Travelling 2023 (Santiago du Chili)

Affiche travelling 2023

Portrait de cinéaste

Patrico Guzmán

La bataille du Chili / La Batalla de Chile – Patricio Guzmán

France / Chili / Cuba, 1975, 1:37, En couleur, vostf

Bataille du Chili (La)

La Bataille du Chili montre les événements qui ont fait basculer le Chili, d’Allende à Pinochet. En 1973, alors qu’Allende initie des transformations sociales et politiques pour enrayer la pauvreté, l’opposition organise une série de grèves. Quand Allende obtient la majorité des suffrages, la droite comprend qu’elle ne peut plus avoir recours à des procédures légales, ce qui conduira au coup d’État.

Notre avis (4/5) : Sans nul doute, La bataille du Chili est le premier film important de Patricio Guzmán. Ce documentaire est le fruit d’un énorme travail de documentation sur les trois années de présidence de Salvador Allende avant que celui-ci ne soit déchu du pouvoir chilien après le putsch militaire mené par celui qui sera son successeur, le général Pinochet.

Ce documentaire, essentiel, cumulant près de 4h30 de métrage est découpé en trois parties. Les deux premières intitulées respectivement L’insurrection de la bourgeoisie et Le coup d’état militaire retracent le parcours d’Allende à la présidence du Chili. A l’image d’une politique intérieure remaniée en profondeur, tous les éléments s’articulent autour de l’homme providentiel et de son programme politique révolutionnaire. Allende est la figure omniprésente et incontournable de ces deux premiers volets. Cette œuvre militante de gauche sonde les rouages du pouvoir et se révèle didactique et foisonnante. La deuxième partie concentrée sur l’immédiate période de pré-putsch (de mars à septembre 1973) est la plus marquante. On y voit le gouvernement de gauche au pouvoir confronté à une opposition de droite guidée par des forces extérieures nordistes. Malgré les nombreuses attaques de tout genre menées pour décrédibiliser le pouvoir en place, la gouvernance Allende demeure populaire. Ainsi, sept jours avant le pilonnage du palais présidentiel, un million de personnes manifestent leur soutien à leur chef d’Etat dans la capitale chilienne.

Guzmán clôt sa trilogie par un ultime volet titré Le pouvoir populaire. Contrairement aux deux premières parties, ici Salvador Allende est mis en marge du récit. Le documentariste chilien procède à un flashback pour mettre en images les multiples initiatives solidaires et collectives mises en œuvre par le peuple chilien dès 1972. Autant d’évènements qui ont pour vocation de venir contrecarrer les sabotages menés en sous-main par l’opposition et soutenir les mesures prises sous la présidence d’Allende. Dans cette ultime partie, Guzmán donne l’entière parole à la classe ouvrière militante de son pays natal.

La trilogie que constitue La bataille du Chili retrace en profondeur et avec acuité toute présidence chilienne de Salvador Allende. Au-delà du compte-rendu partisan ainsi restitué, ce documentaire a, par la sincérité et la force de son contenu, valeur d’œuvre militante de référence. La bataille du Chili se révèle immédiatement indispensable et essentiel pour acquérir une meilleure compréhension de la société chilienne, entre autres.

Salvador Allende – Patricio Guzmán

Allemagne / Belgique / Chili / Espagne / France, 2004, 1:40, En couleur, vostf

Salvador Allende

« Je me souviens du 11 septembre 1973, jour sombre où l’Amérique fomenta un coup d’État pour abattre la révolution pacifique et démocratique qui se construisait dans mon lointain pays, le Chili, éliminant son président de la République, Salvador Allende, ce « fils de p.. » comme se plaisait à le dire Richard Nixon. Je n’oublierai jamais la brutalité de la dictature alors mise en place pour plus de 17 années, années de souffrance, de mort, d’exil et d’écrasement de la mémoire. Il est temps de se souvenir de Salvador Allende, cet homme atypique, révolutionnaire et fanatique de démocratie jusqu’au suicide, pour des raisons historiques certes, mais aussi pour sa cruelle actualité… » Patricio Guzmán

Notre avis (3/5) : Le titre de ce documentaire dit tout de son contenu. Patricio Guzmán focalise en effet son traitement sur la figure légendaire de Salvador Allende. La période parcourue est large puisque l’enfance du personnage-titre est évoquée mais le focus est plus particulièrement mis sur la période 1970-1973. Soit trois années durant lesquelles Allende a été président du Chili avant d’être victime d’un putsch militaire fomenté par le général Pinochet qui va ainsi prendre le pouvoir le 11 septembre 1973.

