Travelling 2017 (Tanger)

Urba[Ciné]

Programme 1

  • On ira à Neuilly Inch’allah – Anna Salzberg, Mehdi Ahoudig
    • France, 2015, 20′, N&B, expérimental
  • Chasse Royale – Lise Akoka, Romane Gueret
    • France, 2016, 28′
    • Avec Angélique Gernez, Eddhy Dupont
  • La république des enchanteurs – Fanny Liatard, Jérémy Trouilh
    • France, 2016, 13’22
    • Avec les habitants de la cité des Dervallières
  • Goût bacon – Emma Benestan
    • France, 2016, 12’45
    • Avec Bilel Chegrani, Bahia Hassani, Jennifer Gromas, Adil Dehbi
  • Notre héritage – Caroline Poggi, Jonathan Vinel
    • France, 2016, 24′
    • Avec Lucas Doméjean, Sarah-Megan Allouch-Mainie

Notre avis (3/5) : De cette première sélection de  courts métrages de la section Urba[Ciné], seul On ira à Neuilly Inch’allah est animé d’un parti pris formel audacieux et colle parfaitement à la thématique de la section Urba[Ciné].

Alors que la bande son ne cessera de faire entendre la manifestation des employés de la société Vélib’, On ira à Neuilly Inch’allah s’ouvre par un carton reproduisant une communication condescendante de la DRH de Vélib’ à destination de ses salariés recrutés dans les banlieues défavorisées. A l’écran apparaît ensuite une artère parisienne à l’aube. Sa traversée s’effectue au rythme d’une ballade en vélo. D’autres points stratégiques de la capitale seront successivement empruntés. Ce trajet nous emmènera à Neuilly, peut-être.

L’aspect expérimental de ce court métrage et l’invariance de sa forme technique lui interdisent toute éventualité d’obtenir le prix du public. Mais ce court métrage remporte haut-la-main notre suffrage.

Programme 2

  • For real, tho – Baptist Penetticobra
    • France, 2016, 14′
    • Avec Piper Lincoln, Carmelle Rukiza, Jamar Taylor, Aurora Barrett, Millie Duyé & Alexandre Heuillard
  • Bêlons – El Mehdi Azzam
    • France / Maroc, 2016, 26’21
    • Avec Kamal Aadissa, Faouzi Essafi, Oussama Oussous, Rachid El Fatmi, Ahmed Zaitouni
  • I want pluto to be a planet again – Marie Amachoukeli, Vladimir Mavounia-Kouka
    • France, 2016, 11’32, animation
  • De commencements en commencements – Simon Queheillard
    • France, 2016, 10’40, sans dialogues, expérimental
  • Lupus – Carlos Gómez Salamanca
    • France / Colombie, 2016, 8’48, animation
  • Au loin, Baltimore – Lola Quivoron
    • France, 2016, 25’48
    • Avec Clark Gernet, Owen Kanga, Jean-Marie Narainen

Notre avis (2.5/5) : Par la qualité des animations réalisées et par sa parfaite adhérence au programme « imposé » par la section Urba[Ciné], Lupus domine cette seconde partie de sélection. Et, alors que la plupart des films d’animation distribués se complaisent dans le « fantasy », Carlos Gómez Salamanca a bâti son court métrage sur un fait divers véridique.

Enfin Bêlons de El Mehdi Azzam, tourné en partie dans des lieux désaffectés et en ruine, est un possible lauréat du prix du public par son aspect humoristique et insidieusement irrévérencieux.


Tanger, la blanche

Un thé au Sahara – Bernardo Bertolucci

Titre original : The sheltering sky
Royaume-Uni / Italie / Etats-Unis, 1990, 2:18, Couleur
Avec Debra Winger, John Malkovich, Jill Bennett, Tom Novembre, Paul Bowles

1947. Port et Kit Moresby, un couple d’Américains oisifs, débarquent à Tanger, accompagnés de Tunner, un ami mondain. Après dix années de mariage, Port et Kit, en mal de sensations fortes, espèrent raviver leur amour dans les sables du désert. Bientôt, l’envahissante madame Lyle et son fils, Eric, se joignent à eux. Dès lors, Port n’a de cesse de semer ses compagnons et de s’enfoncer plus avant dans le désert. Les conditions de voyage se dégradent au fil du périple et, bientôt, Port tombe gravement malade. Il trouve refuge dans un fort de l’armée française. Atteint de la typhoïde, son état s’aggrave. Kit reste seule face à l’immensité désertique.

Notre avis (3.5/5) : Adaptation du roman éponyme de l’auteur américain Paul Bowles, Un thé au Sahara fait le récit d’un duo, celui que forment Port (John Malkovich) et Kit Moresby (Debra Winger). Leur vie de couple américain porte les stigmates d’une certaine usure et lassitude. Leur arrivée à Tanger n’est pas celle de touristes mais de voyageurs. Elle résonne comme un nouveau départ mais leur mal profond appellera à une errance dans de plus grandes étendues.

C’est à travers les immenses décors arides du Sahara que ce voyage aux reflets ethnographiques va devenir fuite tant physique que mentale. Bernardo Bertolucci alourdit son récit en étirant certaines scènes au lyrisme appuyé. Sa maestria est ailleurs. Elle se niche dans une mise en scène au cordeau qui ne se montre jamais répétitive durant toute la durée du long métrage (2h20). L’utilisation des grands espaces offerts par le Sahara et de la lumière naturelle rasante est exemplaire. La photographie aux teintes ocres obtenue est magnifique et restitue parfaitement le visuel des lieux traversés. Ce soin particulier apporté à l’aspect visuel d’Un thé au Sahara nous le retrouvons aussi au niveau de la bande son qui restitue avec précision l’ambiance sonore des villes et du désert. Au-delà d’avoir fourni le matériau d’origine, Paul Bowles apparait dans le film dans le rôle du narrateur : voix off et scène dans un bar tangérois.

