Cinélatino 2021


Film d’ouverture

Heroic losers / La odisea de los giles (2019, Sebastián Borensztein)

Argentine, 1h 56m

Dans une petite ville non loin de Buenos Aires, rien ne va plus. Après la crise économique de 2001, un petit groupe de personnes rassemble l’argent pour acheter des silos abandonnés, mais rien ne se passe comme prévu.

Notre avis (3.5/5) : Placé hors compétition, le film d’ouverture de l’édition 2021 de Cinélatino était Heroic losers réalisé par Sebastián Borensztein. Derrière ce titre anglais, au demeurant peu approprié mais guère moins que le titre original La odisea de los giles, se cache une comédie animée par un casting regroupant la fine fleur des acteurs argentins.

Autour de Ricardo Darín endossant le rôle central gravitent en effet son fils Chino Darín mais aussi Luis Brandoni, Daniel Aráoz ou encore Verónica Llinás. Autant de « couillons » selon la définition que nous donne le réalisateur-scénariste littéralement à l’écran en début de métrage. Le titre à l’international du film – Heroic losers – renvoie à cette définition.

L’adhérence du titre avec la définition du mot « couillon » reste imparfaite à notre regard. Nos antihéros se lancent en effet dans le cofinancement d’une coopérative agricole pour remettre en route des silos abandonnés. Alors que l’argent est en partie réuni en cet été 2001, une grave crise économique s’abat sur l’Argentine. L’argent collecté est bloqué sur un compte bancaire et le prêt sollicité suspendu.

Comment récupérer l’argent soustrait pour mener à bien leur projet collaboratif ? Sebastián Borensztein oriente son récit dans une veine tragi-comique. Mais plus la narration progresse, plus la comédie prend le pas sur la tragédie. Derrière une voix off (celle de Ricardo Darín) un peu trop présente par instant et derrière un sous texte politique (le péronisme vaincra), Heroic losers se révèle être une comédie distrayante bien rythmée et ménageant quelques développements inattendus.


Compétition – Long-métrage de fiction

Aurora (2021, Paz Fábrega)

Costa Rica, 1h 50m

Parallèlement à son travail d’architecte, Luisa, 40 ans, anime des ateliers pour adolescents. Un jour, elle tombe sur Julia, 17 ans, près des toilettes de l’école. Cette dernière est tombée enceinte involontairement. Luisa décide de l’aider, adoptant une position difficile, quelque part entre amie, enseignante et figure maternelle. Mais peut-être aime-t-elle secrètement jouer ce rôle ambigu ?

Notre avis (2/5) : Paz Fábrega mène un récit au féminin d’une grossesse chez une adolescente de dix-sept ans. Cette grossesse demeure cachée aux parents de Yuliana (Raquel Villalobos). Quelles sont les alternatives offertes à cette dernière sachant qu’elle ne peut avorter après cinq mois de grossesse ? En réalisant Aurora, la réalisatrice ambitionne de répondre à cette question.

Le deuxième personnage central est celui de Luisa (Rebeca Woodbridge) qui, dans une mesure plutôt ample, va jouer le rôle de mère de substitution. Un rôle ambigu et outrepassé car Luisa n’a ni les compétences ni le profil pour apporter l’assistance filmée. Nous sommes là à la limite de faits légaux (au détour d’une scène, Yuliana indique qu’elle vient d’avoir dix-huit ans…) et donc de celle de la crédibilité. La réalisation sans éclat de Aurora pourrait faire basculer ce film côté documentaire eu égard à son visuel. Mais le récit relève bien de la fiction notamment à cause des limites exposées précédemment. Les personnages mis en scène sont moins vraisemblables que fictionnels. Leur caractérisation relève sous certains aspects de la facilité scénaristique.

Memory house / Casa de antiguidades (2020, João Paulo Miranda Maria)

Brésil, 1h 33m

Cristovam, originaire du Nord rural brésilien, s’exile au Sud dans une colonie autrichienne, à la recherche de meilleures conditions de vie et de travail. Le contraste culturel et ethnique, le racisme ambiant, l’injustice sociale, l’isolent et induisent chez lui une perte d’identité. Il trouve refuge dans une maison abandonnée pleine de mémoire et d’objets qui le renvoient à ses origines.

Notre avis (3/5) : Casa de antiguidades de João Paulo Miranda Maria est fait de peu de mots et échappe aux caractéristiques du cinéma d’aujourd’hui. Il est toujours réjouissant de constater que ce type d’œuvres exigeantes parvienne à glaner quelques prix dans divers festivals. Le réalisateur a convoqué pour le rôle central Antônio Pitanga, acteur noir emblématique du Cinéma Novo. Pitanga interprète Cristovam originaire de Goiás exilé dans une colonie autrichienne installée dans le sud du Brésil.

Un homme noir nordiste d’origine rurale exilé pour raison économique dans un sud blanc. Miranda Maria joue sur les contrastes de couleurs, de cultures et d’éthique. Le racisme isole Cristovam tant dans sa vie professionnelle que personnelle. Il vit à l’écart de la communauté avec pour seul compagnon son chien amputé d’une patte (amputation à rapporter à l’existence même de son maître). Il y a dans Casa de antiguidades une application certaine apportée à sa réalisation. Les cadres sont ainsi composés avec soin et le cinéaste s’applique dans ce premier long-métrage à visiter plusieurs genres cinématographiques. Ce choix de réalisation et de mise en scène apporte à la narration des reflets fantasmagoriques troublants.

Prix FIPRESCI (Fédération Internationale de la Presse Cinématographique)

50 o dos ballenas se encuentran en la playa (2020, Jorge Cuchí)

Mexique, 2h 2m

Felix et Elisa participent au jeu autodestructeur de la Baleine Bleue, devenu viral sur les réseaux sociaux ; il s’agit de relever 50 défis, de plus en plus sinistres, jusqu’au suicide. Cette expérience extrême débouche sur la rencontre entre ces deux adolescents solitaires et s’ouvre sur une histoire amoureuse dans une spirale de désespoir. Ils décideront de parcourir ensemble les dernières étapes de cet itinéraire mortifère.

Notre avis (4/5) : Un insert mentionnant que « Ce film est inspiré de faits réels survenus à Mexico en 2018 » introduit la séquence liminaire du film donnant à voir l’incendie volontaire d’une voiture. Ces faits sont ceux du jeu de la Baleine Bleue lancé sur les réseaux sociaux. Il consiste à relever 50 défis dont la violence va crescendo jusqu’au suicide. Ce jeu va provoquer la rencontre de Felix et Elisa, deux adolescents solitaires.

Le nombre 50 du titre invoque les défis. Les deux « baleines » du titre sont probablement Felix et Elisa. Mais quelle est cette plage où une rencontre semble programmée ? Dans 50 o dos ballenas se encuentran en la playa filmé en ville et dans des intérieurs, cette plage est possiblement imaginaire et/ou appartenant à un autre monde.

