Travelling 2020 (Beyrouth)

Sélection du public

Le baiser du tueur / Killer’s kiss – Stanley Kubrick

États-Unis, 1954, 1:07, vostf, N & B
Avec Frank Silvera, Jamie Smith, Irene Kane

Davy Gordon, boxeur minable, se retrouve aux prises avec un ponte de la mafia pour lui arracher des griffes Gloria la femme qu’il aime. Ce film noir permet à Kubrick de renouer avec un sport qui le passionnait étant jeune. La virtuosité technique et le travail sur la lumière du futur grand cinéaste construisent un récit original autour de moments inoubliables dans les coins les plus mal famés de Manhattan.

Notre avis (4/5) : Œuvre de jeunesse d’un Stanley Kubrick pas encore trentenaire, Le baiser du tueur, deuxième long métrage de fiction réalisé en 1955 soit deux ans après Fear and desire, porte déjà tous les germes d’un cinéaste en devenir.

Comme son aîné réalisé en 1953, Le baiser du tueur tient quasi plus d’un moyen métrage par sa durée excédant à peine une heure. Mais ce film est bel et bien un réel long métrage notamment par son contenu en termes de réalisation. Kubrick s’applique à mettre en œuvre et à déployer une mise en scène inventive. Les placements de la caméra relèvent toujours d’une décision réfléchie ne laissant rien au hasard. Ainsi, le metteur en scène ne cesse de faire varier ses angles et distances de prises de vue et saisit toutes les occasions qui se présentent pour jouer notamment sur les sur-cadrages.

L’habileté de Kubrick transparaît dans tous les plans dont la caractéristique commune réside dans une composition faite avec le plus grand soin. L’action filmée, qu’elle soit mobile (combats de boxe remarquablement filmés) ou immobile, est toujours transcendée par l’art cinématographique du futur auteur de 2001, l’odyssée de l’espace (1968).


Portraits

Danielle Arbid

Dans les champs de bataille / Maarek hob – Danielle Arbid

France / Belgique / Liban, 2004, 1:30, vostf, 35 mm
Avec Marianne Feghali, Rawia el-Chab, Laudi Arbid, Aouni Kawass, Carmen Lebbos

Beyrouth, 1983. La vie secrète de Lina, 12 ans, tourne autour de Siham, la bonne de sa tante. Elle cautionne ses amours clandestines mais elle passe inaperçue à ses yeux ainsi qu’aux yeux de sa famille. Dans le quotidien trouble de la guerre elle accède au monde des adultes sans conscience du bien ou du mal… Danielle Arbid réalise une premier film fort et sensuel, mêlant romanesque et documentaire.

Notre avis (3/5) : Comme dans Un homme perdu (2007), Dans les champs de bataille (2004) se révèle être principalement un film cherchant à retranscrire une atmosphère particulière. Ici, dans ce film très largement autobiographique, les conditions de vie d’une jeune adolescente dans un Liban en guerre sont explorées. Danielle Arbid met en lumière les difficultés de vivre au milieu d’une famille dysfonctionnelle. La dureté du quotidien se voit encore renforcée par un environnement placé sous les bombes. Le récit avancé s’étire parfois un peu longuement. Plus d’une décennie plus tard, celui-ci est prolongé par Peur de rien (2015), dernier film de fiction en date de la réalisatrice.

Wissam Charaf

Tombé du ciel – Wissam Charaf

France / Liban, 2016, 1:10, vostf
Avec Raed Yassin, Rodrigue Sleiman, Said Serhan

Après 20 ans de séparation, Samir, ancien milicien présumé mort, réapparaît dans la vie d’Omar, son petit frère devenu garde du corps à Beyrouth. À travers une mise en scène subtile, Wissam Charaf signe ici un premier long métrage à l’humour pince-sansrire qui oscille parfaitement entre drame et comédie burlesque.

Notre avis (3.5/5) : Wissam Charaf orchestre les retrouvailles fortuites de deux frères. Il y a Samir (Rodrigue Sleiman), ancien milicien porté disparu depuis vingt ans, et Omar (Raed Yassin) son cadet désormais garde du corps à Beyrouth. Le réalisateur libanais dote son premier long métrage de fiction de non-sens et de touches burlesques. L’humour froid et pince-sans-rire pratiqué durant la courte durée de Tombé du ciel – soixante-dix minutes – n’est pas s’en rappeler celui du réalisateur turc Mehmet Can Mertoglu dans Album de famille (2016, Galerie de portraits).

