médecins. Titicut follies concentre dans un montage de moins de quatre-vingt-dix minutes plusieurs dizaines d’heures de rush. Le portrait tiré des individus apparaissant devant la caméra est ambigu car la folie montrée n’est pas toujours du côté pressenti.

Cinquante ans après sa réalisation, ce documentaire et le portrait qui en ressort paraissent désormais plus anodins malgré leur conception novatrice reprise depuis par Wang Bing notamment. Ainsi, comme un post-scriptum, l’encart en fin de film laisse le spectateur sur sa faim. Il indique que des changements sont intervenus dans la gestion de cette institution mais sans les préciser.


Balade cinématographique

Europe – Paris

Le pont du nord – Jacques Rivette

France, 1981, 2:09, Couleur
Avec Bulle Ogier, Pascale Ogier, Pierre Clémenti, Jean-François Stévenin

Marie sort de prison, Baptiste arrive à Paris. La première est claustrophobe, la deuxième n’a pas d’attaches. Elles se retrouvent au milieu d’un complot inquiétant. Elles vont errer dans la ville, essayant de comprendre le monde des années 80. Bulle et Pascale Ogier sont drôles comme Don Quichotte et Sancho Pança, courageuses et égarées comme elles seules dans le Paris–Babylone de Jacques Rivette.

Notre avis (3/5) : Dans le Paris en chantier du début des années 1980, Jacques Rivette procède à la mise en scène d’un jeu de l’oie dans la capitale française. Son duo d’acteurs principal est féminin et familial puisque Bulle Ogier partage l’affiche pour la première et dernière fois avec sa fille Pascale Ogier. Les deux actrices ont participé à l’écriture du scénario du Pont du Nord, version longue du court-métrage Paris s’en va (1981). Le récit dilaté s’étire sur plus de deux heures et porte sur un complot dont Marie (Bulle Ogier) sortant de prison et Baptiste (Pascale Ogier) débarquant à Paris seront, malgré elles, les pièces centrales. Leur errance dans Paris les fera progresser d’un quartier à un autre tout en s’attachant à éviter les pièges tendus.

Europe – Berlin

Alice dans les villes – Wim Wenders

Titre original : Alice in den Städten
RFA, 1973, 1:52, N & B
Avec Rüdiger Vogler, Liza Kreuser, Yella Rottländer

Un photographe en mal de vivre, en mal de création, en proie à l’angoisse existentielle. Une enfant délaissée qui lui est confiée, le temps d’un voyage, par sa mère.
Wim Wenders sculpte des blocs de temps, capte des instants suspendus comme le ferait le photographe, révèle un sens aigu de l’espace, met en lumière des paysages vidés de leur sens entre les États-Unis et l’Europe.

Notre avis (4/5) : Avec Alice dans les villes, Wim Wenders démarre en 1974 une trilogie fondatrice complétée les deux années suivantes par la réalisation de Faux mouvement (1975) et Au fil du temps (1976). De New York à Amsterdam puis de Wuppertal en Allemagne à la Rurh, Wenders livre un road movie. Ce film libre laisse toujours à bon escient place à ce qui n’est pas écrit ou à ce qui est filmé au détour d’un trottoir par exemple.

Alors que le personnage principal est un photographe (Rüdiger Vogler) en mal de création et en crise existentielle, Alice dans les villes n’est autre que l’œuvre d’un photographe. Les photographies prises par le protagoniste central ne montrent jamais ce que nous voyons à l’écran mais le cinéaste allemand saisit patiemment au vol des instants suspendus tout en captant l’espace avec précision. Un café, une grande glace et, en son direct, un Jukebox essoufflé crachote On the road again. Juste à côté, un gamin s’évertue à chanter phonétiquement le refrain. Par la magie du cinéma direct, tout est là, simple et doux comme un vieux souvenir d’enfance et puis… la police ! Dans la séquence suivante, ce n’est rien d’autre qu’un extrait d’un concert de Chuck Berry qui nous est offert.

Quelques mots enfin sur version restaurée de de ce film réalisé en 1974. La restauration est de qualité variable. Par contre elle a été réalisée au format 1.66 conformément aux desiderata de Wenders. Ce format d’image vient ainsi à l’encontre du format 1.37 voulu par le producteur à l’époque.

Au fil du temps – Wim Wenders

Titre original : Im lauf der zeit
RFA, 1975, 2:55, N & B
Avec Rüdiger Vogler, Liza Kreuser, Hanns Zischler

Bruno circule le long de la frontière qui sépare alors l’Allemagne de l’Ouest de la RDA pour réparer des projecteurs dans les cinémas de village.
Au long de son périple, l’Allemagne se déroule comme le reflet et inversé d’une Amérique fantasmée, continent symétrique dont les motifs dédoublés refluent de partout (musique, grands espaces…).