Le festin nu – David Cronenberg

Titre original : Naked lunch
Royaume-Uni / Canada / Japon, 1992, 1:55, Couleur
Avec Peter Weller, Judy Davis, Roy Scheider, Ian Holm, Julian Sands

1953, à New York. Un ancien drogué, Bill Lee, devenu exterminateur de cafards, est mis sous les verrous par deux agents de la brigade des stupéfiants. Dans le commissariat, un insecte géant le charge d’une étrange commission à transmettre dans le cadre d’une incompréhensible mission d’espionnage. Tout à sa tâche, Bill Lee découvre que sa femme se drogue avec de la poudre insecticide. Le docteur Benway lui prescrit un puissant narcoleptique mais, à son retour, Bill Lee constate que sa femme le trompe avec deux amis à la fois. Il cause accidentellement sa mort et s’enfuit dans le secteur international de Tanger, Interzone, où un extraterrestre, un Mugwump, le rejoint.

Notre avis (4/5) : C’est un peu forcé par son producteur que David Cronenberg se lança dans l’adaptation cinématographique du roman éponyme de William Burroughs. Prenant donc appui sur un récit écrit jugé inadaptable, il aura fallu tout le talent de scénariste et de réalisateur du cinéaste canadien pour aboutir à un film très convaincant.

Rapidement, l’enchaînement de scènes incongrues donne forme et sens à un univers fantasmé dont le spectateur ne pourra s’extraire qu’à l’apparition à l’écran du générique de fin. Le récit en partie autobiographique de William Burroughs est celui d’un esprit malade et tourmenté. Entre addiction aux drogues, homosexualité, hallucinations et affres d’écrivain, le fil narratif est source de multiples visions fantasmées flirtant avec des apparitions cauchemardesques. Et chacune de ces visions prête le flanc à autant de lectures et interprétations qui seront propres à chaque spectateur.  Bienvenue en Annexie !

Fantômes de Tanger – Edgardo Cozarinsky

Maroc / France / Allemagne, 1998, 1:27, Couleur
Avec Laurent Grevill, Larbi Yacoubi, Brenda Gerolemou, Dick Chapman, Paul Bowles

Dans le Tanger d’aujourd’hui, deux personnages croisent leurs chemins sans jamais se rencontrer. L’un est un écrivain français en panne d’inspiration, à la recherche des lieux et des personnages encore vivants d’une légende : celle du Tanger de la « zone internationale ». L’autre est un gamin d’une douzaine d’années, venu du sud marocain avec le seul espoir de traverser clandestinement le détroit de Gibraltar pour arriver dans la terre promise de la communauté européenne… Ils séjournent dans la même ville mais vivent dans des mondes différents.

<bande annonce>

Notre avis (3/5) : Dans Fantômes de Tanger, Edgardo Cozarinsky propose un double récit. D’abord celui du Tanger d’avant l’indépendance du Maroc quand « Tanger rimait avec danger ». La « colonie pénitentiaire à ciel ouvert » et son quartier du Petit Socco, parc à tous les petits trafics imaginables, étaient contradictoirement un lieu d’évasion pour des parias venus de l’étranger à la recherche d’une nouvelle identité. En voix off posée et littérature, le cinéaste évoque William Burroughs, Jean Genet, Jane et Paul Bowles (qui apparaît à l’écran) parmi les figures littéraires marquantes du Tanger de Mohamed V, cité internationale.

Dans sa partie contemporaine, Fantômes de Tanger relève aussi du drame. Nous y suivons de façon sporadique un jeune personnage cherchant à faire le chemin inverse de ses prédécesseurs à savoir atteindre les côtes espagnoles.

Entre documentaire et fiction, Edgardo Cozarinsky met donc en parallèle les clandestins d’hier venus du nord et les clandestins d’aujourd’hui venant du sud. Leur point commun réside dans la fuite d’un quotidien devenu impossible avec l’espoir de le troquer pour un simple ordinaire supportable. Ces clandestins conjugués au passé et ces clandestins conjugués au présent sont les Fantômes de Tanger.

Loin – André Téchiné

France / Espagne, 2001, 2:00, Couleur
Avec Stéphane Rideau, Lubna Azabal, Mohamed Hamaidi, Yasmina Reza, Jack Taylor, Gael Morel

Serge, un jeune chauffeur routier, fait la traversée de l’Europe à l’Afrique et vient régulièrement à Tanger où il retrouve sa maîtresse Sarah et son ami Saïd. Mais cette fois, Serge va céder à la tentation du trafic… Premier film tourné en numérique dans la carrière de Téchiné, ce film vif et dense suit des personnages happés par l’esprit de l’exil dans cette ville-frontière, pleine de rêves, qu’est Tanger.

Notre avis (2.5/5) : Autour d’une poignée de personnages principaux, André Téchiné parvient assez efficacement à cristalliser l’ensemble des maux auxquels Tanger et ses habitants sont confrontés. Au-delà de la question des clandestins cherchant un moyen fiable de gagner la côte espagnole, le cinéaste aborde la condition des autochtones. Quand plus rien ne vous retient au pays, faut-il tenter de s’exiler en Europe, continent réceptacle de nombreux espoirs ? Et comment se procurer l’argent nécessaire pour une traversée à l’issue incertaine ?

Une minute de soleil en moins – Nabil Ayouch

France / Maroc, 2003, 1:38, Couleur
Avec Nouraddin Orahhou, Lubna Azabal, Hicham Moussoune

Kamel Raoui, un jeune inspecteur de police, est chargé d’enquêter sur la mort d’Hakim Tahiri, un important trafiquant de drogue, assassiné dans sa villa tangéroise. La première suspecte est son employée et maîtresse : Touria, une jeune femme qui vit sur les lieux du crime avec son petit frère, Pipo. Alors que Touria est placée en garde à vue, Kamel recueille chez lui Pipo avec qui se tisse une complicité très forte.

<bande annonce>

Notre avis (1/5) : Certes il peut être argué qu’Une minute de soleil en moins a été réalisé dans le cadre de la collection « Masculin/Féminin » d’Arte donc avec un budget limité et pour une diffusion sur le petit écran. Mais, en cumulant une mise en scène quasi inexistante, une photographie pauvre, des scènes de voiture d’un autre âge, Nabil Ayouch livre un film de télévision bien plus proche des vidéos Internet que du cinéma. Le choix de cadres serrés pour cacher l’indigence des décors ne fait pas illusion longtemps d’autant qu’ils paraissent bien disgracieux sous un éclairage de pacotille et face à des acteurs au charisme incertain exception faite de Lubna Azabal.