Joana Hadjithomas & Khalil Joreige

A perfect day / Yawmon akhar – Joana Hadjithomas & Khalil Joreige

France / Liban / Allemagne, 2005, 1:28, 35 mm, vostf
Avec Ziad Saad, Julia Kassar, Alexandra Kahwagi

En ce jour, Malek, jeune Beyrouthin, convainc sa mère de déclarer officiellement la mort du père, disparu 15 ans plus tôt. Il va alors tenter de retrouver un rythme plus synchrone avec le monde qui l’entoure et de reconquérir zeina, la femme qu’il aime. Les cinéastes réussissent à rendre compte avec délicatesse du climat particulier de Beyrouth, entre mélancolie, devoir de mémoire et appétit de vie.

Notre avis (3/5) : A perfect day de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige est un film rare. La copie qui nous est donnée à voir est propriété de la cinémathèque française. Le film prend pour contexte un constat : la disparition de 17 000 individus durant la guerre du Liban et les conséquences de cette tragédie balançant entre attentes, désespoirs et deuil difficiles, voire impossibles. A perfect day est d’ailleurs dédié à ces milliers de personnes disparues.

Hadjithomas et Joreige mettent en scène un homme (Ziad Saad) et une femme (Julia Kassar), respectivement fils et épouse d’un homme dont la disparition est « officialisée » par l’édition du 25/4/1988 du journal local. Dans la « Suisse du Moyen-Orient » forte de dix-sept confessions et où les incinérations sont interdites (voir Cendres, court-métrage réalisé en 2003 par le même duo de réalisateurs), s’engage alors une période charnière entre un passé meurtri et un avenir à construire malgré tout. Ici, les deux protagonistes principaux sont filmés dans leur quotidien quinze ans après cette disparition.

Il se dégage de A perfect day une atmosphère étrange, une sorte de flottement renforcé par le syndrome de l’apnée du sommeil dont souffre le jeune homme. En cela, le désir des deux réalisateurs de placer leur film dans une « agitation immobile » est pleinement satisfait. Cette ambivalence entre l’envie de courir et l’impression de faire du surplace caractérise aujourd’hui encore la société beyrouthine en reconstruction, aussi possiblement narcoleptique.

A perfect day concentré sur une unique journée semble ainsi baigner dans une latence où à tout instant l’action peu réapparaître et les souvenirs resurgir pour aider la conscience retrouvée. Hadjithomas et Joreige jouent un pari risqué, celui des états des sensations. Pour les spectateurs, le film procure une sensation suspendue et voisine d’un état de semi conscience entre rêve (ou cauchemar ?) et réalité.


Rétrospectives

Jocelyne Saab

Beyrouth, jamais plus / Beirut lam ta’oudabadan – Jocelyne Saab

Liban, 1976, 29’, documentaire, vostf

En 1976, le calvaire de Beyrouth commence. 6mois durant, entre 6 et 10 heures du matin, à l’heure du repos des miliciens, la réalisatrice arpente les rues et suit la dégradation des murs. Dans ce documentaire qui rompt avec le format télévisuel, Jocelyne Saab archive le centre ville qui s’effondre dans un film surréaliste, élégie à la ville, avec un poème d’Etel Adnan.

Notre avis (1.5/5) : Dans Beyrouth, jamais plus, Jocelyne Saab mène sa narration par l’unique biais d’une voix off très présente alors qu’à l’écran défilent des images pour la plupart dépourvue de bande son. Il ressort avant tout de ce documentaire à l’application toute scolaire sur la capitale libanaise au mitan des années 70 un aspect plutôt fabriqué.

Il faut reconnaître que ce court métrage fait partie des premières réalisations d’une jeune journaliste devenue reporter de guerre avant de s’orienter vers la réalisation de documentaires sur sa ville natale. Il n’émerge malheureusement pas de réel fil narratif de Beyrouth, jamais plus. A travers le regard prédominant d’enfants, la réaliste constate sans porter ni jugement ni dénonciation.