Jorge Cuchí oriente quasi exclusivement sa caméra en direction de ses deux jeunes protagonistes principaux. En dehors de ce duo, le monde extérieur est occulté.  Ainsi, les autres personnages dont les membres des familles de Felix et Elisa ne sont jamais filmés frontalement, jamais à visage identifiable et souvent placés en hors champ de la caméra. Leur « figuration » à l’écran sert uniquement à figurer le mal.

Le récit forme une spirale de désespoir et trace un itinéraire macabre dans lequel se miroite le mal être des deux adolescents. 50 o dos ballenas se encuentran en la playa est assurément à ne pas mettre devant tous les yeux. Ce film est une véritable proposition de cinéma adressée à un public averti. Certains passages sont compliqués à regarder au regard de la violence ou l’auto-violence filmée. De même, le différentiel de traitement constaté entre l’avant et l’après génère un changement d’ambiance dont l’interprétation peut prêter à confusion, voire à complaisance en fonction du regard que les spectateurs y poseront. Ce long-métrage marquant et dérangeant peut aussi être perçu comme ambivalent. Une grille de lecture adaptée doit être apposée au contenu du film.

On peut reprocher au réalisateur un usage trop fréquent et souvent sans valeur ajoutée du split screen durant sa première moitié du film. Cet élément perturbant plus la narration que la servant disparaît de la seconde moitié du métrage. Abstraction faire de cette caractéristique, la réalisation et la narration sont parfaitement maîtrisées. Cuchí y officie en tant que réalisateur, scénariste, monteur et coproducteur. Cette première réalisation est très prometteuse et force à inscrire ce jeune cinéaste mexicain parmi les auteurs dont il faudra suivre avec attention les prochains films.

Desterro (2020, Maria Clara Escobar)

Brésil, 2h 7m

Laura, Israël et leur fils Lucas vivent ensemble mais ont comme perdu tout intérêt les uns pour les autres. Alors que leurs relations semblent sur le point de dérailler, Laura a la prémonition d’une catastrophe imminente.

Notre avis (2.5/5) : Etrangement, Desterro fait penser à La flor (2016, Bouquet cinématographique), film pluriel au long cours de Mariano Llinás. Pour la réalisation de son premier long-métrage de fiction Maria Clara Escobar, réalisatrice brésilienne, semble en effet s’inspirer de la façon de faire du cinéaste argentin.

L’ambition mise dans Desterro est cependant moindre que celle qui animait La flor. La part narrative est moindre. Mais comment pourrait-il en être autrement pour un film de deux heures face à un très long-métrage s’étendant sur plus de treize heures ? Desterro est donc plus court mais surtout raconte moins proportionnellement que La flor. Cette impression naît probablement et notamment d’un nombre de genres cinématographiques visités beaucoup plus restreint. Le spectre balayé par Llinás était en effet beaucoup plus large que celui proposé par Escobar. Un autre élément rapproche Desterro à La flor. A l’identique de Llinás, la jeune réalisatrice brésilienne découpe son film en chapitres. Mais ce procédé est peu signifiant et sans réelle valeur dans Desterro car le découpage pratiqué paraît arbitraire, sans justification faisant sens.

Longing souls / El alma quiere volar (2020, Diana Montenegro)

Colombie, 1h 28m

Camila, 10 ans, prie ardemment pour que ses parents puissent se séparer et sa mère ainsi échapper à la violence de son époux. Elle vit chez sa grand-mère où se côtoient plusieurs générations de femmes confrontées à une malédiction familiale qui les condamne à être malheureuses en amour. Face au poids des corps violentés et mis aux épreuves de la vie, l’envol des âmes du titre est une promesse de salut.

Notre avis (2/5) : Il y a dans El alma quiere volar, premier long-métrage de Diana Montenegro, une ambition démesurée. La jeune réalisatrice colombienne porte à l’écran un sujet d’importance : les violences conjugales. Dans ce film, les victimes sont les femmes d’une même famille sur plusieurs générations. Le regard porté est celui de la plus jeune, Camila, 10 ans, pas encore mariée bien sûr mais déjà promise à cette « malédiction » familiale !

L’angle de traitement de cette thématique particulièrement difficile à aborder est surprenant. Était-ce le plus approprié ? Nous en doutons. La réalisatrice-scénariste avance un récit au féminin enfermé dans une famille sur plusieurs générations vivant sous un même toit. Les maris violents, morts pour la plupart, sont donc absents du microcosme mis en scène qui jouit par conséquent d’une forme de liberté retrouvée, une délivrance.

La narration déployée est fragile et maladroite. Elle s’empreigne avant tout de croyances religieuses et ésotériques ce qui provoque une distanciation supplémentaire vis-à-vis des spectateurs. Dans ce domaine, El alma quiere volar prend des airs de catalogue de croyances en tout genre. Le récit s’appuie aussi sur quelques chansons dont les paroles sous-titrées ne cadrent pas entièrement avec le contenu du film.

El alma quiere volar véhicule aussi une certaine impudeur qui dessert le film au même titre que l’accumulation de scènes n’irriguant pas la narration. Une irrigation imparfaite dont l’origine tient notamment par des mises en situation mal ou pas amenées. L’unité narrative de El alma quiere volar pâtit beaucoup de ces défauts.

Prix SFCC de la critique.

Fauna (2020, Nicolás Pereda)

Mexique, 1h 10m

Paco accompagne sa fiancée Luisa chez ses parents. Le père et le frère ne sont pas très accueillants, voire franchement hostiles. Tous deux obligeront un Paco plutôt mal à l’aise – c’est un acteur qui a tenu un petit rôle dans Narcos – à rejouer « sa » scène dans le bistrot de ce coin perdu du Mexique. Dans une deuxième partie présentée comme une fiction (inspirée du livre que lit le frère), on retrouve les mêmes acteurs mêlés à une histoire policière qu’on aura un peu de mal à suivre…

Notre avis (3/5) : En un peu plus d’une heure, Nicolás Pereda fait le récit de trois histoires présentées successivement. Fauna est une sorte de pièce de théâtre en trois actes. Certes les trois actes sont sans lien mais ils s’appuient beaucoup sur la prestation des acteurs. Le réalisateur donne ainsi à voir une troupe de quelques comédiens placée dans trois situations radicalement différentes.

Si les liens de filiation sont conservés entre les personnages durant les trois parties de Fauna, la caractérisation des protagonistes demeure spécifique à chaque segment. Pereda met ainsi en scène une déclinaison de personnages variés qui débouche sur de jolis numéros d’acteurs, mise en abyme comprise. Le réalisateur joue aussi habilement sur le décalage des histoires racontées par rapport aux mises en situation imaginées parfois et sciemment paradoxales.

Karnawal (2020, Juan Pablo Félix)

Argentine, 1h 35m

Nord de l’Argentine, près de la frontière bolivienne : Cabra, dont le père est en prison, est un adolescent plutôt mutique, en opposition ouverte avec une mère dépassée et surtout avec le compagnon de celle-ci. Un objectif bien précis en tête, il trempe dans un mauvais coup. Mais il a une passion, un refuge : le malongo, danse folklorique des gauchos de la Pampa. Alors que Cabra s’entraîne pour une importante compétition prévue lors du carnaval, son père “el Corto” (Alfredo Castro) sort en permission pour quelques jours, événement qui va précipiter la famille dans un enchaînement d’événements improbables et périlleux.