Malgré l’audace des thèmes abordés sur les rapports entre hommes et femmes (part de féminité des hommes, transsexualité), Une minute de soleil en moins paraît finalement bien désuet.

Les temps qui changent – André Téchiné

France, 2004, 1:30, Couleur
Avec Catherine Deneuve, Gérard Depardieu, Gilbert Melki, Malik Zidi

Antoine est envoyé à Tanger pour superviser un chantier. Il y retrouve Cécile… Ils se sont aimés il y a trente ans, se sont quittés, et ne se sont jamais revus. Elle, s’est mariée au Maroc et a refait sa vie. Lui, n’a jamais su oublier, ni guérir. Il n’a plus qu’une idée en tête : la reconquérir.

Notre avis (2.5/5) : Dans Les temps qui changent, André Téchiné multiplie les récits d’un présent amer que certains des protagonistes cherchent à contrecarrer en tentant de faire revivre un passé. A défaut, ce passé qui semble révolu pourrait se voir définitivement enterré. Ainsi, « 31 ans, 8 mois et 20 jours » telle est la durée qui sépare le présent de la fin de l’idylle de jeunesse nouée entre Antoine (Gérard Depardieu) et Cécile (Catherine Deneuve), « couple » central des chroniques nostalgiques mises en images par André Téchiné. Le montage alterné pratiqué par le cinéaste entre ses différents récits ne permet pas de gommer totalement un sentiment de juxtaposition, faute aussi de liens insuffisamment écrits entre les histoires.

D’une distribution hétéroclite, l’interprétation fournie par Gérard Depardieu ressort du lot par quelques fulgurances dont il a le secret. Lubna Azabal est également à son avantage dans le double rôle de sœurs jumelles dont le drame sous-jacent était prometteur mais que le réalisateur traite trop rapidement. La mise en scène demeure classique et peu aventureuse. Les cadres serrés sont privilégiés et laissent échapper quelques gros plans à l’esthétique aléatoire. A peine pouvons-nous noter un travail spécifique sur la couleur rouge (sang, fleurs, vêtements, rouge à lèvre, mosaïques).

Juanita de Tanger – Farida Benlyazid

Titre original : La vida perra de Juanita Narboni
Maroc / Espagne, 2006, 1:41, Couleur
Avec Mariola Fuentes, Francisco Algora, Salima Benmoumen, Cheta Lera, Lou Doillon, Nabila Baraka, Nadia Alami

Juanita, de père anglais et de mère andalouse, raconte ses peines et parle des femmes qui l’entourent. Sa soeur Helena, obsédée de liberté et qui a étudié au lycée français. Esther, son amie juive marocaine complètement engloutie dans son histoire d’amour impossible avec un jeune homme marocain musulman. Et enfin, Hamruch, la fidèle domestique ; sa famille à elle seule quand les autres ne sont pas là.

<bande annonce>

Notre avis (2/5) : Autour de son personnage-titre dont la famille a fui l’Espagne franquiste pour s’établir à Tanger, Farida Benlyazid brosse une trop ambitieuse chronique féminine et féministe. Juanita, personnage féminin énergique jusqu’à l’hystérie, concentre les relations avec les autres protagonistes qui entrent et disparaissent du film sans réelle explication. Il ressort de Juanita de Tanger une impression de film mosaïque durant lequel les saynètes se succèdent sans réel lien entre elles. Dès lors, le récit se délite progressivement. La raideur psychologique de Juanita et le mélange des langues (espagnol, arabe, français, anglais) dans des dialogues descriptifs (rien ne passe par la mise en scène composée exclusivement de plans fixes) mais aussi dans les soliloques… font barrage à toute empathie.

Goodbye Morocco – Nadir Moknèche

France / Belgique, 2013, 1:42, Couleur
Avec Lubna Azabal, Radivoje Bukvic, Faouzi Bensaïdi, Grégory Gadebois

Dounia, divorcée, un enfant, vit avec un architecte serbe à Tanger. Une liaison scandaleuse aux yeux de la famille marocaine. Le couple dirige un chantier immobilier où le terrassement met à jour des tombes chrétiennes du IVème siècle, ornées de fresques.

Dounia se lance alors dans un trafic lucratif, espérant gagner très vite de quoi quitter le Maroc avec son fils et son amant. Mais un des ouvriers du chantier disparaît ?

Notre avis (3/5) : Emmené par Lubna Azabal, mère révoltée et inflexible chef d’entreprise, Goodbye Morocco traite de la condition des travailleurs africains clandestins cherchant à gagner l’Europe. Sur fond de trafic d’œuvres rupestres et de dénonciation de la condition de mère divorcée au Maroc, Nadir Morknèche radiographie les nombreuses difficultés auxquelles son pays doit faire face.

Dans ce film noir convaincant, à peine pouvons-nous regretter une légère surenchère dans la dramatisation. La trame dramatique construite autour du personnage d’Ali (Faouzi Bensaïdi) nous paraît par exemple superflue. Son absence aurait permis d’accorder plus de temps au traitement de sujets sociétaux que Nadir Morknèche aborde avec courage.

Hope – Boris Lojkine

France, 2015, 1:26, Couleur
Avec Justin Wang, Endurance Newton, Nabyl Fally Koivogui

Alors qu’il traverse le Sahara pour remonter vers l’Europe, Léonard, un jeune Camerounais, vient en aide à Hope, une Nigériane. Dans un monde hostile où chacun doit rester avec les siens, ils vont tenter d’avancer ensemble, et de s’aimer.

Notre avis (3/5) : Premier long métrage de fiction réalisé par Boris Lojkine, Hope présente quelques qualités notables qui viennent pleinement justifier le prix SACD obtenu en 2014 dans le cadre de la Semaine de la critique du festival de Cannes.