Lettre de Beyrouth / Rissala min Beirut – Jocelyne Saab

Liban, 1978, 48’, 1978, documentaire, vostf

Trois ans après le début de la guerre civile, la réalisatrice revient dans sa ville pour quelques mois et éprouve du mal à se réadapter à la vie. Elle remet en marche un bus, alors que les transports en commun ne fonctionnent plus. À travers ce projet atypique et résilient, J. Saab provoque et raconte un sursaut de normalité dans la ville en guerre, créant un espace de sécurité pour les gens.

Notre avis (2/5) : En 1979, Lettre de Beyrouth poursuit un sillon déjà creusé trois ans plus tôt par Beyrouth, jamais plus. Jocelyne Saab ne tombe pas ici dans le travers d’une voix off trop présente. La réalisatrice laisse librement s’exprimer quelques interviewés, habitants lambda de Beyrouth. Mais, comme trois ans plus tôt, la réalisatrice semble guider à vue une narration qui demeurera peu tangible. Le fil narratif demeurant flou, le spectateur pourra s’interroger sur qui s’adresse le film. Lettre de Beyrouth, documentaire d’une durée de moyen métrage, échoue en poste restante.

Nadine Labaki

Caramel / Sukkar banat – Nadine Labaki

France / Liban, 2007, 1:36, vostf, 35 mm
Avec Nadine Labaki, Yasmine Al Massri, Joanna Moukarzel, Gisèle Aouad, Sihame Haddad

À Beyrouth, 5 femmes se retrouvent régulièrement dans un institut de beauté, microcosme coloré où plusieurs générations se rencontrent, se parlent et se confient. Cette comédie pleine de charme et de finesse esquisse aussi le portrait d’un Liban en pleine mutation, où le rôle et la place des femmes changent.

Notre avis (3/5) : Caramel, premier long-métrage signé par Nadine Labaki, a eu les honneurs d’une sélection à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes en 2007 et a remporté la même année plusieurs prix au festival de San Sebastián. Ici, la réalisatrice est aussi devant la caméra puisqu’elle interprète l’une des cinq femmes, d’âges, de confessions et issues de milieux distincts, habituées à se rencontrer régulièrement dans un institut de beauté au cœur de Beyrouth.

Caramel décline ainsi le portrait de cinq Beyrouthines et ambitionne d’interroger la place de la femme au sein de la société libanaise. Le film est une sorte de chronique de la féminité que Labaki a opté de traiter par les codes de la comédie. L’ensemble est plutôt enjoué et agréable à regarder. Ainsi sur le plan visuel, on note un travail sur la colorimétrie qui baigne le film dans des tons renvoyant au titre du film. De ce fait, une certaine douceur émane de Caramel au détriment d’un fond plus édulcoré que profond. La réalisatrice ne fait qu’effleurer l’analyse sociétale attendue. Dès lors, sa réalisation n’imprime guère de souvenirs, bons ou mauvais, en mémoire.

Nahla – Farouk Beloufa

Algérie, 1979, 1:49, vostf
Avec Youssef Sayeh, Yasmine Khlat, Lina Tabbara, Nabila Zitouni

Larbi, journaliste algérien en reportage au Liban, est emporté par les événements qui précèdent la guerre civile. Il rencontre une jeune chanteuse, Nahla, qui perd la voix en plein concert tandis que Beyrouth s’embrase. Larbi perd pied. Invisible pendant 35 ans, la virtuosité de la mise en scène pour saisir la complexité libanaise a conféré à l’œuvre la stature d’un mythe, une référence incontournable du monde arabe.

Notre avis (1.5/5) : Pour la réalisation de Nahla, Farouk Beloufa a alterné les scènes chantées (mais non sous-titrées), les séquences dansées, les images d’archives (malheureusement peu nombreuses), les séances d’enregistrement en studio. L’alternance est aussi observée entre scènes filmées en intérieur et celles captées en extérieur. Ces dernières prises sur le vif pour la plupart visent à rendre compte de reconstitutions, souvent maladroites.

Nahla tient moins d’un ensemble construit que d’un patchwork peu réfléchi. L’ensemble est en effet monté de façon très incompréhensible (arbitraire ?). Sans logique narrative apparente, le montage technique du film ne fait jamais sens.