Notre avis (3/5) : Juan Pablo Félix place son jeune personnage principal entre délinquance et dance. Côté partie dance, Martín Lopez Lacci interprète le champion de malongo qu’il est dans la vie. Cependant, le pan dance de Karnawal reste au statut d’argument pour ce film. Il y a certes un enjeu sur cette partie mais il n’appartient pas au fil directeur et est traité en pointillé.

On note quelques beaux paysages traversés par une deuxième moitié de film qui prend les allures d’un road-movie au trajet et aux étapes anonymes. La narration porte sur une filiation, celle du jeune personnage principal avec sa mère, son père et son beau-père. Elle s’articule plus particulièrement sur le conflit qui naîtra de la nécessaire collaboration entre les deux derniers nommés quand, après une longue absence, le père naturel réapparait dans la vie de son ex-femme et de son fils.

La chica nueva (2021, Micaela Gonzalo)

Argentine, 1h 19m

Jimena se rend en Terre de Feu pour rejoindre son demi-frère Mariano. Grâce à lui, elle trouve un emploi mais une grève éclate dans son usine.

Notre avis (2.5/5) : Le premier mérite de La chica nueva tient dans sa concision : génériques compris, le premier long-métrage réalisé par Micaela Gonzalo n’excède pas les quatre-vingt minutes. Une courte durée durant laquelle la réalisatrice suit sa jeune héroïne principale sans le sou partie rejoindre de l’autre côté du pays (Rio Grande) son demi-frère qu’elle connaît à peine. La réalisatrice argentine fait ainsi le récit d’une jeunesse précaire où les trafics illicites permettent de maintenir un semblant de niveau de vie. Une réinsertion par le travail pourrait servir d’échappatoire.

La chica nueva fait le récit ancien d’une lutte de tous les jours pour trouver une place dans la société libérale contemporaine. Pour qualifier cette première réalisation, nombre de critiques évoqueront le cinéma des frères Dardennes. Nous nous garderons de suivre cette voie si ce n’est pour caractériser une mise en scène peu inspirée.

Grand prix coup de cœur.

La ciudad de las fieras (2021, Henry Eduardo Rincón Orozco)

Colombie, 1h 33m

Orphelin, Tato, 17 ans, féru de hip-hop et de joutes de rap, est livré à lui-même à Medellín. Avec ses amis Pitu et La Crespa, il cherche à échapper à la violence qui fait l’actualité quotidienne de la ville. Poursuivi par une bande armée, il doit fuir et sans ressources, se réfugier chez son grand-père Octavio, qui cultive des fleurs à la campagne mais qu’il n’a jamais vu. Après un premier contact difficile, ils apprendront à se connaître et Octavio transmettra son savoir et la tradition à Tato qui reprendra le flambeau pour participer au fameux défilé des « Silleteros ».

Notre avis (2.5/5) : A travers le regard de Tato flanqué de ses deux meilleurs amis que sont Pitu et La Crespa, La ciudad de las fieras raconte une « Histoire de ma famille », mention portée en fin de métrage sur un écusson composé de fleurs. La famille en question est celle de Tato. Une famille dont il ne reste plus grand-chose puisque le film démarre sur l’enterrement de la mère de Tato faisant de celui-ci un orphelin de 17 ans.

La ciudad de las fieras n’est autre que Medellín, ville colombienne qui traîne sa mauvaise réputation, celle d’une violence urbaine subite au quotidien. Au-delà de cette violence, Henry Eduardo Rincón Orozco montre aussi le racisme qui gangrène la vie de la communauté locale et donc du trio d’adolescents. Le hip-hop et le rap que Tato utilise avec brio sont des armes insuffisantes pour un adolescent livré à lui-même.

Prix CCAS et Prix Rail d’Oc.

Nouvel ordre / Nuevo orden (2020, Michel Franco)

Mexique, 1h 28m

Un mariage mondain est interrompu par l’arrivée d’invités importuns.

Notre avis (3.5/5) : Michel Franco place l’action de Nouvel ordre dans un futur proche mais non daté du Mexique. Le futur mis en images anticipe peu tant il est prévisible pour le Mexique certes, mais pas uniquement. Un mariage est célébré dans une villa cossue des beaux quartiers de Mexico. La mariée est habillée d’un tailleur de couleur rouge.

Ce rouge, couleur de sang, de colère et de rage mais aussi couleur symbole des luttes notamment de classes. Il y a un peu de toutes ces nuances dans le rouge porté ici ostensiblement par la jeune épouse au sein d’un milieu social aisé. Dehors, le peuple gronde. La radio et la télévision relatent les émeutes, les pillages puis les exécutions. Les images montrées et la violence filmée sont crues. Le cinéma de Michel Franco se révèle ici de nouveau radical au fil d’un scénario qui ménage quelques développements inattendus jusqu’à une épilogue muet et abrupt comme le réalisateur mexicain en est coutumier.

Pour Nouvel ordre, parfois démonstratif, la radicalité de la mise en scène se marie à merveille avec un propos des plus clivant. L’ensemble est audacieux et… risqué. Là encore, dans un futur que nous espérons proche, à savoir quand ce film sortira en salle, les critiques seront divisés. Du contenu du film tout et son contraire sera écrit. Mais n’est-ce pas là conséquence première d’un film sur lequel une position neutre est difficilement tenable ?

Prix du jury.

My tender matador / Tengo miedo torero (2020, Rodrigo Sepúlveda)

Chili, 1h 33m

Chili, années 80, en pleine dictature de Pinochet. Par amour pour un révolutionnaire idéaliste qu’il vient de rencontrer, un vieux travesti marginal accepte de cacher des documents secrets chez lui. Ils s’engagent tous deux dans une opération clandestine à haut risque.

Notre avis (3/5) : Rodrigo Sepúlveda, officiant plus généralement pour la télévision chilienne, livre une œuvre non contemporaine. Il place l’action de Tengo miedo torero dans le Chili de 1986 entre dictature et tremblements de terre. Son personnage principal interprété par Alfredo Castro est un homme d’âge mûr mais qui s’est depuis son enfance senti femme. Travesti depuis toujours, « La loca del frente » va par naïveté et par amour s’impliquer dans les préparatifs d’un attentat anti-Pinochet.

De ce film on peut craindre de prime abord la part outrancière vis-à-vis de son personnage principal et marginal qui ne parle de lui qu’au féminin. Ces craintes sont rapidement levées par le canevas narratif plutôt dynamique dans l’enchaînements des évènements relatés. L’absence d’entrave tend cependant à la facilité scénaristique au risque de mettre à nu quelques invraisemblances. Un soin particulier est apporté à l’éclairage des scènes en faisant notamment varier la couleur des lumières baignant les lieux filmés. Les couleurs délavées dominent dans ces lieux délabrés et décrépis (tremblement de terre récent). Pourtant ces couleurs dans les cadres composés par le cinéaste apportent sur l’écran une certaine joliesse masquant presque par miracle les tons ternes des lieux.