Salvador Allende constitue un véritable travail de mémoire et, au-delà, est une œuvre hagiographique. En fonction des appétences du spectateur, cela peut être perçu tout aussi bien comme la grande force de ce documentaire ou au contraire sa principale faiblesse. Guzmán, par prudence peut-être, ne déborde pas de la voie officielle et ne vient pas contredire la voix officielle. Il révèle finalement peu de chose.

Salvador Allende n’est pas un film-enquête ou un film-dossier mais le tracé d’une trajectoire jusqu’à son terme tragique. Bien sûr, les espoirs suscités puis déçus émergent sans peine du métrage. La nostalgie d’une époque révolue affleure à chaque instant. Mais l’absence d’un réel engagement de recherche de la vérité, notamment pour contrer la thèse officielle du suicide d’Allende, peut laisser sur sa faim un spectateur à la recherche d’une vérité alternative à celle communément avancée.

Mon pays imaginaire / Mi país imaginario – Patricio Guzmán

Chili / France, 2022, 1:23, En couleur, vostf

Mon pays imaginaire

« Octobre 2019, une révolution inattendue, une explosion sociale. Un million et demi de personnes ont manifesté dans les rues de Santiago pour plus de démocratie, une vie plus digne, une meilleure éducation, un meilleur système de santé et une nouvelle Constitution. Le Chili avait retrouvé sa mémoire. L’événement que j’attendais depuis mes luttes étudiantes de 1973 se concrétisait enfin. » Patricio Guzmán

Notre avis (3/5) : Octobre 2019, le Chili s’enflamme. D’entrée, Patricio Guzmán, qui vit depuis de nombreuses années en France, s’excuse de n’avoir pas été sur place pour capter les premières flammes. Le documentariste se rend à Santiago du Chili pour restituer et rendre compte, post-évènements initiaux, des mouvements sociaux qui ont secoué la société chilienne. L’évènement déclencheur a été une augmentation de la tarification des transports en commun. Une énorme vague humaine déferle dans les rues de la capitale chilienne. Les revendications, nombreuses, se dessinent progressivement. La répression exercée par les forces de l’ordre se montre au grand jour. Une violence radicale gagne peu à peu le mouvement.

Cinquante ans après La Bataille du ChiliGuzmán montre tout cela. Il filme ce soulèvement social qu’il attendait. Ces mouvements sociaux ne sont pas sans nous révéler quelques ressemblances avec d’autres scènes filmées sous d’autres latitudes. D’autres parallèles peuvent aussi être tracés au niveau de bon nombre des revendications avancées. Une constituante pour mettre fin à la constitution héritée de la dictature du général Pinochet est demandée… et obtenue par une population en plein soulèvement. Le gouvernement « en guerre » recule puis capitule.

Guzmán prend aussi le parti de porter à l’écran des témoignages de divers protagonistes, exclusivement féminins. Car, derrière les revendications de la population chilienne, il est aussi question de la place des femmes dans la nouvelle société chilienne en cours de construction. En cela, la présidence de la commission de la constituante attribuée à une femme de la communauté des Mapuches est hautement symbolique.


Portrait de cinéaste

Ignacio Agüero

L’autre jour / El otro día – Ignacio Agüero

Chili, 2012, 2:00, En couleur, vostf

Autre jour (L')

La maison du cinéaste donne sur la rue. Sa porte sépare l’espace intérieur et l’espace extérieur. L’espace intérieur contient l’histoire personnelle du cinéaste, son monde d’objets, d’imaginaire et de pensées. L’espace extérieur, c’est la ville de Santiago du Chili. Les histoires du monde intérieur sont interrompues lorsque des étrangers sonnent à la porte et, ce faisant, entrent dans le film. Il leur propose d’aller les filmer chez eux. Il tisse ainsi une balade familiale et amicale avec ces autres vies.

Notre avis (2.5/5) : Le concept imaginé par Ignacio Agüero est original : filmer chez eux des personnes qui sont venues frapper à la porte de son domicile. La maison du réalisateur est située dans un quartier huppé de la capitale chilienne. Des personnes habitant d’autres quartiers moins favorisés viennent y travailler, trouver du travail ou, plus prosaïquement, y trouver quelques subsides permettant de boucler la fin de mois approchante.

L’autre jour rend ainsi compte d’une population en difficulté financière, dans un état plus ou moins avancé de paupérisation. C’est tout un écosystème de débouille qui est mis en lumière. Une mise en lumière que le réalisateur prend plaisir à mettre en scène dans les plans qu’il compose dans sa maison et ses extérieurs.