De plus, ce film musical aurait nécessité à minima un travail soigné sur la bande son. Ici, le mixage proposé brille plutôt par son amateurisme. Enfin, outre des paroles de chansons non sous-titrées dont la perte semble mesurée puisqu’une réplique de Nahla fait mention de « paroles creuses », les passages en langue anglaise étaient sous-titrés en arabe sur la copie visionnée. Cela ajoute à l’impossibilité pour le public ni arabophone ni anglophone de s’approprier l’éventuel message véhiculé.

West Beyrouth – Ziad Doueiri

France / Liban, 1998, 1:45, vostf
Avec Rami Doueiri, Mohamad Chamas, Rola Al Amin

En 1975, la guerre civile éclate. 2 jeunes musulmans, Tarek et Omar, et leur nouvelle amie May, chrétienne du même quartier, s’aventurent dans la ville et filment leur vie trépidante d’adolescents insouciants. Avec une mise en scène toujours en mouvement, ziad Douairi s’inspire de sa vie pour créer une chronique sensible de l’intime à l’âge des premiers émois bouleversée par la guerre.

Notre avis (3.5/5) : Ziad Doueiri situe l’action de West Beyrouth en avril 1975, c’est-à-dire au déclenchement de la guerre civile qui opposera les membres des différentes confessions du Liban et dont Beyrouth sera l’épicentre. Le film est porté par son jeune duo d’acteurs masculins composé par Rami Doueiri, frère du réalisateur, et Mohamad Chamas. La rencontre de leurs personnages de confession musulmane avec celui de confession chrétienne interprété par Rola Al Amin sera, au niveau du triangle amoureux formé, le vecteur symbolique d’une guerre communautaire en gestation.

Le réalisateur-scénariste fait habilement alterner le drame d’une situation présente avec des scènes aux situations comiques assumées jusqu’à la parodie, voire la caricature toujours bien sentie. Les variations de tons couplées à une bonne gestion du rythme font de West Beyrouth un film plaisant et bien orchestré. Il n’est pas interdit de percevoir dans ce film l’influence du cinéma de John Boorman, en l’occurrence Hope and glory réalisé en 1987.

Nadine Naous

Chacun sa bonne / Makhdoumin – Maher Abi Samra

Liban / France / Norvège, 2016, 1:07, vostf, documentaire

Le travail des domestiques représente un marché majeur au Liban, où ils sont considérés comme la propriété de l’employeur. Le réalisateur pose sa caméra dans une agence de travailleurs domestiques à Beyrouth afin d’étudier la complexité des mentalités et des comportements libanais. Avec une approche documentaire subtile, Maher Abi Samra réalise une chronique sobre et édifiante de cette société.

Notre avis (4/5) : Dans Chacun sa bonne, Maher Abi Samra n’use d’aucun effet de mise en scène. L’attention du réalisateur est entièrement tournée vers le contenu d’un documentaire où chaque phrase prononcée, chaque chiffre avancé est lourd de sens.

Le réalisateur n’use que d’une seule méthode : interviewer ses interlocuteurs pour rendre compte d’un secteur d’activité à part entière dans la société libanaise, celui des employées de maison. Au-delà des chiffres avancés déjà édifiants (on apprend ainsi que la valeur marchande des servantes dépend de leur nationalité), c’est le « statut » de cette main d’œuvre asservie qui est mis en relief.

En effet, chaque domestique est considérée comme propriété de son « employeur ». La législation libanaise étant plutôt complaisante en la matière, les abus ne sont jamais très loin pour ne pas dire communs, voire banalisés. Il y a derrière tout cela une « logique » économique et sociétale pour le moins nébuleuse et fallacieuse. Nous sommes pourtant bel et bien en 2016 et pour nombre de ces immigrées, un retour chez elles est rendu impossible…

Nadine Tabet

Taste of cement – Ziad Kalthoum

Allemagne / Liban / Syrie / Émirats arabes unis / Qatar, 2018, 1:25, vostf, documentaire

Tous les jours à Beyrouth, des ouvriers syriens construisent un gratte-ciel alors qu’en parallèle, la guerre détruit leur maison en Syrie. La nuit, un couvre-feu est imposé aux réfugiés par le gouvernement libanais. Peu à peu, les sons et les images de construction et de destruction s’entremêlent dans cet essai poétique et politique sur la signification d’une vie en exil.