La première de ces qualités est certainement l’originalité de traitement d’un sujet sensible : l’émigration clandestine d’africains souhaitant vivre en Europe. L’écriture précise du scénario emprunte au monde du documentaire, dont est issu Boris Lojkine, et permet au long métrage d’échapper à nombre de stéréotypes. Les ghettos communautaires des filières de migration et leur organisation hiérarchique sont ainsi décrits avec pertinence et justesse. Enfin, le récit de l’exil du couple de réfugiés central, interprété par Justin Wang et Endurance Newton, comédiens non professionnels, s’effectue exclusivement à travers leur regard.

En ne faisant pas abstraction de la violence et de la vulnérabilité de tout un chacun face à elle, Boris Lojkine questionne les spectateurs sur le pouvoir de l’argent, les systèmes mafieux des filières d’émigration et la position des femmes dans cet exode.


Leila Kilani

Sur la planche – Leila Kilani

Allemagne / Maroc / France, 2012, 1:50, Couleur
Avec Soufia Issami, Mouna Bahmad, Nouzha Akel, Sara Bitioui

Badia et Imane travaillent à l’usine de décorticage des crevettes de Tanger. Elles vivent la nuit, et rentrent tard dormir dans leur gourbi. A la suite d’un recel qui a mal tourné, elles décident de faire équipe avec Nawal et Asma, deux filles rencontrées en soirée. Un gros coup se présente sous la forme d’une cargaison de smartphones appartenant au parrain local ?

Notre avis (2/5) : Sur la planche suit de près deux jeunes femmes employées à décortiquer des crevettes dans une usine du port de Tanger, travail monotone, répétitif et aliénant. Ces « filles-crevettes » rêvent de travailler dans l’usine voisine de textile et devenir ainsi « filles-textiles ». Au-delà, leurs rêves nocturnes sont tout autres.

La première scène a toutes les apparences pour nous être projetée à nouveau en guise de séquence finale. Leila Kilani saborde donc son intrigue pour mieux nous orienter à suivre l’évolution psychologique de ses personnages. Erreur, cette première séquence ne sera pas celle de l’épilogue.

Sur la planche n’est pas exempt de quelques scènes redondantes qui nuisent au rythme de la narration. De plus, l’hyperactivité des deux héroïnes cache une fuite en avant dont nous appréhendons (trop) rapidement l’issue tragique. Le film illustre cependant avec sobriété les conditions de travail et de vie de ces esclaves modernes.


Faouzi Bensaïdi

Mort à vendre – Faouzi Bensaïdi

Titre original : Death for sale
France / Belgique / Maroc, 2013, 1:57, Couleur
Avec Fehd Benchemsi, Fouad Labiad, Mouchcine Malzi, Iman Mechrafi, Nezha Rahile, Faouzi Bensaïdi

Dans la ville de Tétouan, au Maroc, Soufiane, Malik et Allal, trois amis inséparables habitués aux petits délits, décident de devenir les Barons de la drogue. Mais leur rencontre avec Dounia, une prostituée du club « La Passarella », va venir perturber leurs plans et les forcer à choisir entre l’amitié ou l’amour, l’honneur ou la trahison, le vice ou la raison.

Notre avis (3/5) : Faute d’une écriture scénaristique suffisamment fluide, Mort à vendre souffre de quelques scènes un peu théâtrales. Dans son préambule et sur fond d’intrigue policière, le film prend pour principale thématique la confrontation entre fidélité et trahison avant de se muer enfin dans son dernier quart en film de casse. Il en ressort une mise en bouche un peu longue durant laquelle les principaux protagonistes se montrent plus fuyants qu’attachants.

Nous parvenons sans mal à identifier une certaine recherche de Faouzi Bensaïdi dans les positionnements de sa caméra et la composition de ses cadres. S’il n’est pas continu, cet effort n’en est pas moins louable. Ainsi, le metteur en scène prend soin d’utiliser les perspectives proposées par l’architecture urbaine de la ville de Tétouan, quitte à s’y attarder par instant.

Mille mois – Faouzi Bensaïdi

France / Belgique / Maroc, 2003, 2:04, Couleur
Avec Fouad Labied, Nezha Rahile, Mohamed Majd, Mohammed Afifi

Au Maroc, en 1981. Amina est obligée de quitter Meknès après l’arrestation de son mari. Elle emmène son jeune fils Mehdi et se réfugie dans le village familial, auprès du grand-père Ahmed. Mehdi croit que son père est parti travailler en France. Sa famille fait tout ce qu’elle peut pour lui cacher la vérité. Le jeune garçon se lie d’amitié avec Malika, la fille du caïd du village, et se voit attribuer à l’école la responsabilité de la chaise de l’instituteur. En contrepartie, celui-ci lui demande de lire à sa voisine les poèmes d’amour qu’il lui écrit. Malgré les efforts de sa famille pour le préserver, Mehdi finit par apprendre la triste vérité…

Notre avis (4/5) : Le film Mille mois déploie durant deux heures une chronique villageoise douce-amère à travers le regard de Mehdi, son jeune héros. En mêlant humour et gravité dans son récit, Faouzi Bensaïdi octroie à son premier long métrage un bel équilibre maintenu de bout en bout entre poésie et réalisme. La narration sensible (exempt de pathos et de misérabilisme) et foisonnante ne s’essouffle pas durant ce parcours d’apprentissage par Mehdi du monde des adultes et de ses bassesses (non-dits, violence, tromperies, etc.).

La dynamique de la narration est accompagnée de celle de la réalisation. Faouzi Bensaïdi alterne habilement les plans larges et serrés, les séquences ouvertes sur l’extérieur et celles plus intimes tournées dans ce village reculé de l’Atlas marocain. Le réalisateur joue également avec les objets du quotidien comme cette chaise d’instituteur, véritable personnage à part entière et fil rouge du récit, ou la télévision commune propice à ménager des entractes dans l’histoire racontée.

Ces qualités de réalisation et de narration n’avaient pas échappé au jury de la sélection Un certain regard du festival de Cannes. Faouzi Bensaïdi y remporta en 2003 et fort logiquement le Prix le Premier Regard.