Cet élément n’est pas sans conséquence sur le rythme observé dans ce documentaire. Les séquences de scènes familiales et les plans contemplatifs proposés viennent en effet nuire au rythme de la narration et, par voie de conséquence, à son intérêt. Le kaléidoscope réalisé à travers les quelques interviews réalisées aurait gagné en intérêt sans cette dilution intime et contemplative imposée par le documentariste.

Como me da la gana – Ignacio Agüero

Chili, 1985, 0:28, En couleur, vostf

Como me da la gana

Entre mai 1984 et décembre 1985, Ignacio Agüero s’invite sur le tournage de cinq films chiliens alors que la plupart des cinéastes se sont exilés. Quelle est la raison qui pousse à faire du cinéma, dans une période où filmer est devenu quasiment interdit ? Quel sens y-a-t-il à faire du cinéma au Chili en pleine dictature. Les questions d’Agüero, aussi simples que déconcertantes, plongent les cinéastes dans l’embarras.

Notre avis (2/5) : Dans le premier volet de Como me la gana réalisé en 1985 alors que sévissait encore la dictature du général Pinochet, Ignacio Agüero s’en tient à son postulat initial. Il s’invite en pleine séance de tournage pour interroger une réalisatrice ou un réalisateur entre deux prises. Les interviews sont ainsi réalisées sur le vif et la question récurrente tourne sur le questionnement de la part cinématographique du film en cours de tournage. Les cinéastes interrogés ne sont pas mentionnés à l’écran mais le seront dans le générique de fin. Ce constat et l’absence de contextualisation autre que celle mentionnée dans le synopsis révèlent une réalisation destinée avant tout au marché chilien. On croit discerner derrière Como me la gana la volonté de palper l’air du temps, celui d’une société sous autorité policière et militaire.

Como me da la gana II – Ignacio Agüero

Chili, 2016, 1:26, En couleur, vostf

Como me da la gana II

Alors que de nombreux films sont tournés au Chili et circulent avec succès dans le monde entier, Agüero interrompt le tournage de jeunes cinéastes chiliens sur l’essence du cinéma. Autour de ces tournages, le film intègre des matériaux issus des archives domestiques du réalisateur, comme si ce qui était vraiment cinématographique se trouvait dans ce qui n’était pas fait pour le cinéma. Un film sur la passion de filmer, sur le mystère cinématographique.

Notre avis (1/5) : Le postulat originel bien respecté dans le premier volet de Como me la gana est plus galvaudé dans Como me la gana II réalisé en 2016. Trois décennies séparent les deux documentaires éponymes. La société chilienne a changé en trente ans et n’est plus soumise à la dictature militaire. Le documentaire hérite d’une forme plus hybride où quelques interviews sur le vif de réalisateurs viennent s’entrechoquer avec des scènes de la vie familiale de Ignacio Agüero. Le message porté paraît dès lors encore plus diffus et lointain que celui entrevu dans le projet initial.


Portrait de cinéaste

Dominga Sotomayor

Chili 1976 / 1976 – Manuela Martelli

Chili, 2022, 1:35, En couleur, vostf

Avec Aline Küppenheim, Nicolás Sepúlveda, Hugo Medina

Chili 1976

Chili, 1976. Trois ans après le coup d’État de Pinochet, Carmen part superviser la rénovation de la maison familiale en bord de mer. Son mari, ses enfants et petits-enfants vont et viennent pendant les vacances d’hiver. Lorsque le prêtre lui demande de s’occuper d’un jeune qu’il héberge en secret, Carmen se retrouve en terre inconnue, loin de la vie bourgeoise et tranquille à laquelle elle est habituée.

Notre avis (2.5/5) : Manuela Martelli a réalisé Chili 1976 en hommage à sa grand-mère qu’elle n’a pas connue. Le titre du film et son synopsis ne font pas mystère de la contextualisation de l’histoire mise en images. La réalisatrice, née en 1983, n’a pas non plus connu cette période historique qu’elle porte à l’écran. L’intention est certes bonne mais on peut regretter que le Chili de 1976 affleure finalement peu tout au long du métrage. L’histoire elle-même est insuffisamment caractérisée pour ne pas pouvoir prétendre à une toute autre contextualisation historique.

La mise en scène, plutôt minimaliste, n’aide pas à irriguer un film voué pourtant à restituer une époque, mieux encore, une atmosphère du temps. Martelli échoue dans cette entreprise au fil d’une narration diffuse et trop elliptique qui ne donne pas matière à empathie envers les personnages mis en scène. La visite proposée dans cette époque pourtant singulière du Chili ne prend jamais corps et échoue à porter témoignage.