On peut regretter que Rodrigo Sepúlveda ait laissé trop en marge (à notre goût) le pan politique de Tengo miedo torero (manifestations contre le régime de Pinochet, mouvements d’opposition, etc.). Ces éléments épisodiques et périphériques dans le film auraient mérité d’alimenter plus en profondeur le fil narratif.

Soulignons enfin la belle prestation d’Alfredo Castro dans un rôle difficile qui aurait amené bien d’autres acteurs moins subtils à en faire trop. L’acteur chilien est mis en avant par Cinélatino 2021. Homme de théâtre, il n’a débuté au cinéma qu’à l’âge de 50 ans en 2006 dans Fuga, premier film de Pablo Larraín. Depuis, il a multiplié les rôles sur le grand écran, collaboré plusieurs fois avec Larraín, et est devenu, sur le tard, un acteur réputé. Le festival Cinélatino lui a remis une double mention venant saluer son interprétation du personnage principal de ce film et de Karnawal réalisé par Juan Pablo Félix.

Prix Ciné+ et Prix La Dépêche du Midi.

Uzi (2020, José Luis Valle)

Mexique, 1h 41m

Uzi est le nom d’une arme à feu, mais c’est aussi l’abréviation d’Uziel, prénom du propriétaire âgé d’un établissement de bains miteux qui, dans sa jeunesse, était un tueur à gages. Maintenant, il vit écrasé par la culpabilité.

Notre avis (3.5/5) : Uzi porte la métamorphose physique et psychique de son personnage-titre et principal incarné par Manuel Sorto. La réalisation prescrite par José Luis Valle met au premier plan le réalisme de ce qui est filmé. Il y a une indéniable élégance de mise en scène qui passe notamment par des travellings latéraux prodigués à la vitesse et à la hauteur du personnage filmé. Une variation est aussi observée dans la colorimétrie des photogrammes du film. Aux façades décrépies et aux couleurs délavées proposées dans un premier temps succèdent des textures et couleurs bien plus clinquantes.

Dans Uzi, film lent et calme, rien n’est précipité. Pourtant, rien non plus ne semble pouvoir faire obstacle au récit dramatique déroulé à l’écran. Il y a un effet rouleau compresseur qui semble incontournable. Il y a aussi une logique chronométrée qui se met en place et rien, à priori, ne semble pouvoir écarter cette logique de la conclusion programmatique attendue.


Compétition – Long-métrage documentaire

#eagoraoque (2020, Jean-Claude Bernardet et Rubens Rewald)

Brésil, 1h 10m

Le philosophe Vladimir Safatle, personnage médiatique, connu pour sa contestation de la politique brésilienne, confronte sa pensée révolutionnaire aux expériences de luttes que mènent différent·es acteur·trices de la société brésilienne. Féministes, descendant·es d’esclaves, indigènes, jeunes des favelas, précaires et étudiant·es répondent à sa volonté d’édifier une convergence des luttes. Sa position d’homme blanc, intellectuel et égocentrique est battue en brèche dans un tourbillon de questionnements qui renouvelle sans cesse le dessein du film.

Notre avis (1.5/5) : Dans #eagoraoque, Jean-Claude Bernardet et Rubens Rewald ont l’ambition d’embrasser la situation politico-sociale brésilienne soit un sujet vaste et complexe. Les deux documentaristes ont choisi les inégalités observées comme angle d’analyse. Parmi celles-ci, citons la condition féminine au Brésil, celle de la population noire ou encore celle des habitants des favelas.

Le périmètre d’exploration que Bernardet et Rewald se sont donnés se révèle bien trop large. Le traitement de ces thèmes menaçait d’être superficiel. #eagoraoque l’est. Il émane finalement de ce documentaire une cacophonie de laquelle il est très illusoire de ressortir un message vrai.

Nothing but the sun / Apenas el sol (2020, Arami Ullón)

Paraguay, 1h 15m

Mateo Sobode Chiqueño, un membre de la communauté ayoreo, recueille les témoignages de ce peuple indigène depuis qu’il a été expulsé de ses terres dans les années 1960. A l’aide d’un vieux magnétophone à cassette, il parcourt inlassablement la région aride du Chaco au Paraguay pour enregistrer les histoires et les chants d’autres Ayoreo. Comme lui, ils sont nés dans la forêt, libres et nomades. Ils n’avaient pas de contact avec la civilisation, jusqu’à ce que des missionnaires religieux les forcent à abandonner leurs habitudes et leur territoire ancestral.

Notre avis (2.5/5) : Dans Apenas el sol (Nothing but the sun), Arami Ullón fait reposer l’entièreté de son documentaire sur Mateo Sobode Chiqueño. Celui-ci est membre de la communauté des Ayoreo et interviewe quelques-uns de ses congénères parmi les plus âgés, derniers représentants vivants d’une culture très ancienne. Chaque témoignage ou chant est enregistré sur cassette audio pour garder trace d’une âme amérindienne en voie d’extinction.

A l’image du média audio utilisé par Chiqueño, Apenas el sol est quasi totalement tourné vers le passé. Un passé antérieur à la venue des hommes Blancs qui, il y a plus d’un demi-siècle, ont expulsé les Ayoreo de leur forêt pour les parquer dans des campements. Un temps révolu nous est donc conté puisqu’il est peu fait cas de l’après, celui d’une minorité ethnique dont les croyances ancestrales et le mode de vie ont été dissolus dans ceux de la société paraguayenne.

Le procédé utilisé par Ullón a les limites de sa simplicité. Le documentaire porte un témoignage intéressant sur une communauté rarement (jamais ?) filmée. Mais les échanges enregistrés se limitent à des constats face auxquels aucun contrepoint n’est proposé. L’absence de mise en relief et de confrontation à une réalité autre manquent à ce documentaire-témoignages. Sans ces absences, Apenas el sol aurait gagné en profondeur d’analyse.

Prix documentaire rencontres de Toulouse et Prix du public.

Depois da primavera (2021, Isabel Joffily et Pedro Rossi)

Brésil, 1h 26m

2013 est l’une des années les plus sanglantes en Syrie. Adel et Hadi Bakkour, deux frères engagés dans la lutte contre le régime baasiste, sont forcés de quitter Alep afin de fuir les horreurs de la guerre et la répression qui fait rage. Ils trouvent refuge à Rio de Janeiro, ville dans laquelle ils tentent de s’adapter à une culture totalement différente de la leur. En 2018, cinq ans après la séparation avec leurs parents, la famille se retrouve dans un Brésil totalement transformé où l’extrême droite est sur le point de prendre le pouvoir.

Notre avis (1/5) : Isabel Joffily et Pedro Rossi produisent un documentaire partagé entre la Syrie et le Brésil. Un découpage contraint par la famille syrienne mise devant la caméra elle-même répartie entre ces deux pays. Naturellement, les deux documentaristes cherchent en filigrane à rendre compte des maux de ces deux nations : la guerre en Syrie et la possible élection d’un président d’extrême droite au Brésil.