La falaise – Faouzi Bensaïdi

France, 1998, 0:18, N & B
Avec Adil Halouach, Mohamed El Warradi, Mehdi Halouach, Zakaria Atifi

Pour Hakim et son petit frère Saïd, la journée s’étend au rythme des petits boulots. D’abord au cimetière où ils blanchissent une tombe à la chaux, puis chez un marchand d’alcool aveugle. Au bord de la falaise, quelques bouteilles vides pourraient faire la fortune des enfants…

<bande annonce>

Notre avis (2.5/5) : Dans La falaise, son premier court-métrage, Faouzi Bensaïdi met en scène deux jeunes frères occupant leurs journées à réaliser quelques petits boulots pour en retirer un peu d’argent. Le noir et blanc adopté permet de surligner la misère ambiante et l’austérité d’un environnement où la raison du plus fort fait loi. Aux ruelles étroites et tortueuses répondent les paysages d’un littoral méditerrané voisin. Mais, à force de cadres fixes, c’est bien un sentiment d’emprisonnement qui domine et vient symboliser un horizon bouché auquel mène ce court récit d’apprentissage.

Le cheval de vent – Daoud Aoulad-Syad

Titre original : Aoud rih
Maroc / France, 2002, 1:28, Couleur
Avec Mohamed Majd, Faouzi Bensaïdi, Saadia Azgoune

Au Maroc, Tahar, un ancien maréchal-ferrant qui se désintéresse de tout, vit chez son fils. La communication avec autrui paraît difficile, voire inexistante. Il n’a qu’une seule chose en tête : retourner sur la tombe de son épouse, enterrée à Azemmour, où il a vécu intensément avant de prendre sa retraite. Sur son chemin, Tahar fait la connaissance de Driss, pied nickelé improbable en perfecto, un jeune homme à la recherche de sa mère, disparue de la maison familiale alors qu’il était enfant. Ils décident de faire la route ensemble en empruntant tout type de transport : le bus, le side-car, le bateau.

<bande annonce>

Notre avis (3/5) : Entre Casablanca et Azemmour, Daoud Aoulad-Syad musarde et noue un récit existentialiste. Le cheval de vent prend ainsi les allures d’un road movie propice à visiter plusieurs thèmes tels que les liens familiaux, la transmission d’un savoir, le veuvage ou encore la part de rêve restante de nos existences.

Autour des deux personnages principaux se nouent des liens quasi filiaux tant Tahar (Mohamed Majd) fait figure de possible père de substitution pour Driss (Faouzi Bensaïdi) son compagnon de route.

Pour Driss, ancien maréchal-ferrant fuyant son quotidien, le cheval-titre est vapeur et anime le rutilant side-car qui servira de principal moyen de locomotion pour ce vagabondage. Le vent est celui du littoral, celui qui forme les vagues dans lesquelles pourraient s’échouer nos héros.

Cf. également Loin d’André Téchiné et Goodbye Morocco de Nadir Moknèche chroniqués plus haut.


Hicham Lasri

Headbang lullaby – Hicham Lasri

France / Maroc, 2016, 1:59, Couleur, vostf
Avec Aziz Hattab Moqadem, El Jirari Benaissa, Latefa Ahrrare, Adil Abatorab, Salma Eddlimi

Casablanca, 11 juin 1986, un jour de coupe du monde. Après une énième bavure, un flic aigri est envoyé par ses supérieurs mécontents passer une journée sur un pont entre deux quartiers en guerre afin de protéger le passage hypothétique du cortège Royal. A la fois Don Quichotte désabusé et Don Juan paresseux, Daoud est un pauvre mec coureur de jupons qui fait le désespoir de tout le monde, à commencer par sa femme lucide et harassée et son chef colérique. Prisonnier de ce pont, Daoud va se transformer au contact des habitants des deux villages, il apprendra la maturité au contact d’un enfant de cinq ans et la dignité d’une mère au crâne rasée par la police secrète brisée. Il prendra une leçon de vie de deux Moqadems*, frères ennemis teigneux et une leçon d’humilité par un chef de police facétieux. Cette journée anodine faite d’attente absurde, de rencontres improbables et de poésie brutale se déroule sous l’ombre géante et messianique d’un monarque dont le passage perturbe l’équilibre précaire de cette population bigarrée.

Notre avis (1/5)Headbang lullaby pourrait devenir une nouvelle valeur étalon, à savoir celle qui mesurerait le taux d’ensevelissement du fond par la forme. A la lecture du synopsis, le propos du film s’annonce confus puisque Hicham Lasri multiplie les pistes : le parcours de l’équipe marocaine de football lors de la coupe du monde de 1986, les émeutes de 1981 à Casablanca, un conflit communautaire entre deux villages séparés par un pont qu’un agent de police local (Aziz Hattab) doit surveiller en prévision du possible passage du cortège royal… Un menu copieux qui sera finalement indigeste.

Faute d’une écriture suffisamment réfléchie et travaillée, il sera bien difficile aux spectateurs de démêler le plausible (ne parlons pas de vérisme) de la pure farce, de l’absurde et, in fine du superflu. Headbang lullaby échoue à avancer la moindre réflexion ou message.

A cette confuse et frêle « narration », Hicham Lasri vient greffer une mise en scène des plus démonstratives qui à aucun moment ne sert le propos. Headbang lullaby est ainsi jonché de plans réalisés au steadycam aussi improbables que redondants : enchaînements de rotations rapides (verticales ou horizontales) à 360°, multiplication des prises de vues en biais, images inversées (180°), etc. Enfin, ce long métrage est marqué par un gros travail de post production et d’étalonnage, mais là encore la profusion nuit au réalisme.

Ces expérimentations visuelles prétentieuses à grand renfort de mouvements de caméra inappropriés n’apportent rien d’autre qu’un peu plus de confusion chez les spectateurs. La greffe ne prend pas et la projection du film en devient exténuante.

The end – Hicham Lasri

Titre original : Al nihaya
Maroc, 2011, 1:50, Noir et blanc
Avec Sam Kanater, Salah Ben Salah, Hanane Zouhdi, Nadia Niazi, Malek Akhmiss

Casablanca, juillet 1999. Mikhi, poseur de sabot, tombe amoureux de Rita, la sœur fragile d’une fratrie de voleurs de voitures. Il va tout faire pour que Rita et lui puissent vivre leur histoire d’amour.Mais en même temps, Daoud, un policier de la vieille école aux méthodes violentes, se lance aux trousses des voleurs ?