Santiago au cinéma

Andrés Wood

La buena vida – Andrés Wood

Chili / France, 2010, 1:28, En couleur, vostf

Avec Francisco Acuna, Jorge Alis, Daniel Antivilo, Aline Küppenheim, Manuela Martelli

Buena vida (La)

Santiago du Chili, aujourd’hui. Teresa, assistante sociale spécialisée dans la contraception, croit tout contrôler dans sa vie jusqu’au jour où elle apprend que sa fille de 15 ans est enceinte. Edmundo, un coiffeur de 40 ans sans ambition vit encore chez sa mère et veut s’acheter une voiture ou renouveler le caveau familial. Mario, clarinettiste, postule à l’orchestre philarmonique mais finit dans celui des carabineros. Quant à Patricia, mère d’un jeune bébé, elle se laisse aller à la dérive, emportée par le courant de la vie.

Notre avis (3.5/5) : Andrés Wood fait reposer son récit sur une histoire vraie ou, plus exactement, ses quatre histoires racontées sont toutes inspirées d’histoires vraies. La réalisation de La buena vida s’articule ainsi sur quatre trios de personnages principaux que le scénario du film va se faire rencontrer ou mettre consciemment ou inconsciemment en contact. Le cinéaste met ainsi en scène un nombre conséquent de protagonistes. La buena vida vaut donc pour film choral mais aussi et surtout par la qualité d’écriture scénaristique.

De prime abord, on peut craindre d’une telle entreprise un trop plein tant dans la narration que dans le nombre de personnages mis en œuvre. La buena vida n’est pas victime de ce type de symptômes couramment rencontrés. En effet, l’écriture du scénario est subtile et précise. La quadruple tranche de vie proposée bénéficie d’une belle fluidité narrative, fruit d’un travail d’écriture que l’on imagine conséquent. En cela, La buena vida est une belle réussite. La grande ambition narrative initiale est restituée à l’écran avec acuité et brio.

Mon ami Machuca / Machuca – Andrés Wood

Chili / Espagne / Royaume-Uni, 2004, 2:00, En couleur, vostf

Avec Matías Quer, Ariel Mateluna, Manuela Martelli, Aline Küppenheim

Mon ami Machuca

Santiago du Chili, 1973. Deux enfants âgés de 11 ans, Gonzalo Infante, issu des beaux quartiers, et Pedro Machuca, qui survit dans un bidonville… Alors que tout les oppose, les deux garçons se rencontrent sur les bancs de l’école grâce à l’initiative idéaliste du Père Mac Enroe : permettre aux enfants de milieu défavorisé d’intégrer le collège catholique très huppé qu’il dirige. Son but : apprendre à tous respect et tolérance au moment où le climat politique et social se dégrade dans le pays. De cette atmosphère fiévreuse naît une amitié profonde entre les deux garçons qui partagent un premier amour, des rêves de justice et un instinct de rébellion.

Notre avis (3/5) : Né du « bon » côté ? Né en 1965, Andrés Wood porte à l’écran une histoire fictionnelle d’inspiration autobiographique : la rencontre au collège de deux enfants issus de milieux sociaux très éloignés. De cette différence de classe sociale entre les deux jeunes protagonistes, le réalisateur tire une œuvre aux deux tiers manichéennes, voire caricaturée par instants.

En effet, la différenciation entre riches et pauvres est tracée à gros traits. Le parcours initiatique mis en scène prête peu à conséquence. Il est plutôt traité avec complaisance dans un registre aux tonalités de comédie. Le caractère convenu de la narration est au demeurant alourdi par un habillage musical surlignant. Le spectateur doit en prendre son parti d’autant que, par conséquence, ces deux premiers tiers de Mon ami Machuca intéressent peu.

Le dernier tiers se révèle plus convaincant. Au fur et à mesure que les bruits de bottes se font plus proches, Mon ami Machuca gagne en ampleur. L’action se dramatise jusqu’à la tragédie. Elle se fait plus pressante avant de devenir oppressante. La joie, les rires se sont éteints pour laisser place à des temps plus sombres. Les interrogations de Gonzalo, projeté violemment dans l’âge adulte, seront celles du spectateur en sortie de projection. Né du « bon » côté ? A chacun de tenter d’apporter sa propre réponse à cette interrogation.