La première partie de Depois da primavera ne convainc pas. La séparation géographique des protagonistes limite les échanges à des appels audio et/ou vidéo. Des échanges qui n’en sont pas puisque ces messages ne font pas rentrer en interaction les deux parties (message laissé en attente dans une messagerie vocale, vidéo consultée en différé, etc.). Dans la seconde moitié du documentaire, bien que la famille soit enfin réunie au Brésil, Joffily et Rossi donnent peu à voir de leurs échanges sur la situation syrienne qui, par le prisme de cette famille socialement privilégiée, paraît peu traumatique.

De la situation brésilienne, il ne sera finalement peu fait cas également : Depois da primavera s’ouvre et se ferme sur des images de manifestations pré-électorales contre la candidature de Bolsonaro à la présidence de la République. Ce prologue et cet épilogue sont animées par une temporalité commune. Ce documentaire échoue à atteindre la cible anticipée à la lecture du synopsis. Depuis, autres échecs, non imputables aux deux documentaristes, Bolsonaro a été élu et la guerre en Syrie continue.

El cielo está rojo (2020, Francina Carbonell)

Chili, 1h 13m

Que s’est-il passé dans le centre pénitentiaire San Miguel au Chili, la nuit où quatre-vingt-un prisonniers ont perdu la vie dans un tragique incendie ? El cielo está rojo retrace, grâce à un montage ingénieux tant au niveau du son qu’à celui des images, l’engrenage impitoyable qui a mené au drame, en mettant le doigt sur les dysfonctionnements internes, les conditions de vie des prisonniers, la malveillance des matons, la pression exercée sur les survivants. Pour ce récit d’une effarante efficacité, Francina Carbonell a bénéficié d’un accès complet aux archives judiciaires et aux enregistrements des caméras de surveillance. Un film coup de poing qui crie à la négligence sans jamais basculer dans le sensationnalisme.

Notre avis (4/5) : Francina Carbonell, auteure du documentaire El cielo está rojo, s’empare d’un fait réel qui vit périr quatre-vingt-un prisonniers du centre pénitentiaire San Miguel au Chili suite à un incendie. Ce fait divers tragique donna lieu à un procès que nous ne verrons pas à l’écran. Une voix off introduit le documentaire. Il s’agit de celle du juge d’instruction qui déclare ouvert le procès intenté contre la direction du centre pénitentiaire et contre quelques-uns de ses employés. Cette même voix off clôt El cielo está rojo par l’énoncé du verdict. L’affaire est complexe, le verdict sera bref, sec et glaçant.

Entre cette introduction et cette conclusion, la documentariste chilienneprocède par l’utilisation de nombreuses images ou vidéos de surveillance. Des enregistrements audio d’archives font aussi partie des matériaux utilisés. Comme cette tragédie a été jugée devant les tribunaux après enquête, Carbonell s’appuie également sur les reconstitutions qui ont été menées et les témoignages collectés durant celles-ci.

Les faits et dires sont restitués à l’écran dans un ordre quasi chronologique. El cielo está rojo jouit d’un montage technique bien pensé qui met en relief les dysfonctionnements, matériels et humains, révélés par l’enchaînement des faits et les conditions de vie dans le milieu carcéral chilien. Quelques images et vidéos choc parachèvent ce documentaire qui brille entre autres par sa redoutable acuité et la pertinence de son approche.

Prix Signis.

Seeing red / La sangre en el ojo (2020, Toia Bonino)

Argentine, 1h 4m

Leo a passé quatorze ans en prison avant de retourner vivre dans son quartier, Don Orione. Depuis sa libération, il n’a qu’une chose en tête : venger la mort de son frère Ale. On l’entend raconter sa vie en voix off, tandis que s’éclaire le mécanisme implacable qui a fait de lui ce qu’il est.

Notre avis (3/5) : Dans Orione (2017), son précédent et premier documentaire, Toia Bonino racontait l’histoire d’Ale du point de vue de la mère de celui-ci. Ale, jeune délinquant du quartier Don Orione de Buenos Aires, perdit la vie suite à un mauvais coup qui a mal tourné. Trois ans plus tard, La sangre en el ojo adopte le point de vue de Leo, frère d’Ale, et forme donc un diptyque avec Orione.

La sangre en el ojo commence comme un film de crime. En voix off, Leo, fraîchement sorti de quatorze ans de prison, nous annonce sa ferme intention de venger la mort d’Ale. L’acte de vengeance envisagé est donc pleinement prémédité. La violence des propos tenus entre en totale contradiction avec les images montrées. Celles-ci, paisibles, invitent à une grande tranquillité.

La réalisatrice argentine ne cessera de jouer sur cette double atmosphère née entre les images montrées et la bande son (voix off) donnée à entendre. Ce procédé étrange déconcerte d’abord puis finit par s’imposer. La sangre en el ojo fait ainsi le récit rétrospectif et en voix off du parcours personnel et « particulier » de Leo. Leo est un délinquant ordinaire parmi d’autres traînant derrière lui un passé compliqué pointant sur un avenir incertain. La réalisation de ce documentaire est de belle qualité. Un soin notable est notamment apporté à la composition des cadres proposés. La forme soignée de La sangre en el ojo entre là encore en contrepoint d’un langage de rue brut. Prix lycéen.

Transeúnte (2021, Pablo Pintor)

Argentine, 1h 3m

Mélange d’observation documentaire et d’expérimentation, Transeúnte dépeint avec humour toute une galerie de personnages, objets ou humains, qui défile dans la ville. La narration s’y construit de manière surréaliste dans une explosion de couleurs. Se dessine progressivement une histoire secrète, mélodrame tiré d’un vieux radio-théâtre que seuls les mannequins dans leurs vitrines connaissent : comme dans toute tragédie, la mort sera inévitable.

Notre avis (2/5) : Pablo Pintor expose dès le début de Transeúnte son procédé de réalisation : des images volées sur lesquelles est appliquée une bande-son également volée. Les séquences sont filmées en milieu urbain via une caméra peu mobile mais non cachée. La majeure partie des « figurants » passant ou s’installant dans le champ de la caméra a conscience d’être filmée. La bande-son qui habille le métrage n’est pas issue d’une prise de sons en direct. Qu’elle soit intra et extra-diégétique, elle a été ajoutée aux images en post-production.

Transeúnte ne raconte rien mais donne juste à voir des hommes et des femmes qui pourraient former l’entourage au quotidien de tout un chacun. C’est plutôt insolite à défaut d’être porteur d’un message fort. L’ultime séquence accompagnée d’un commentaire inscrit sur l’écran confirme la finalité ironique du documentaire.


Focus – Le goût du rire

Animal político (2016, Tião)

Brésil, 1h 16m

Une belle vache noire et blanche se promène naturellement dans notre monde humain, réfléchit et pense avec une belle voix masculine. Elle philosophe et finit par fuir le monde consumériste où elle sent qu’elle ne se réalise pas.