Notre avis (3.5/5) : En 1976, Au fil du temps clôt la trilogie réalisée par Wim Wenders et dont les deux premiers segments sont Alice dans les villes (1974) et Faux mouvement (1975). A l’identique de ces deux premiers volumes, on retrouve Rüdiger Vogler et Lisa Kreuzer au casting.

Au fil du temps est encadré par deux séquences. La scène liminaire, précédée d’un carton précisant que ce long-métrage a été tourné en noir et blanc, en son direct et au format 1,66, décrit ce qu’étaient le cinéma et sa diffusion dans les petits villages. La dernière en fin de film fait état de ce qu’est devenu le 7ème art. Le verdict est sans appel. Il est inutile de chercher à le sauvegarder, la feuille de route sera d’ailleurs déchirée.

Entre ces deux scènes dialoguées, un road-movie orchestré autour de Bruno (Rüdiger Vogler) et Robert (Hanns Zischler), deux âmes esseulées, nous est proposé. C’est dans les pas de Bruno circulant le long de la frontière qui sépare les deux Allemagnes, celle de l’Ouest et celle de l’Est, que démarre le voyage. Bien que réalisé dès 1976, Au fil du temps prend sur les traces de ce réparateur de projecteurs dans les cinémas de village les allures de film-somme. En effet, le long périple mis en images consiste en une double visite. Il y a d’abord cette Allemagne en reflet inversé d’une Amérique fantasmée. Il y a aussi, pour les spectateurs cinéphiles, l’histoire du 7ème art dont il est rendu compte (à titre testamentaire ?) de Fritz Lang à Nicholas Ray.

L’ami américain – Wim Wenders

Titre original : Der amerikanische freund
Maroc / France / Allemagne, 1998, 1:27, Couleur
RFA / France, 1977, 2:06, Couleur
Avec Dennis Hopper, Bruno Ganz, Nicholas Ray, Samuel Fuller, Jean Eustache

Pour subvenir aux besoins de sa famille, un paisible artisan atteint d’une maladie incurable accepte de tuer un inconnu contre une forte somme d’argent.
Inspiré du Ripley s’amuse de Patricia Highsmith, Wim Wenders transplante entre Hambourg, Paris et New York l’imaginaire du film noir américain et se livre à une formidable relecture réflexive du genre, n’ayant rien à envier à ses plus beaux fleurons.

Notre avis (3/5) : Wim Wenders inspire le scénario de L’ami américain du roman Ripley s’amuse de Patricia Highsmith. Le cinéaste transplante l’action entre Hambourg, Paris et New York. Il revisite aussi l’imaginaire du film noir américain. Et, au-delà du film noir, la posture de Ripley, personnage principal interprété par Dennis Hopper, fait penser aux cow-boys et donc aux westerns. Pour sa part, Zimmermann, interprété par Bruno Ganz, s’inscrit pleinement dans l’intrigue policière et centrale du film. Cependant, le scénario de L’ami américain ménage quelques extensions inutiles. L’histoire racontée prend alors des allures rocambolesques qui fragilisent la narration dans son entièreté.

Les ailes du désir – Wim Wenders

Titre original : Der himmel über Berlin
RFA / France, 1987, 2:08, Couleur et N&B
Avec Bruno Ganz, Solveig Dommartin, Otto Sander

Des anges veillent sur le monde des mortels, ils entendent et voient tout, même les secrets les plus intimes. L’un d’eux, Daniel, voudrait vivre leurs sentiments et leur destinée. Il rencontre Marion dont il tombe amoureux.

Notre avis (4/5) : Désirs d’elle

Asie – Hong Kong

Nos années sauvages – Wong Kar-wai

Titre original : Ah fei zing zyun
Hong-Kong, 1990, 1:34, Couleur
Avec Leslie Cheung, Maggie Cheung, Andy Lau, Tony Leung Chiu-Wai

Les années 60, dans un Hong Kong de songe bleuté et vert jade. Un jeune garçon, Yuddy, s’applique à ne rien faire. Ce héros solitaire multiplie les conquêtes féminines et brise les cœurs avec indifférence. Quand la délicate Su Lizhen, la serveuse du bar follement amoureuse, lui parle de mariage, il préfère en rester là. Il passe aussitôt dans les bras d’une autre femme, Mimi. Une danseuse sexy. Elle aussi est sous le charme. Yuddy, lui, semble toujours indifférent. Aurait-il un cœur de pierre ? Pas vraiment. Simplement, ce garçon est ailleurs, obsédé par une idée fixe : retrouver sa mère, qu’il ne connaît pas et qui se terre aux Philippines.