Violeta / Violeta se fue a los cielos – Andrés Wood

Argentine / Brésil / Chili, 2011, 1:50, En couleur, vostf

Avec Francisca Gavilan, Cristian Quevedo, Thomas Durand

Violeta

Violeta Parra, chanteuse, poète et peintre, est une véritable icône de la culture chilienne. Violeta retrace le destin d’une femme hors du commun, ses succès et sa déchéance. De son enfance aux côtés d’un père alcoolique, en passant par son apprentissage de la guitare, son rapport brutal et déterminé à la maternité et au monde, ses engagements esthétiques et politiques, jusqu’à sa fin tragique.

Notre avis (2.5/5) : La titre du film n’est autre que celui de Violeta Parra, une artiste chilienne, dont Andrés Wood tente de tirer le portrait. Ce dernier est orienté car l’artiste est essentiellement perçue à travers sa carrière de chanteuse. C’est là une des limites de Violeta qui n’aborde pas ou peu les autres pans de cette artiste qui œuvra aussi dans la peinture et la poésie. Etait-ce déjà le périmètre restreint du livre Violeta Parra, ma mère écrit par Ángel Parra, fils de l’artiste, et dont le cinéaste tire ici une adaptation cinématographique ? La réponse à cette question est probablement de l’ordre du oui. Toujours est-il que le destin mis en images souffre de cette potentielle limitation.

Entre succès et déchéance, le personnage titre, incarné à l’écran par Francisca Gavilan, apparaît peu amène. Il est dès lors compliqué d’éprouver une franche sympathie pour un personnage finalement peu empathique. Ce film biographique bénéficie cependant des chants interprétés par l’artiste qui apportent à ce documentaire un certain relief. Violeta semble peu adapté à un public souhaitant découvrir cette artiste chilienne car, déjà peu didactique, un mélange un peu trop prononcé des temporalités vient brouiller le message porté.

La toile de l’araignée / Araña – Andrés Wood

Chili / Argentine / Brésil, 2019, 1:45, En couleur, vostf

Avec María Valverde, Mercedes Morán, Caio Blat

Toile de l'araignée (La)

Chili, années 70. Inès, Justo et Gerardo, la vingtaine, sont membres d’un groupuscule d’extrême droite, soutenu par la CIA et déterminé à renverser le gouvernement d’Allende. Ensemble, ils commettent un crime politique qui change l’histoire du pays et les sépare à jamais, mettant fin à leur triangle amoureux.

40 ans plus tard, Gerardo réapparait… Inès, devenue une puissante femme d’affaires, fera tout ce qui est en son pouvoir pour empêcher le passé de remonter à la surface.

Notre avis (4/5) : La toile de l’araignée démarre sur une scène d’action dont la fin tragique agit comme un choc. Un choc à prendre (et à encaisser) dans tous les sens du terme. L’entrée en matière concoctée par Andrés Wood agit comme un uppercut… tétanisant. D’autres moments de tension bien menés par le réalisateur viendront essaimer ce long-métrage qui ne manquera pas de bousculer son auditoire.

Le triangle amoureux annoncé par le synopsis vient agir comme un contrepoids mais là n’est pas l’essentiel de la narration. En effet, la part intime et romancée reste très secondaire face aux pans action et politique qui animent cet excellent film dont le titre relève d’une symbolique expliquée durant le métrage au détour d’un dialogue.

L’acuité du regard porté sur un groupuscule nationaliste dissout par ses fondateurs seulement trois jours après la prise du pouvoir chilien par le général Pinochet est surprenante. Une petite histoire dans la grande Histoire qu’on ne peut que fortement recommander.


Santiago au cinéma

Pablo Larraín

Santiago 73, post mortem – Pablo Larraín

Chili, 2011, 1:41, En Couleur, vostf

Avec Alfredo Castro, Antonia Zegers, Jaime Vadell, Amparo Noguera

Santiago 73, post mortem

Santiago du Chili, septembre 1973. Mario travaille à l’institut médicolégal, où il rédige les rapports d’autopsie. Amoureux de sa voisine Nancy, une danseuse de cabaret soupçonnée de sympathies communistes, sa vie va basculer avec l’arrivée à la morgue du corps de Salvador Allende.

Notre avis (3.5/5) : Compañero ? Pablo Larraín mêle tragédie, humour noir et onirisme en reliant une tranche de vie de Mario (Alfredo Castro) à l’Histoire du Chili quand son pays natal bascule vers la dictature. Ce qui surprend d’abord dans Santiago 73, post mortem est le rôle attribué à Mario : un simple « fonctionnaire » comme il se décrit sobrement. Mario est bien plus spectateur qu’acteur de sa vie tant professionnelle que familiale. Simple rapporteur, il ne réalise pas d’autopsies mais assiste à celles-ci en notant scrupuleusement tout ce que dit le médecin légiste. Simple célibataire, sa vie personnelle de vieux garçon ne suscite pas plus d’enthousiasme. Elle est au stade du néant au même titre que son engagement politique. Mario cumule toutes les caractéristiques du parfait anti-héros.