Notre avis (3/5) : De l’aveu-même de son réalisateur, The end n’est pas un film dénonciateur.  Hicham Lasri a écrit le scénario avec l’objectif de faire aboutir le récit à la date du 23 juillet 1999, jour du décès du roi Hassan II. Cette date jalon de l’histoire du Maroc marquera la fin (The end) d’une époque et laissera la population marocaine désemparée. Métaphorique, ce long métrage à l’atmosphère voisine du film noir l’est assurément et l’épilogue chaotique du film en sera le révélateur. Face à l’omnipotence de la police locale, d’un chaos inattendu naîtra peut-être l’espoir pour la jeunesse de Casablanca et d’ailleurs.

La réalisation très démonstrative (abus de prises de vues aériennes, en oblique ou tournées de 180°) de Hicham Lasri détourne le regard du spectateur face à une violence esthétisée façon Quentin Tarantino mais en noir et blanc. Mais derrière ces gimmicks qui ne servent pas toujours la narration, The end recèle quelques fulgurances visuelles et de belles idées de mise en scène. A l’image du beau plan-séquence d’une dizaine de minutes en début de film, la réalisation du cinéaste marocain est indéniablement maîtrisée. Plus épurée, elle aurait permis de moins étouffer le propos.


Nabil Ayouch

Les chevaux de dieu – Nabil Ayouch

Maroc / France / Belgique, 2013, 1:55, Couleur
Avec Abdelhakim Rachi, Abdelilah Rachid, Hamza Souidek, Ahmed El Idrissi Amrani

Yassine et Hamid vivent dans le bidonville de Sidi Moumen à Casablanca. Lorsque Hamid se retrouve en prison, Yassine enchaîne alors les petits boulots pour sortir de ce marasme où règnent violence, misère et drogue. À sa sortie de prison, Hamid a changé. Devenu islamiste radical pendant son incarcération il persuade Yassine et ses amis de rejoindre leurs « frères ».

Notre avis (2.5/5) : Pour réaliser Les chevaux de dieu, Nabil Ayouch s’est inspiré des Étoiles de Sidi Moumen,  un roman de Mahi Binebine relatant les cinq attentats-suicides du 16 mai 2003 de Casablanca. Les poseurs de bombes étaient tous habitants de Sidi Moumen, un bidonville voisin.

Traiter de la radicalisation religieuse au cinéma n’est pas une mince affaire. Ce sujet, éminemment délicat et contemporain, est plus adapté au format du documentaire qu’à celui du long métrage de fiction. Avec Les chevaux de dieu, Nabil Ayouch tente de s’en emparer. Si l’épilogue est d’une remarquable pudeur et justesse, tout ce qui le précède semble d’abord éviter le sujet avant de s’y frotter par petites touches.

Le préambule des Chevaux de dieu, composé de courtes scènes répétitives, frôle le hors sujet. Sa longue durée sera ensuite compensée dans le récit par des ellipses. La première ellipse malheureuse est celle qui concerne le retour d’Hamid de prison. En deux ans d’emprisonnement, Hamid s’est radicalisé. Sans la moindre image sur cette période d’incarcération, Nabil Ayouch réduit à un fait un sujet passionnant qui justifierait à lui seul un long métrage ! Ensuite, le processus de radicalisation des proches d’Hamid commence. Là encore, le réalisateur joue d’ellipses malheureuses. La radicalisation progressive attendue et réelle se mue en un endoctrinement par à-coup irréel.

Le sujet passionnant des Chevaux de dieu méritait un bien meilleur traitement, dommage.

Whatever Lola wants – Nabil Ayouch

France / Canada, 2008, 1:55, Couleur
Avec Laura Ramsey, Assaad Bouab, Carmen Lebbos, Hichem Rostom

Lola vit à New York, et rêve d’une carrière de danseuse. Partie au Caire sur un coup de tête pour suivre le beau Zack dont elle est éprise, elle décide d’y retrouver la légende de la danse orientale, la grande Ismahan, mais va devoir faire face à de nombreuses différences culturelles. Entre Broadway et les cafés du Caire, Lola ne semble pas savoir dans quel pays elle pourrait s’épanouir. Un film très personnel de Nabil Ayouch, lui aussi tiraillé entre différentes cultures, et qui, à travers le cinéma (et la danse pour son héroïne), souhaite parler non pas de ce qui nous sépare, mais de ce qui nous réunit.

Notre avis (2/5)Whatever Lola wants débute comme une banale sitcom façon Friends. Quand Lola (Laura Ramsey) quitte New-York pour suivre son amoureux Zack (Assaad Bouab) au Caire, l’espoir revit d’aborder quelques sujets moins consensuels. Las, nous venons de troquer les beaux quartiers de Brooklyn pour ceux du Caire. Dans ce feel good movie, les différences culturelles annoncées par le synopsis alimentent peu le récit. Reconnaissons cependant à Nabil Ayouch d’avoir su imprimer un rythme alerte à sa comédie puisque seul l’épilogue traîne un peu en longueur. Mais la seule application des codes des sitcoms américaines en terres égyptiennes ne suffit pas à donner corps et sens à Whatever Lola wants. Film d’exportation avant tout, lisse et riche en clichés, ce long métrage ne ravira que les amateurs du genre.

Ali Zaoua, prince de la rue – Nabil Ayouch

France / Maroc / Belgique, 2001, 1:40, Couleur
Avec Saïd Taghmaoui, Mounïm Kbab, Hicham Moussoune, Mustapha Hansali

Ali, Kwita, Omar et Boubker sont des enfants des rues de Casablanca. Au-delà de tous les problèmes quotidiens de survie, une amitié indéfectible les lie. Depuis qu’ils ont quitté la bande de Dib, ils habitent sur le port. Car Ali Zaoua veut devenir marin et faire le tour du monde. Cependant, Ali est tué dans une bagarre entre bandes rivales. Dorénavant, ses trois copains n’auront qu’un seul but, lui offrir l’enterrement qu’il mérite.