Notre avis (3.5/5) : Ziad Kalthoum donne la parole aux ouvriers étrangers de l’industrie du bâtiment. Dans un Liban en perpétuelle reconstruction, l’emploi de main-d’œuvre étrangère est une pratique courante. Ici, le documentariste met dans le champ de sa caméra ceux venus de la Syrie voisine. Ces hommes ont laissé leur famille au pays et eux sont venus au Liban pour quelque argent supplémentaire immédiatement expédié pour subvenir aux besoins de leurs proches restés dans un pays en guerre.

A travers l’interview de ses interlocuteurs, Kalthoum trace un portrait sans concession à l’image de ce que fait peser sur ces individus la société libanaise. Ces exilés forment bien malgré eux une micro société. Un second monde marginal sur lequel pèse un système spécifique et inégalitaire qui instaure notamment pour ces forçats du bâtiment un couvre-feu strict et humiliant.

Quelles perspectives peuvent s’offrir à ces hommes ? Celles, un jour, de pouvoir retourner en Syrie et contribuer là encore à reconstruire un pays, leurs maisons, des désastres commis par la guerre.

L’incident – Meedo Taha

Liban / États-Unis, 2017, 21’, vostf
Avec Yumna Marwan, Moe Lattouf, Tony Mehanna

À un arrêt de bus près de Beyrouth, une femme libanaise voilée et un travailleur syrien immigré sont arrêtés suite à un incident. Ils doivent alors prouver leur innocence face aux seules témoins, les passagères du bus en route pour la médersa, chacune ayant sa propre version de la vérité.

Notre avis (-/5) : A venir

La fille au scooter / Zeinabal moto – Dima El-Horr

France, 2019, 52’, vostf, documentaire

Zeinab, 26 ans, voilée, chiite, octroie des microcrédits à des particuliers dans les quartiers populaires de Beyrouth Sud. Pour concurrencer ses collègues masculins, elle circule avec un scooter rose. Au fil de cette balade attachante, la réalisatrice dépeint une femme qui bouscule les stéréotypes et défie avec audace les normes les plus traditionnelles imposées par sa famille et par la société.

Notre avis (-/5) : A venir


Visages du passé

Cría cuervos – Carlos Saura

Espagne, 1976, 1:45, vostf
Avec Geraldine Chaplin, Ana Torrent, Conchita Pérez

À la fin des années 1970, la jeune Ana est victime d’un traumatisme suite à la perte de ses parents. Refusant leur absence, elle se console à travers les apparitions oniriques de sa mère. En plus de l’enfance et du deuil, Saura filme les allers-retours de l’esprit, à la fois figé dans les souvenirs et contraint d’avancer.

Notre avis (3.5/5) : Cría cuervos fut présenté au Festival de Cannes 1976. Carlos Saura y remporta un Grand Prix du Jury partagé avec Éric Rohmer qui, la même année, dévoilait La marquise d’O… Ce prix cannois succédait au Prix du Jury obtenu deux ans plus tôt par le cinéaste espagnol pour la réalisation de La cousine Angélique.

Saura déroule dans Cría cuervos la chronique endeuillée d’une famille madrilène bourgeoise. Dans son costume de militaire, le père (Hector Alterio) arbore tous les effets du franquisme patriarcal dont la mère (Geraldine Chaplin) fut une victime. Leur décès laisse orpheline une fratrie de trois sœurs dont la cadette, Ana, incarnée par Ana Torrent tient le rôle central d’un inéluctable deuil percé de visions oniriques de ses défunts parents. Au lendemain de la dictature franquiste, Cría cuervos est une œuvre courageuse qui explore un passé récent et ses conséquences sur le présent. En la matière, le rôle de la bonne (Florinda Chico) sous l’emprise du père de famille semble être le reflet d’un peuple entier. Plus encore, celui de la grand-mère des trois orphelines, muette et en chaise roulante, vaut pour symbole fort.

Le réalisateur-scénariste espagnol utilise les rêves et visions d’Ana et joue sur la présence spectrale des deux parents défunts. Ainsi, dans ce film sans repère temporel, certaines séquences appartenant au passé peuvent initialement être perçues comme appartenant au présent. De la même manière, les scènes rêvées du présent pourraient indifféremment appartenir au passé. Cría cuervos brille ainsi d’une narration très moderne qui ne trahit nullement un film réalisé il y a déjà plus de quatre décennies.