La valeur du récit du film réside dans l’évolution psychologique que Larraín fait suivre, voire subir, à son protagoniste principal étriqué. La soumission et l’absence d’épaisseur de Mario sont appelées à être en effet mis à rude épreuve pas l’évènement dévoilé par le synopsis. D’ailleurs, ce fait tarde à intervenir. Santiago 73, post mortem est en effet, dans sa première partie, une romance sur fond de crise existentielle taiseuse. Le film prend de l’ampleur et gagne en intérêt au fur et à mesure que son personnage central se voit bousculé dans son quotidien lisse et trop rangé.

L’angle narratif pris par Larraín est très original et la caractérisation des personnages présente un intérêt certain. Poussif dans son amorce, Santiago 73, post mortem se révèle progressivement. La lente montée en rythme du film va crescendo pour aboutir à une longue scène finale. Celle-ci filmée en caméra fixe voit son cadre de plus en plus encombré. Dès lors, la réponse à la question initiale, sans être prononcée, ne fait plus l’ombre d’un doute.


Santiago au cinéma

La ville des photographes / La ciudad de los fotógrafos – Sebastián Moreno

Chili, 2006, 1:20, en couleur et N&B, vostf

Ciudad de los Fotografos (La)

Un film sur les photographes et photojournalistes intrépides qui ont documenté les protestations de la société chilienne sous le régime militaire de Pinochet, parfois au péril de leur vie. Dans ce film, la photographie devient un hymne à la liberté, une réponse puissante à l’oppression et à la censure. Leur travail a permis au monde de prendre conscience des violences subies par le peuple chilien.

Notre avis (2.5/5) : Les films et documentaires chiliens réalisés durant la dictature sont devenus rares car nombreux ont été perdus faute d’avoir été sauvés à temps. Dans La ville des photographesSebastián Moreno relève un pari ambitieux, celui de faire renaître photographies et séquences filmées prises durant l’époque dictatoriale du Chili. Ici, le documentariste concentre son travail principalement sur les années 1980. Au fil de témoignages face caméra de photographes ayant exercé durant ces années, Moreno rend vie à ces documents d’archives fruits d’un patient et long travail de collecte.

La ville des photographes constitue, au fil de sa narration, un véritable témoignage au cœur de cette époque troublée. Alors largement censurés, de nombreux magazines étaient publiés sans photographies, les clichés ainsi dévoilés agissent comme des « armes » contre la dictature. Le rôle premier de la censure visait alors à désarmer l’opposition de gauche communiste. Rien ne devait rendre compte de la situation dans des médias tombés sous la férule de la dictature militaire de Pinochet. La ville des photographes remet en lumière ce travail de l’ombre, sciemment marginalisé et combattu.

Blanquita – Fernando Guzzoni

Chili / Mexique / Luxembourg / France / Pologne, 2022, 1:34, en couleur, vostf

Avec Laura Lopez Campbell, Alejandro Goic, Amparo Noguera

Blanquita

Blanca (18 ans) vit à Santiago dans un foyer pour mineurs dirigé par le prêtre Manuel Cura (50 ans). Témoin clé d’une affaire de scandale sexuel impliquant des politiciens chiliens, Blanca se retrouve poussée par Manuel au centre de l’attention médiatique. Elle devient une héroïne féministe pour certains, mais plus l’enquête avance, moins le rôle de Blanca semble clair…

Notre avis (3/5) : Blanquita est un film enquête gravitant autour d’un scandale sexuel. Fernando Guzzoni tisse son fil narratif sur l’accumulation de thèses et antithèses. L’ensemble constitue une narration vaste et dense. Il y a derrière ce film un travail conséquent de documentation et d’écriture qu’il serait indécent de nier. L’effort produit se doit d’être dûment souligné d’autant qu’il se décline pour irriguer un autre pan du métrage, celui d’un film politique dans lequel se confrontent divers pouvoir. Ainsi, le pouvoir politique, évidemment, côtoie la sphère religieuse.

La densité de la narration constatée dans Blanquita constitue la principale qualité de ce long-métrage. C’est aussi, peut-être, sa principale faiblesse puisqu’elle semble avoir contraint le réalisateur et le monteur du film à proposer un épilogue des plus abrupte.