Notre avis (2.5/5) : Dans Animal político, Tião prend un animal pour personnage principal, en l’occurrence une vache. Dans les scènes filmées habitées par des figurants, cette vache noire et blanche s’interroge sur la vie. Une voix off nous narre ces interrogations plus philosophiques et existentialistes que politiques.

L’originalité de Animal político tient entièrement dans ce « casting ». La présence à l’écran de cette vache au milieu d’hommes et de femmes pris dans leur quotidien surprend d’abord par l’absence totale de réactions des représentants du genre humain. Le film qu’on pourrait qualifier de « trans-espèces » s’empreigne ainsi de tonalités surréalistes. Mais, faute de variations de tons, la voix off finit par ennuyer. Les questions sont nombreuses mais débouchent sur peu de réponses.

Les chaises musicales / El juego de la silla (2002, Ana Katz)

Argentine, 1h 33m

Víctor, au Canada depuis plusieurs années, revient en Argentine pour la première fois le temps d’une soirée et d’une nuit. Il ne se doute pas qu’une célébration familiale l’attend à son arrivée, orchestrée par une mère poule qui met les petits plats dans les grands pour faire revivre des liens familiaux distendus.

Notre avis (2/5) : La lecture du synopsis de El juego de la silla nous invite à de l’imprévu. Le visionnement du film ne répond malheureusement pas au programme espéré. Ana Katz ne parvient pas à masquer une écriture scénaristique trop mécanique.

Ainsi, les situations mises en scène ne discutent pas entre elles. Le film ne propose qu’une suite de scènes ne parvenant pas à établir une véritable narration. Enfin, le peu d’intérêt de cette dernière n’est pas comblé par l’interprétation des comédiens empreint d’une certaine théâtralité.

Les Russes à Cuba / Los Bolos en Cuba (2009, Enrique Colina)

France, 52min

Évocation de l’époque où Cuba était l’alliée de l’URSS, ce documentaire examine avec humour et nostalgie, ce que l’île a gardé de la période. Tout un quotidien de gestes et de sentiments surgit et s’anime quand la caméra les met au premier plan.

Notre avis (2.5/5) : Enrique Colina fait le récit nostalgique d’une période révolue, celle d’une forte présence des Russes dans le quotidien des Cubains. Los Bolos en Cuba se pare ici de reflets passéistes même si les personnes interviewées ne sont pas avares en anecdotes non dénuées de drôlerie.

Mais le documentaire n’offre pas de contrepoint car tous les interviewés sont convaincus d’une même chose : la présence des Russes a été bénéfique au Cuba d’alors. Il est dommage que Colina n’ait pas complété sa réalisation par quelques avis contraires. Los Bolos en Cuba y aurait certainement gagné en pertinence.

All about the feathers / Por las plumas (2013, Ernesto Villalobos)

Costa Rica, 1h 25m

Chalo, agent de sécurité dans un vaste site industriel, solitaire et original, rêve d’acquérir Rocky, un coq de combat. Cet animal change sa vie et le conduit dans des situations quelque peu rocambolesques.

Notre avis (3.5/5) : Por las plumas est une belle comédie brillant notamment par son originalité. Ernesto Villalobos a convoqué une distribution hétéroclite et inspirée dont il a su tirer le meilleur. Les personnages mis en scène sont aussi hétéroclites que très bien caractérisés. Le réalisateur a su aussi très bien rythmé ce film dont il est aussi l’auteur du scénario. Son imagination de narrateur débouche sur de nombreuses mises en situation cocasses.

Necropolis symphony / Sinfonia da necrópole (2014, Juliana Rojas)

Brésil, 1h 25m

Deodato, au prénom si adapté à ce lieu, y est apprenti croque-mort et déteste son futur métier. Il pense mille fois à y renoncer, jusqu’à l’arrivée de Jacqueline, vigoureuse jeune femme dépêchée dans le cimetière où il travaille pour enquêter sur les tombes abandonnées, afin de rentabiliser, d’optimiser, de maximiser l’occupation des sols. Les morts vont-ils partager son enthousiasme ?

Notre avis (2/5) : Le synopsis du film nous présente Deodato (Eduardo Gomes), principal personnage du film, comme exerçant le métier de croque-mort. C’est une première tromperie car Deodato est fossoyeur. Un détail peut-être mais si Deodato avait réellement été croque-mort, le récit de Sinfonia da necrópole aurait certainement dérivé vers plus de situations macabres. Cette comédie en aurait été alors plus mordante.

Non, Juliana Rojas ne nous propose rien de tout ce qu’on attendait après la lecture du scénario. Sinfonia da necrópole n’est finalement qu’une comédie passe partout parmi d’autres. On attendait un humour noir et macabre, celui-ci affleure peu ici. Le film voit aussi certaines de ses scènes désamorcées par un choix qui ne nous semble pas pertinent. Rojas opte en effet pour un genre très spécifique, celui de la comédie musicale, séquences de karaoké compris, qui se marie mal au sujet qu’elle tente d’aborder.


Compétition – Long-métrage de fiction 2020

Blanc sur blanc / Blanco en blanco (2019, Théo Court)

Chili, 1h 40m

Au début du XXe siècle, en Terre de Feu, un photographe va être le témoin de la domination sauvage des colons blancs sur ces contrées habitées jusque-là̀ par les Selknam (Onas). Venu initialement pour faire le portrait de la future épouse – encore une enfant – du riche propriétaire, cet homme effacé peut-il, dans son isolement forcé, devenir complice d’un génocide ?

Notre avis (4/5) : Le personnage principal incarné par Alfredo Castro est un photographe appelé à officier lors d’un mariage qui devrait intervenir bientôt mais sans être encore daté. La future mariée est la très jeune fille d’un colon interprété par Lars Rudolph. A ce mariage intrigant car paraissant très prématuré s’ajoute ce propriétaire d’une grande exploitation agricole qui va rester longtemps invisible car on le dit très occupé à gérer ses affaires. Ces éléments installent immédiatement une atmosphère mystérieuse qui nimbera Blanc sur blanc jusqu’à son terme au fil d’un scénario fait de peu de mots.

La narration trouve un étui idéal à travers la réalisation de Théo Court qui joint délicatesse et précision notamment dans les éclairages et la photographie. Le titre du film, Blanc sur blanc, n’est nullement programmatique. En effet, ce long-métrage navigue entre noir et blanc et tons sépias. La mise en scène des séquences est aussi d’une grande précision à l’image de celle des photographies montrées à l’écran.

L’hermétisme de la narration n’a rien de rédhibitoire car elle est très bien secondée par la réalisation de Court, l’érotisme sous-jacent et ambigu qui émane du film et l’environnement austère et hostile dans lequel Blanc sur blanc évolue (génocide des indiens Onas, peuple indigène de la Terre de Feu). Un microcosme singulier dont le protagoniste principal est appelé à être le témoin à travers l’objectif de son appareil photographique.