Notre avis (3.5/5) : Réalisé en 2000, Ali Zaoua, prince de la rue est le premier film marocain qui a fait de la pauvreté au Maroc un personnage central et incontournable. L’audace narrative est d’autant plus notable que le parti pris de Nabil Ayouch est de montrer cette pauvreté à travers des gamins livrés à eux-mêmes dans les rues de Casablanca. Sans filtre déformant, ces victimes innocentes d’un destin rendu encore plus cruel par les inégalités sociales dénoncées paraissent particulièrement vulnérables.

La jetée longée en vue aérienne est le marqueur récurrent de la séparation entre riches et pauvres. Sans boucher l’horizon, les pauvres voient les riches, elle matérialise une ligne de démarcation qui fait barrière à l’approche des seconds par les premiers. Deux mondes coexistent côte à côte mais étrangers l’un à l’autre. La fin de la jetée atteinte en fin de film indique, après un court temps d’arrêt, la direction du grand large. L’horizon est dégagé et la boussole indique plein ouest…

Cf. également Une minute de soleil en moins chroniqué plus haut.


Maroc, grand angle

Transes – Ahmed El Maanouni

France / Maroc, 1981, 1:26, Couleur
Avec Larbi Batma, Nass-El Ghiwane, Omar Sayed, Allal Yaâla, Abderrahman Paco

Nass El Ghiwane est un groupe de musiciens marocains formé dans les années 70 au coeur de l’un des quartiers pauvres de Casablanca. Mêlant grands thèmes traditionnels et incantations laïques, leur musique puise dans le creuset de la culture populaire. Les chansons racontent aussi bien les joies du monde qu’elles pleurent les poètes défunts, clamées au son de rythmes frénétiques. Au détour des rues comme dans les salles de concert bondées, l’explosion musicale déclenchée par Nass El Ghiwane met les foules en transe.

Notre avis (2/5) : Sans contextualisation du groupe de musiciens marocains Nass El Ghiwane, Ahmed El Maanouni ne facilite pas l’appréhension de son documentaire-biopic par un public non initié. Certes les chants sont sous-titrés et dévoilent ainsi un certain engagement tant philosophique que politique, mais Transes demeure hermétique.

La restauration faite avec soin de ce documentaire permet de profiter pleinement des compositions, chants et musiques, de ce groupe de musique. Les thèmes répétitifs et les rythmes frénétiques font penser aux chants tribaux africains.

Mirage (Al-sarab) – Ahmed Bouanani

Maroc, 1979, 1:40, N & B
Avec Mohamed El Habachi, Mohamed Saïd Hafifi, Mustapha Mounir, Abdellah Amrani, Fatima Regragui

mirage

1947: le Royaume du Maroc est, depuis 1912, sous protectorat français. Dans une petite bourgade, les autorités locales procèdent à la distribution de sacs de farine aux nécessiteux de la région. Dans l’un des ces sacs, Mohamed Ben Mohamed découvre des billets de banque. De la cour des miracles aux gargotes sombres, Mohammed rencontre Ali Ben Ali, saltimbanque, cousin marocain d’un Chaplin ou d’un Buster Keaton. C’est le début de la fable qui se situe entre hier et demain : entre silence et cri, et qui s’achève comme une désillusion.

<bande annonce>

Notre avis (2/5) : Fable mi racontée, mi chantée, l’unique long métrage réalisé par Ahmed Bouanani est une œuvre très singulière. La déambulation physique de l’omniprésent protagoniste principal aura pour reflet l’errance mentale du spectateur.

Film-jalon dans le début de la modernité cinématographique marocaine, Mirage apparaît alors comme un film aussi personnel qu’exigeant. Il semble porter en lui une certaine métaphore de l’oppression politique. Il se ferme sur deux cartons. Le premier est une mise en garde envers les Américains et les étrangers. Le second, plus verbeux, n’est pas sous-titré… Mirage, œuvre spectrale, garde ainsi tout son mystère.

Cf. également The end d’Hicham Lasri chroniqué plus haut.


Avant-premières

Orpheline – Arnaud des Pallières

France, 2017, 1:51, Couleur
Avec Adèle Haenel, Adèle Exarchopoulos, Solène Rigot, Vega Cuzytek, Jalil Lespert, Gemma Arterton, Nicolas Duvauchelle, Sergi Lopez

Quatre moments de la vie de quatre personnages féminins. Une petite fille de la campagne, prise dans une tragique partie de cache-cache. Une adolescente ballotée de fugue en fugue, d’homme en homme, puisque tout vaut mieux que le triste foyer familial. Une jeune fille qui monte à Paris et frôle la catastrophe. La femme accomplie enfin, qui se croyait à l’abri de son passé. Peu à peu, ces figures forment une seule et même héroïne.

Notre avis (2/5) : Après Michael Kohlhaas (2013), film très masculin, Arnaud des Pallières vire de bord avec Orpheline, film résolument féminin… mais pas féministe. Le cinéaste fait le récit tourmenté d’une femme à quatre âges de sa vie. Une enfance traumatique et une adolescence violente qui mènent à une vie d’adulte rebelle. Le récit forme une boucle narrative sur l’héroïne à l’âge adulte. En remontant le fil du temps lors de cette boucle, Arnaud des Pallières prend à rebrousse-poil l’évolution psychologique de son personnage. Le procédé est certes audacieux mais le cinéaste se prive ainsi d’introduire sereinement sa figure centrale au sein d’un récit elliptique. Dès lors, par leur violence, leur frontalité et leur mise en avant, certaines scènes prêtent le flanc à la critique.

Le personnage principal à l’âge adolescent (13 ans) et adulte (environ 20 et 30 ans) est respectivement interprétée par Solène Rigot (25 ans), Adèle Exarchopoulos (24 ans) et Adèle Haenel (28 ans). Nous pouvons nous interroger sur les motivations qui ont poussé le cinéaste à enrôler trois actrices sensiblement du même âge pour interpréter un même personnage de 13 à 30 ans. Pourquoi faire figurer Adèle Exarchopoulos et Adèle Haenel là où le rôle n’appelait qu’une unique interprète ? Cette question est d’autant plus prégnante qu’une unique actrice, Gemma Arterton, donne la répartie aux deux Adèle sur le période de dix ans couverte. De ce casting féminin, Solène Rigot se distingue assez nettement par sa performance remarquable dans un rôle difficile.