Grand angle

L’été des poissons volants / El verano de los peces voladores – Marcela Said

Chili, 2014, 1:35, en couleur, vostf

Avec Gregory Cohen, Francisca Walker, María Izquierdo

Ete des poisson volants (L')

Manena est une adolescente très déterminée et la fille chérie de Pancho, un riche propriétaire terrien chilien qui voue ses vacances à une seule obsession : l’extermination des carpes qui envahissent son lagon artificiel. Alors qu’il recourt à des méthodes de plus en plus extrêmes, Manena expérimente son premier amour, la tromperie, et découvre un monde qui cohabite silencieusement avec le sien : celui des travailleurs mapuches qui revendiquent l’accès à ces terres… et qui tiennent tête à son père.

Notre avis (2/5) : Dans L’été des poissons volantsMarcela Said capte avec un certain brio de magnifiques paysages. L’environnement verdoyant et luxuriant est filmé en plans larges. Le travail effectué sur les photogrammes est remarquable et les images obtenues affichent une très belle qualité parfois alourdie par quelques affèteries dispensables. Mais la grandeur de cet environnement naturel tend à être écrasante et étouffante face à la teneur du récit.

La narration du film prend appui sur un contexte social tendu entre la famille propriétaire et ses employés autochtones appartenant à la communauté des Mapuches. La cinéaste essaime sa narration d’éléments anxiogènes. Mais, faute d’un rythme soutenu, l’ambiance tendue souhaitée peine à s’instaurer durablement. Les éléments sensés susciter une certaine crainte sont trop diffus et insuffisamment exploités sur la durée pour servir efficacement l’objectif visé. Finalement, la narration de L’été des poissons volants apparait à la fois trop superficielle et elliptique pour tenir en haleine son auditoire.

Mala junta – Claudia Huaiquimilla

Chili, 2016, 1:19, en couleur, vostf

Avec Andrew Bargsted, Francisco Pérez-Bannen, Eliseo Fernández

Mala junta

Tano, adolescent turbulent, est envoyé dans le sud du Chili, chez son père qu’il n’a pas vu depuis plusieurs années. Au lycée, il fait la connaissance de Cheo, jeune garçon timide d’origine mapuche, malmené par les autres élèves. Ils se lient d’amitié, chacun apprenant à dépasser ses difficultés grâce à l’autre. Si Tano canalise progressivement sa colère, Cheo quant à lui trouve la force de revendiquer son identité amérindienne. Tous deux s’impliquent alors dans la défense du territoire Mapuche…

Notre avis (3/5) : Claudia Huaiquimilla, réalisatrice d’origine mapuche, fait se rencontrer ses deux principaux personnages. Deux adolescents en route vers l’âge adulte qui vont savoir s’unir face à l’adversité qui va leur être opposée. Dernière cette rencontre, c’est la question de la position de la communauté mapuche au sein de la société chilienne qui est interrogée.

Mala junta est réalisé dans un registre qui évite toute radicalité. La réalisatrice a préféré opter pour une approche intimiste. Ainsi, longtemps, les faits et gestes du duo de personnages principal restent anodins et prêtent peu à conséquence. Ce n’est que dans le dernier tiers du film que celui-ci prend un peu d’ampleur et d’épaisseur au fur et à mesure que la trame dramatique du récit prenne le dessus. Ce n’est qu’alors que Mala junta commence à faire sens. L’engagement attendu prend ainsi forme tout en restant un peu trop timoré.

Les rêves du château / Los sueños del castillo – René Ballesteros

Chili / France, 2018, 1:12, en couleur, vostf

Rêves du château (Les)

Dans un centre de détention pour adolescents, situé au sud du Chili, en plein territoire mapuche, les jeunes détenus racontent leurs cauchemars récurrents. Le film est une exploration de la relation entre leurs vies, leurs crimes et leurs cauchemars, et de l’influence du territoire sur leurs rêves.

Notre avis (3/5) : Dans ce qui constitue l’un des premiers documentaires relatifs au système carcéral des adolescents au Chili, René Ballesteros adopte un angle de traitement original. Il donne la parole à quelques adolescents incarcérés dans un centre pénitentiaire, structure étatique dédiée et adaptée aux mineurs. Les témoignages portés à l’écran ne sont pas issus d’interviews mais de récits en libre parole de quelques détenus. Là où le spectateur peut s’attendre à des récits portant sur le quotidien de ces adolescents, Les rêves du château porte sur le récit des rêves de ces jeunes incarcérés.