Grand Prix Coup de Cœur au festival Cinélatino 2020.

Mermaid / Sirena (2019, Carlos Piñeiro)

Bolivie, 1h 15m

Une délégation de quatre hommes, deux ingénieurs, un officier de police assez risible et un guide aymara, arrive sur une île du lac Titicaca à la recherche d’un ingénieur de La Paz qui a disparu. La communauté Aymara qui a retrouvé́ son cadavre refuse de le rendre par crainte de perdre les prochaines récoltes.

Notre avis (2.5/5) : Sirena est un film étrange, quasi insaisissable. Son réalisateur, Carlos Piñeiro, use de toute la minéralité des paysages naturels filmés, lieux du périple du quatuor principal parti à la rencontre des Aymaras. De cette minéralité émane la part organique du film.

Un travail conséquent a été consacré au noir et blanc dans lequel a été tourné Sirena. On note ainsi un jeu sur la balance du contraste des photogrammes rendant le noir et blanc graphique. Piñeiro prend aussi soin de varier ses angles de prise de vues et alterne gros plans et prises de vue lointaines.

Sur le fond, Sirena jouit donc d’une mise en scène porteuse d’une certaine variété qui ne parvient cependant pas à dynamiser la narration. Même sur une durée courte (1h15), le récit paraît étiré parfois de façon inutile. La quête mise en images comporte quelques scènes redondantes qui participent pas à une narration somme toute peu prégnante.

Sanctorum (2019, Joshua Gil)

Mexique, 1h 23m

Dans une communauté reculée du Mexique, des hommes et des femmes survivent de la culture du cannabis et se retrouvent entre les feux mortels des narcotrafiquants et de l’armée.

Notre avis (2.5/5) : Il est illusoire de chercher à classer Sanctorum dans un genre cinématographique donné. Joshua Gil livre un deuxième film positionné quelque part entre fiction et documentaire. Plus encore, Sanctorum visite la frontière entre le monde des vivants et celui des morts. La mère de famille décédée apparaît ainsi sous forme de spectre dans plusieurs séquences. La visite proposée par le réalisateur est aussi celle de plusieurs genres cinématographiques. Sanctorum louvoie ainsi entre un cinéma naturaliste animé d’impeccables prises de vues très soignées et un cinéma fantastique et onirique. Par effet de bord, certaines séquences relèvent du cinéma expérimental.

Finalement Sanctorum constitue une belle proposition de cinéma certes exigeante mais superbement réalisée. L’alternance de vues aériennes et de vues au sol sert à figurer les deux mondes cités plus haut. Enfin, la voix off parfois susurrée participe à l’atmosphère mystérieuse qui ne manque pas d’habiter le film.

Prix FIPRESCI et SFCC de la critique au festival Cinélatino 2020.

Rodantes (2019, Leandro Lara)

Brésil, 1h 48m

Etat de Rondônia à l’ouest du Brésil, jouxtant la Bolivie. Trois histoires croisées, celles de deux hommes et une femme perdus au fin fond de cette Amazonie boueuse. Trois errances dans un milieu très hostile.

Notre avis (3.5/5) : Pour son premier long-métrage de fiction, Leandro Lara s’inspire de trois histoires vraies de migrants dans l’état brésilien de Rondônia. Ces trois récits centrés sur un personnage principal distinct nous sont livrés par bribes non chronologiques. Ce procédé entretient de façon plutôt efficace le mystère de Rodantes ainsi que celui des possibles liens entre les trois fils narratifs. D’abord parallèles, les trois histoires racontées convergent ensuite vers un lieu géographique commun sans pour autant faire se rencontrer les trois protagonistes principaux.

On note chez ce réalisateur brésilien de belles qualités de mise en scène et de réalisation. Il y a dans Rodantes d’appréciables variations observées dans le ton et le rythme de la narration mais aussi dans les prises de vues. L’utilisation de longues focales plongent l’arrière-plan dans le flou pour mieux figurer l’isolement de chacun des personnages principaux. Ces derniers évoluent sur des contrées qui leur sont étrangères et hostiles. Deux constats parfaitement mis en images par l’attention toute particulière de Lara à filmer les violences physiques pour mieux mettre en relief la vulnérabilité de ses personnages. L’épilogue abrupt de Rodantes n’aboutit pas réellement à une véritable fin de parcours.

A yellow animal / Um animal amarelo (2020, Felipe Bragança)

Brésil, 1h 55m

À la mort de son grand-père, Fernando, cinéaste en devenir, hérite d’une malédiction qui le fait tout à tour chercheur de pierres précieuses au Mozambique, homme d’affaires-esclave au Portugal et amant de femmes puissantes et mystérieuses.

Notre avis (3/5) : Felipe Bragança découpe A yellow animal en cinq parties. Les deux premiers segments introduisent le grand-père de Fernando puis celui-ci incarné par Higor Campagnaro. Jeune cinéaste, Fernando sera le personnage principal des trois histoires fantasmées composant les trois autres parties du film. Ces trois récits indépendants les uns des autres sont autant de courts-métrages entre réalisme et romanesque.

L’indépendance des trois histoires est aussi d’ordre géographique. Le parcours ainsi suivi part successivement du Mozambique, au Portugal puis au Brésil venant ainsi « justifier » le sous-titre du film : Un film brésilien. Ce parcours pourrait être celui d’un esclave de l’ancienne colonie portugaise car A yellow animal a l’esclavage de la population noire pour thème sous-jacent et commun aux récits proposés. La mise en scène proposée par Bragança demeure classique. Elle est sans réel éclat… si ce n’est d’être portée à dévêtir plus souvent que de raison les personnages féminins !

One in a thousand / Las mil y una (2020, Clarisa Navas)

Argentine, 2h

Iris, dix-sept ans, passe ses journées à déambuler dans les allées de sa cité avec son ballon de basket ou à traîner avec ses deux cousins. Quand Renata apparaît, elle se sent immédiatement attirée vers elle malgré toutes les rumeurs qui circulent à son sujet…

Notre avis (1.5/5) : Dans Las mil y una, Clarisa Navas fait la chronique d’une banlieue à travers le regard de son personnage principal, Iris incarnée par Sofia Cabrera. Le décorum de cité choisi est celui de Corrientes, ville du nord-est argentin proche du Paraguay. Iris évolue dans une famille atypique miroir d’un environnement social où règne la précarité.

Dans les coursives décrépies de la cité, sphère interlope, Navas axe plus spécifiquement sa chronique sur les relations sexuelles entre les adolescents mis en scène. En l’occurrence et sous couvert de sida, les rapports sont d’ordre homosexuel et/ou transgenre.

Pendant deux heures, la cité-titre sera parcourue en long, en large et en travers au fil d’une mise en scène redondante. Cette durée se révèle bien trop longue au regard du message porté.

Mention spéciale du jury Coup de Cœur au festival Cinélatino 2020.