Notre avis (3/5) : Nos années sauvages réalisé dès 1990 apparait en deuxième position dans la filmographie de Wong Kar-wai. Si nous devions ne pas retenir l’ordre chronologique des réalisations du cinéaste hongkongais, ce deuxième long-métrage s’insèrerait volontiers entre Chunking express (1994) et In the mood for love (2000, Orchestration d’un chef-d’œuvre esthétique).

Un rapprochement peut en effet être fait entre ces trois films sur la composition des cadres, sur le soin apporté à la colorimétrie éclairée aux néons des photogrammes produits et sur l’utilisation fréquente de plans en plongée. Il est cependant peu fait usage de ralentis dans Nos années sauvages. Dans cette œuvre de « jeunesse », la forme et son extrême précision priment sur le fond dont ne ressort qu’une narration plutôt accessoire. Christopher Doyle en qualité de chef-opérateur et William Chang en celle de directeur artistique font déjà là œuvre de qualité.

On remarque ainsi quelques mouvements de caméra complexes qui viennent accompagner l’errance urbaine où ne sont visités que des lieux d’entre-deux, souvent exigus, toujours désertés : ruelles, entrées, couloirs. L’errance est d’ordre nostalgique quand les amours manquées s’enchaînent les unes aux autres à l’écran. Pour les personnages mis en scène, incarnés par Maggie et Leslie Cheung, Carina et Andy Lau, le temps passe inexorablement au rythme du tic-tac des horloges ou des plans récurrents sur des montres. La vie est un long film, somme savante de fragments et d’instants.

Sparrow – Johnnie To

Titre original : Man jeuk
Hong Kong, 2008, 1H27, Couleur
Avec Simon Yam, Kelly Lin, Ka Tung Lam, Suet Lam

À Hong Kong, un sparrow est un pickpocket. Kei est le plus habile de tous. Entre deux vols de portefeuilles avec les membres de son gang, il aime arpenter la ville à vélo, et prendre des photos.
Un jour, une femme ravissante, Chun Lei apparaît dans son viseur. Il est ensorcelé. Chaque membre du gang va tomber sous le charme de cette femme qui ne les a pas croisés par hasard. Elle veut que les pickpockets dérobent pour son compte quelque chose de très précieux.

Notre avis (2.5/5) : À Hong Kong, un Sparrow est un pickpocket. Le film éponyme de Johnnie To fait le récit des agissements d’un gang de Sparrows locaux sans délivrer un véritable propos. Le cinéaste hongkongais porte avant tout son attention sur ses prises de vue réalisées grâce à une caméra toujours en mouvement. Le dynamisme de la mise en scène, l’utilisation de ralentis et le soin apporté à la colorimétrie des plans composés après précision l’emportent finalement et font oublier un scénario minimaliste.

Accident – Soi Cheang

Titre original : Yi ngoi
Hong Kong, 2009, 1H29, Couleur
Avec Louis Koo, Michelle Ye, Suet Lam

Un homme, dont le métier consiste à maquiller des crimes en accidents, est persuadé que le décès de sa femme n’est pas accidentel. Le scénario hypersophistiqué exploite brillamment le thème de l’illusionniste pris à son propre piège. Porté aussi par la musique envoûtante et poétique de Xavier Jamaux, Soi Cheang signe un thriller à la mise en scène impeccable.

Notre avis (3.5/5) : On peut s’interroger sur le titre du film mis au singulier. Dans Accident, les accidents sont multiples à moins qu’il n’y en ait aucun. Il en est ainsi de l’art de maquiller un fait en accident, l’illusion peut être parfaite mais peut menacer de se retourner contre son instigateur.

Par contre, il n’y a rien d’accidentel dans la mise en scène sobre, impeccable et très maîtrisée de Soi Cheang. On garde notamment en mémoire la belle orchestration d’une éclipse solaire en fin de film et la longue séquence d’action qui la suit. Le brio de cette mise en scène va de pair avec un scénario très sophistiqué. Autant de qualités qui permettent de ranger Accident parmi les bons thrillers malgré un épilogue expéditif et un casting de qualité inégale.

Villes globales, villes cinéma

Playtime – Jacques Tati

France / Italie, 1967, 2:03, Couleur
Avec Jacques Tati, Barbara Dennek, Rita Maiden,

Des touristes américaines ont opté pour une formule de voyage grâce à laquelle elles visitent une capitale par jour. Mais arrivées à Orly, elles se rendent compte que l’aéroport est identique à tous ceux qu’elles ont déjà fréquentés. En se rendant à Paris, elles constatent également que le décor est le même que celui des autres capitales.

Notre avis (4/5) : Jeu de (dé)construction