Le château du titre est donc une prison pour adolescents située en terres mapuches. Les rêves avancés par le titre relèvent bien plus de cauchemars dont le point commun est la violence des histoires « rêvées ». L’originalité de ce traitement est tout autant la force et la faiblesse de ce documentaire. Il est en effet difficile de se positionner face à ces récits dont la teneur mêle certainement réalité et hallucination. Une seule chose paraît certaine, ces rêves sont le fruit de psychés malades et tourmentées. La réflexion porte alors sur la faculté de guérison de ces jeunes gens. La conscience des spectateurs opposera probablement à cette interrogation une profonde incertitude au regard des subconscients décrits.


Séances spéciales

Le bleu du caftan – Maryam Touzani

France / Maroc / Belgique, 2023, 2:02, en couleur

Avec Lubna Azabal, Saleh Bakri, Ayoub Missioui

Bleu du caftan (Le)

Halim est marié depuis longtemps à Mina, avec qui il tient un magasin traditionnel de caftans dans la médina de Salé, au Maroc. Le couple vit depuis toujours avec le secret d’Halim, son homosexualité qu’il a appris à taire. La maladie de Mina et l’arrivée d’un jeune apprenti vont bouleverser cet équilibre. Unis dans leur amour, chacun va aider l’autre à affronter ses peurs.

Notre avis (2/5) : Le bleu du caftan relève d’un cinéma combinant à la fois poses et pauses. Reconnaissons à Maryam Touzani la qualité de sa composition cinématographique. Les cadres et la photographie du film sont de qualité. Il y a indubitablement un grand soin apporté à la composition des plans. Mais, ce constat en appelle rapidement un deuxième. Cette qualité de filmage tourne assez vite au maniérisme. En l’absence d’un récit conséquent, Le bleu du caftan tourne à vide. Il apparaît alors une musique de fond, celle de la rengaine d’une narration répétitive.

A l’image du travail artisanal, maintes fois observé sous toutes les coutures dans le film, effectué sur un caftan, ce dernier se montre certes précis mais aussi et surtout lent, laborieux et répétitif. La cinéaste comme Halim remettent sans cesse du cœur sur leur ouvrage respectif. L’entreprise de deux heures paraît interminable au même titre que la restauration méticuleuse du caftan évoqué par le titre.

On louera donc les qualités du Bleu du caftan sur le plan visuel. Mais, cet aspect masque mal un scénario indigent et des personnages insuffisamment caractérisés et dépourvus de toute évolution. Ce sont ici autant d’éléments qui militaient pour un traitement bien inférieur au double tour de cadran, nouvelle norme du cinéma contemporain. On oubliera aussi le dernier plan du film. Ambigu, celui-ci peut faire l’objet de diverses interprétations. La nôtre est négative. On gardera en tête pour plan final, l’avant-dernière séquence plus candidate à une interprétation constructive.


Focus à perte de vue

Moruroa Papa – Paul Manate Raoux

France – Polynésie Française, 2022, 1:03, en couleur

Avec Daniel Raoux, Aniitetua Raoux, Louis Manate Raoux, Chantal Raoux

Moruroa Papa

Mon père travaillait sur les essais nucléaires français à Moruroa dans les années 70. Je le visite aujourd’hui en famille à Rurutu, petite île perdue de Polynésie française où il s’est isolé, avec ma mère, ses chiens et ses souvenirs. Je fais resurgir ce passé secret qui me questionne aujourd’hui.

Notre avis (1/5) : Paul Manate Raoux mêle dans Moruroa Papa scènes de la vie familiale et scènes d’interview de son père filmé plein cadre. Un père, ingénieur du CEA, désormais retraité du poste qu’il occupait à savoir responsable sur site d’un certain nombre d’essais nucléaires menés par la France. Déjà, alors actif, Daniel Raoux ne parlait pas de son métier et encore moins de sa fonction. Les années ont passé et cette non communication s’est mue en une incompréhension entre un père et son fils aîné.

Par la réalisation de Moruroa Papa, ce fils aîné ambitionne de trouver des réponses à ses interrogations formulées de longue date. L’ambition portée est donc de l’ordre de l’intime et peu enclin d’intéresser un large public au milieu de scènes familiales sans réel écho. Cette ambition a vocation aussi à échouer. Face à un père peu disserte et peu enclin à parler de lui, l’usage d’une caméra ne fait pas partie des procédés amenant à des révélations tonitruantes.

Certes, le réalisateur obtiendra quelques réponses mais celles-ci sont loin de remplir le cahier des charges initial. Si l’ultime commentaire en voix off du réalisateur se termine sur une note (faussement ?) positive ce qui le précède ne cache en rien l’incompréhension restante.