La chanson à succès Porqué te vas écrite par José Luis Perales, chantée par Jeanette et systématiquement interrompue par un protagoniste adulte du film souligne l’amertume d’une fillette trop tôt confrontée à l’appréhension de son avenir. Au-delà de cette quête existentielle, Cría cuervos relève bien en deuxième lecture d’une fine critique subversive du système franquiste dont la métaphore est ici la famille mise en scène et ses valeurs, catholicisme et conformisme.


Avant-premières

The perfect candidate – Haifaa Al-Mansour

Arabie Saoudite / Allemagne, 2020, 1:44, vostf
Avec Mila Alzahrani, Dhay, Nourah Al Awad, Khalid Abdulrhim

En Arabie saoudite, une jeune femme médecin se présente aux élections municipales dans une société conservatrice dominée par les hommes. La réalisatrice de Wadjda poursuit son observation des mécanismes du sexisme et prend un plaisir fou à montrer les avancées en terme de parité en Arabie saoudite.

Notre avis (2.5/5) : Candidature en échec

1982 – Oualid Mouaness

France / Allemagne / Liban / Qatar, 2019, 1:40, vostf
Avec Nadine Labaki, Mohamad Dalli, Rodrigue Sleiman

1982, au cours de l’invasion du Liban. Dernier jour d’école dans les montagnes, Wissam, 11 ans, est déterminé à déclarer son amour à Joanna, sa camarade de classe, pendant que son enseignante essaie de cacher son angoisse. Tendre et poétique, 1982 est un hymne à l’innocence de l’enfance qui défend ses imprévisibles manifestations lors ce qui a été un des épisodes les plus tragiques de l’Histoire du Liban.

Notre avis (2.5/5) : Prétendant à l’Oscar 2020 du meilleur film étranger sous la bannière libanaise, 1982 d’Oualid Mouaness revient sur l’année-titre qui vit l’invasion du Liban sud et de Beyrouth par les forces israéliennes. Le récit fait par le réalisateur-scénariste de ces événements n’a rien de frontal. Le conflit armé est laissé principalement en hors champ et, plus gênant, trop en marge de la narration. Dans les montagnes libanaises qui servent de décorum au film, la guerre ne sera perçue que depuis un lointain horizon.

Le regard « porté » est celui d’enfants scolarisés affairés avant tout à leurs interminables épreuves d’examen. Le regard innocent des jeunes protagonistes prévaut sur celui des personnels adultes encadrant dont Nadine Labaki. L’actrice-réalisatrice incarne ici une professeure des écoles dévoilant peu son anxiété née des événements extérieurs.

Dans ce qui est son premier long métrage en tant que réalisateur, Mouaness ne parvient pas à imprimer un véritable rythme à sa narration qui se révèle répétitive dans les actions mises en scène. Les quasi unités de temps et de lieu ne réduisent en rien ce constat. On ne constate guère plus de progression sur les aspects anxiogènes du film, là encore trop rares et trop éparses. 1982 manque d’un engagement plus appuyé et paraît trop lisse pour pouvoir prétendre rendre compte d’une réalité dramatique.

D’ailleurs, c’est à travers le regard de ces enfants que le final du film prendra forme. L’épilogue fantastique en forme de dessin animé tranche d’un point de vue visuel avec un film à la mise en scène et au visuel naturalistes. Tigron apparaît alors à l’écran dans un déluge de couleurs. Ce super-héros pourrait être en mesure de protéger une capitale menacée par les forces aériennes mais pourrait aussi conforter le spectateur dans sa perception possiblement dubitative de 1982.

L’oiseau de paradis / Paradise – Paul Manate

France, 2020, 1:26
Avec Sebastian Urzendowsky, Blanche-Neige Huri, Patrick Descamps

Jeune assistant parlementaire métis de 25 ans, amoral, indolent et séducteur, Teivi revoit un jour yasmina, une lointaine cousine maorie aux pouvoirs mystiques qui soudain lui fait une étrange prédiction : « Tu vas mourir… je te sauverai »… L’Oiseau de paradis raconte un Tahiti intime et légendaire, métis et vivant. Un conte mystique et contemporain sur le plus beau des paradis perdus.