Paris pieds nus – Fiona Gordon & Dominique Abel

France / Belgique, 2017, 1:23, Couleur
Avec Dominique Abel, Fiona Gordon, Emmanuelle Riva, Pierre Richard

Fiona, un bibliothécaire canadienne, débarque à Paris pour venir en aide à sa vieille tante Martha, menacée d’internement dans une maison de retraite. Mais Fiona perd ses bagages et découvre que Martha a disparu. C’est le début d’une avalanche de catastrophes, qui lui feront croiser le chemin de Dom, SDF égoïste, frimeur et collant qui lui pourrit la vie.

Notre avis (2.5/5)Dominique Abel et Fiona Gordon, à nouveau devant et derrière la caméra, adoptent dans Paris pieds nus un cinéma moins burlesque et plus dialogué que dans leurs précédents films. L’expression orale vient donc ici en contrepoids de l’expression corporelle. Le comique de situation et les gags graphiques et physiques restent animés par les ressorts de la pantomime. Tout en maladresse soigneusement maîtrisée, ces exercices empruntent à Pierre Etaix et à Charlie Chaplin alors que les aplats de couleur font penser au cinéma de Jacques Tati.

Paris pieds nus fait entrer deux nouveaux membres dans la troupe de Dom et Fiona. Emmanuelle Riva touchante et émouvante dans ce qui restera l’un de ses derniers rôles. Et Le grand blond avec une chaussure noire, Pierre Richard, qui s’insère parfaitement dans l’univers burlesque et poétique des deux cinéastes.

Adieu Mandalay – Midi Z

Titre original : The road to Mandalay
Taïwan, France, Allemagne, Birmanie, 2016, 1:48
Avec Kai Ko, Wu Ke-Xi

Lianqing et Guo se rencontrent en traversant clandestinement la frontière pour aller travailler en Thaïlande. Lianqing trouve un emploi comme plongeur dans un restaurant tandis que Guo travaille dans une usine textile en banlieue. Mais Guo fait de moins en moins confiance à Lianqing. Leur amour est voué à l’échec.

Notre avis (2.5/5)Midi Z est un jeune réalisateur birman vivant depuis dix-huit ans à Taïwan. Adieu Mandalay est son premier long métrage bénéficiant, hors festivals, d’une distribution en France. Il questionne l’émigration des Birmans vers la Thaïlande et leurs vies en exil entre clandestinité, petits boulots et acquisition de faux papiers d’identité.

La mise en scène adoptée est douce pour privilégier un réalisme lancinant. Cette légèreté rentrera cependant en opposition avec la fin du film durant laquelle Midi Z effectuera quelques embardées oniriques avant un épilogue sacrificiel d’une grande froideur. Le parti-pris de réalisation est radical et destine ce long métrage à un public averti.

En composant son film d’une majorité de longs plans fixes, Midi Z semble s’inspirer du cinéma de Ming-Liang Tsaï. Ainsi, une scène d’Adieu Mandalay montre un groupe de deux roues arrêté à un feu rouge. Bien que prise sous un autre angle et d’une durée moins longue, cette scène rappelle une séquence semblable présente dans Les chiens errants (2013) de Ming-Liang Tsaï.

Album de famille – Mehmet Can Mertoglu

Titre original : Albüm
Turquie, 2017, 1:43, Couleur
Avec Sebnem Bozoklu, Murat Kiliç, Riza Akin, Sebnem Bozoklu

Un couple marié, approchant la quarantaine, met en scène pour un album photos une fausse grossesse afin de dissimuler à son entourage qu’il adopte un enfant…

Notre avis (3/5) : L’argument initial d’Album de famille se concentre sur la recherche en vue d’adoption d’un bébé par un couple turc. Menée secrètement par les deux protagonistes, cette quête familiale est surtout pour Mehmet Can Mertoglu le prétexte pris pour dresser une critique sans concession de la Turquie, notamment à travers ses administrations.

Mais au-delà de cette critique acerbe, le réalisateur turc dépeint également à travers son couple central le portrait de la classe moyenne turque entre apparences sociétales et racisme devenu ordinaire. Biberonné à l’humour noir pince-sans-rire, le portrait à charge dressé se joue avec facétie du politiquement correct. Au rythme de longs plans fixes dont certains seront propices à compléter l’album-titre, feuilleter cet Album de famille s’avère être une expérience très singulière.

Cf. également Headbang lullaby d’Hicham Lasri chroniqué plus haut.


Paris-Brest productions

Shara – Naomi Kawase

Titre original : Sharasôju
Japon, 2004, 1:40, Couleur
Avec Kohei Fukunaga, Yuka Hyodo, Naomi Kawase

Nara, ancienne capitale impériale du Japon. Le jour de la fête du dieu Jizo, dans la chaleur torride de l’été, Kei et son jumeau Shun se poursuivent dans les artères étroites. Soudain, Kei se volatilise. Cinq ans plus tard, Shun, lycéen, et son amie d’enfance Yu sont attirés l’un vers l’autre, mais une douleur secrète les empêche de vivre cet amour.

<bande annonce>

Notre avis (2/5) : Tout le programme de Shara est résumé dans sa première séquence : une course poursuite entre deux jumeaux suivie de la mystérieuse disparition de l’un d’eux. Long métrage sur l’absence, Shara ne cessera par la suite de fuir son fil narratif. Naomi Kawase se plait en effet à placer son film là où nous ne l’attendons pas.

Au rythme d’une mise en scène calme et très posée, Shara prend alors les allures d’une douce méditation. Durant la projection, les méandres de nos pensées semblent être le reflet de ces étroites ruelles étrangement désertes qui, filmées à hauteur d’homme, forment un dédale, un labyrinthe où se perdra le spectateur. Cette lancinante quiétude sera cependant interrompue à plusieurs reprises notamment lors d’une énergique et très visuelle scène de fête sous des trombes d’eau.