The lunchroom / Planta permanente (2019, Ezequiel Radusky)

Argentine, 1h 18m

Lila et Marcela sont amies. Elles sont aussi collègues, toutes deux agentes d’entretien dans une administration d’Etat. Le travail n’est pas drôle tous les jours mais elles trouvent le moyen d’enchanter l’ordinaire et ont de belles idées pour améliorer les conditions de travail des employé·es. La cantine organisée dans un coin du sous-sol est un franc succès.

Notre avis (3/5) : C’est sous un angle de vue original que Ezequiel Radusky rend compte du monde de l’entreprise. The lunchroom jouit d’une narration plutôt maîtrisée même si quelques choix de montage viennent apporter de l’ambiguïté inutile et probablement non préméditée à un fil narratif marqué par un rythme inégal. Le regard porté privilégie l’humour sans pour autant jamais céder le pas à un traitement critique du microcosme professionnel mis en scène.

La réalisation de The lunchroom est propre mais aussi vierge de toute inventivité et autre prise de risque. A défaut, on s’attache finalement au personnage principal interprété tout en sous jeu par Liliana Juárez.

Helen (2019, Andre Meirellles Collazzo)

Brésil, 1h 38m

São Paulo, précarité, insécurité et violences policières des quartiers défavorisés où l’on s’entasse dans les “cortiços” et leurs logements exigus et imbriqués. Helen et sa grand-mère, Doña Graça vivent dans cette atmosphère grouillante de petits boulots informels et de système D. La vieille dame se débrouille de son mieux.

Notre avis (2.5/5) : A cause d’une écriture scénaristique ramenée à l’échelle des scènes composant Helen, le film ne parvient pas à déployer un récit structuré. Les scènes s’enchaînent donc sans qu’on puisse attribuer au fil narratif un début, un développement et une fin. Cette suite de séquences paraît même par moment arbitraire tant l’enchaînement produit manque de logique et introduit par voie de conséquence un peu plus le doute sur la continuité de la narration. A plusieurs reprises, le spectateur s’interrogera sur l’absence de conséquences d’un événement narré sur la suite du récit.

Helen forme une sorte de chronique du quotidien d’un quartier vu à travers le regard de la jeune héroïne. L’intention d’Andre Meirellles Collazzo est louable mais le film livré est sans profondeur, sans réelle réflexion sur ce quotidien. La chronique reste sagement cantonnée à son statut de chronique. Enfin, la plupart des scènes étant courtes, le film produit une impression de redondances tant sur le contenu des scènes que sur les lieux filmés.

Prix Rail d’Oc au festival Cinélatino 2020.

The dove and the wolf / La paloma y el lobo (2019, Carlos Lenin)

Mexique, 1h 46m

Fuyant la violence, Paloma et Lobo s’installent dans une ville voisine où ils doivent réapprendre à vivre et à s’aimer. Ils s’adaptent difficilement à cette nouvelle vie faite d’exploitation, de précarité et de rejet.

Notre avis (4/5) : Etrange film que ce La Paloma y el Lobo porteur de peu de dialogues. Le propos est ici en partie véhiculé par la mise en scène virtuose pensée par Carlos Lenin. Celle-ci est très étudiée, très précise. Ce premier long-métrage de ce cinéaste mexicain se compose ainsi essentiellement de longs plans séquences durant lesquels la caméra observe de longs et lents mouvements.

Le réalisateur joue aussi sur l’alternance des prises de vues avec des plans fixes sur lesquels il porte principalement son attention sur l’éclairage de la scène filmée. Ainsi, certains plans acquièrent des reflets picturaux alors que d’autres se parent d’éléments rapprochant La Paloma y el Lobo du cinéma expérimental. Pour sa part, la violence maintenue hors cadre ou masquée à l’écran reste implicite. Elle passe aussi par la bande son d’une vidéo qui ne sera jamais montrée à l’écran.

La Paloma y el Lobo est un film finalement très énigmatique, au rythme lent et lancinant. Il est assurément plus contemplatif que narratif. Il forme cependant une boucle. En effet, Carlos Lenin débute et clôt sa réalisation par deux scènes différentes mais filmées au même endroit (plan d’eau) et animées alternativement par les deux personnages-titres. La scène de fin prend à rebours la chronologie de la scène liminaire, Paloma y remplace Lobo.


Alfredo Castro

Perro bomba (2019, Juan Cáceres)

Chili, 1h 20m

Jeune immigré haïtien vivant à Santiago, Steevens mène une vie sans histoires et sans grandes perspectives d’avenir. L’arrivée de Junior, un ami d’enfance, ramène un peu de gaieté dans sa vie. Mais le bonheur est fugace et Steevens en fait l’amère expérience lorsqu’il perd son travail suite à une altercation avec son patron. Un événement qui sera le début d’une longue descente aux enfers pour le jeune homme confronté, malgré lui, à la haine et la xénophobie d’une société conservatrice…

Notre avis (2/5) : Juan Cáceres prend le parti de traiter son sujet via une fiction là où les codes du documentaire auraient peut-être été plus appropriés. Perro bomba met ainsi en scène un personnage principal noir ce qui semble être une première dans le cinéma chilien ! La caméra suit Steevens dans son quotidien sans perspective. Emigré haïtien à Santiago, il est victime de l’attitude xénophobe et anti-immigration de certains Chiliens.

Si la volonté de Cáceres était de rendre compte de l’instabilité du quotidien de Steevens, la mission est amplement remplie. Cependant l’atteinte de cet éventuel objectif s’effectue au détriment d’une certaine cohérence. La narration portée par Perro bomba paraît en effet brouillonne et constitue un potentiel barrage à l’empathie des spectateurs.


Reprises

Femmes d’Argentine / Que sea ley (2019, Juan Solanas)

Argentine, 1h 26m

En Argentine, où l’IVG est interdite, une femme meurt chaque semaine des suites d’un avortement clandestin. Pendant huit semaines, le projet a été âprement discuté au Sénat, mais aussi dans la rue, où des dizaines de milliers de militants ont manifesté pour défendre ce droit fondamental. Les féministes argentines et leur extraordinaire mobilisation ont fait naître l’espoir d’une loi qui légalise l’avortement.

Notre avis (3/5) : Juan Solanas se range du côté des pro-IVG à l’image de son père « Pino » dont une diatribe au sénat argentin sera entendue et montrée en fin de documentaire. Le micro est épisodiquement tendu vers les partisans d’un statuquo, ceux du camp souhaitant maintenir la pénalisation et la criminalisation des avortements en Argentine.

Dans Femmes d’Argentine, le documentariste fait un état des lieux d’un processus en cours visant à faire élire au Sénat argentin une loi légalisant les avortements. Un vote favorable a été obtenu au Parlement. C’est le point de départ de ce documentaire dont le titre original – « Que sea ley » – n’est donc encore qu’un slogan porté par une foule nombreuse dans les rues de la capitale Argentine.

Ce documentaire est émaillé de témoignages éclairants mais sa force est amoindrie par un découpage en chapitres plutôt arbitraire. Ce procédé contraint la narration à suivre un fil non chronologique qui, en l’absence de repère chronologique inscrit à l’écran, brouille le message porté.