Notre avis (1.5/5) : Vol à vue

Nuestras madres – Cesar Diaz

Guatemala / Belgique / France, 2020, 1:17, vostf
Avec Armando Espitia, Emma Dib, Aurelia Caal

Guatemala, 2018. Le pays vit au rythme du procès des militaires à l’origine de la guerre civile et les témoignages des victimes s’enchaînent. Ernesto travaille à l’identification des disparus. Un jour, à travers le récit d’une vieille femme, il croit déceler une piste qui lui permettra de retrouver la trace de son père, guérillero disparu pendant la guerre… Caméra d’or, Festival de Cannes 2019.

Notre avis (3.5/5) : Mémoire enfouie et anonyme

Donnie Darko – Richard Kelly

États-Unis, 2001, 2:14, vostf
Avec Jake Gyllenhaal, Jena Malone, Drew Barrymore

Donnie Darko est un adolescent intelligent, introverti et doté d’une grande imagination. Lorsqu’il survit par miracle à un accident, Frank, un lapin géant, lui propose un étrange marché. La fin du monde approche et ce dernier doit accomplir sa destinée. Richard Kelly brouille les frontières entre teen movie mélancolique et thriller fantastique à la bande son remarquable. Un premier film devenu culte.

Notre avis (-/5) : A venir


L’après-séance

Thelma & Louise – Ridley Scott

États-Unis, 1991, 2:08, vostf
Avec Susan Sarandon, Geena Davis, Harvey Keitel, Michael Madsen

Deux amies, Thelma et Louise, lassées de leur quotidien, décident de s’offrir un week-end de liberté sur les routes magnifiques de l’Arkansas. Premier arrêt, premier saloon, premiers ennuis et tout bascule. Cette éloge de la fuite, à la fois oeuvre de référence du road-movie et manifeste féministe, met en scène deux héroïnes fortes et indépendantes qui se réapproprient les codes du cinéma américain.

Notre avis (-/5) : A venir


Patrimoine

Jean Grémillon

Gardiens de phare – Jean Grémillon

France, 1929, 1:15, muet intertitre vf, 35 mm
Avec Geymond Vital, Paul Victor Fromet, Genica Athanasiou

Yvon Bréhan a été mordu par un chien. Pendant sa garde dans un phare, la rage se déclare. Son père, enfermé avec lui, doit maintenir le service à tout prix. Attaqué par Yvon, il le précipite à la mer. Le film original a été longtemps considéré comme «perdu en mer» selon l’expression du cinéaste ; une occasion unique de découvrir en 35 mm ce chef-d’œuvre, témoin des îles et du grand large.

Notre avis (3.5/5) : En éclaireur du 7ème art

L’amour d’une femme – Jean Grémillon

France / italie, 1954, 1:44
Avec Micheline Presle, Massimo Girotti, Gaby Morlay

Marie, une jeune doctoresse, se rend sur l’île d’Ouessant afin de remplacer un vieux praticien. Grâce à ses compétences et à son dévouement, elle parvient à se faire accepter par les insulaires. Cependant, un événement pourrait l’amener à renoncer à son métier… Jean Grémillon observe ici le quotidien de l’île et sa vie rude sans chercher à l’idéaliser mais où l’intensité est naturellement lyrique.

Notre avis (3/5) : L’amour d’une femme demeurera à jamais l’ultime film de fiction réalisé par Jean Grémillon. C’était en 1953. Avant l’heure, le cinéaste français s’empare d’un récit féministe qui met en scène une doctoresse incarnée par Micheline Presle et son combat pour s’imposer dans cette fonction au sein d’un microcosme îlien rugueux.

Ce récit peine cependant à passionner même rehaussé par la musique composée par Henri Dutilleux. La distribution complétée entre autres par Gaby Morlay n’est pas en cause. Sans être raté, L’amour d’une femme laisse sur sa faim le spectateur amateur du cinéma de Grémillon. Le film ne bénéficie en effet pas des fulgurances de mise en scène, expérimentations visuelles et autres modernités de prises de vue dont l’auteur de Remorques (1941) était pourtant coutumier.

L’amour d’une femme clôt ainsi sans reflet une filmographie qui n’en manque pourtant pas. Tourné sur l’île d’Ouessant, ce film referme aussi une boucle avec un autre long-métrage insulaire signé Grémillon, Gardiens de phare réalisé près d’un quart de siècle plus tôt.