Le 13e – Dérives du justiciable à l’injustifiable

Diffusé par Netflix, le documentaire Le 13e réalisé par Ava DuVernay fait la généalogie du 13ème amendement de la constitution des États-Unis depuis sa ratification en décembre 1865 jusqu’à nos jours. Le constat tiré est terrifiant. De mesures répressives en lois coercitives, là où « plaider coupable » est un système de « défense », la culpabilité de l’esclavage a peu à peu été transférée des législateurs vers les victimes.

Dans ce documentaire sans concession, universitaires, militants et politiciens analysent la criminalisation des Afro-Américains et le boom des prisons aux États-Unis.

Dès le début de son documentaire, Ava DuVernay assène un premier chiffre : les États-Unis représentent 5% de la population mondiale et 25% de la population carcérale (2,3 millions d’individus en 2014) ! Cette situation trouve son origine dans l’amendement-titre vieux de cent-cinquante ans et libellé comme suit :

Neither slavery nor involuntary servitude, except as a punishment for crime where of the party shall have been duly convicted, shall exist within the United States, or any place subject to their jurisdiction.

Aux lendemains de la guerre de Sécession, ce 13ème amendement abolissait l’esclavage dans la patrie d’Abraham Lincoln, sauf pour les criminels. Depuis, les dirigeants américains n’auront eu de cesse d’exploiter cette exception. Ainsi, à l’esclavage succéda le travail forcé des détenus puis les lois Jim Crow furent promulguées et firent des Afro-Américains des citoyens de seconde classe.

En égratignant au passage Naissance d’une nation (1915) de David W. Griffith, film à l’origine de la renaissance du Ku Klux Klan, DuVernay visite un siècle et demi de l’histoire américaine et tisse les liens entre des évènements majeurs tels que le meurtre d’Emmett Till en 1955 et le Civil Rights Act de 1964. La réalisatrice mêle de façon assez classique interviews à charge, images d’archives marquantes, exposés de faits bruts et illustrations graphiques. L’ensemble est servi sur une bande originale qui alterne des thèmes de la soul et du hip-hop.

Le processus d’incarcération de masse constitue le cœur du documentaire. Alors qu’on dénombrait 300 000 détenus aux États-Unis, Richard Nixon engage une lutte contre la criminalité. Quarante ans plus tard, les prisons américaines abritent 2 300 000 individus dont 97%, en plaidant coupable pour réduire les peines encourues, n’ont pas eu de procès. Un taux extrêmement élevé qui peut être « expliqué » par le sort pouvant être réservé aux accusés qui refusent un arrangement et demandent un procès en bonne et due forme (cas édifiant de Kalief Browder).

Remarquons ici qu’au mitan du documentaire, un graphique récapitule la hausse du nombre de détenus et montre une hausse exponentielle entre 2010 et 2014. Cette courbe erronée contredit les chiffres égrainés jusqu’ici (le cap des deux millions de détenus a été franchi dès l’an 2000). Notons aussi que tous les successeurs de Nixon ont contribué à renforcer la lutte engagée contre la criminalité. Mais la réalisatrice se montre plus conciliante avec les représentants issus des rangs du parti démocrate (clan Clinton épargné, présidence d’Obama passée sous silence) qu’avec leurs opposants républicains (illustration très subjective d’un extrait de discours de Trump avec des images d’archives).

En l’espace de quatre décennies, les mesures répressives se sont multipliées. Sous la présidence de Reagan, la criminalisation de la détention de drogues bon marché (le crack mais pas la cocaïne) participe au ciblage des populations défavorisées, majoritairement noires. Un phénomène dont l’un des rejetons récents est la loi de « crimmigration » SB-1070 adoptée en 2010 dans l’état de l’Arizona. Derrière ces lois, il y a des intérêts financiers promus par divers groupes d’influence dont ALEC, la société CCA ou le lobbying des sociétés de fabrication d’armes à feu dont les ventes ont fortement augmenté avec la résurgence de la loi stand-your-ground (cas illustré par le meurtre en 2012 de Trayvon B. Martin).

Toutes ces mesures ont pour ambition une privation de libertés et pour moteur un racisme d’État. Des intérêts financiers, dont celui d’employer à bas coût des détenus, sont venus se greffer à ces motivations. Une baisse des effectifs carcéraux aux États-Unis serait dès lors préjudiciable. Finalement, si la probabilité d’emprisonnement sur une vie d’un homme blanc est de 1/18, ce ratio est de 1/3 pour un Afro-Américain ! C’est ainsi que 6,5% de la population américaine est représentée à hauteur de 40,2% dans la population carcérale.

Bien que partial, ce documentaire-tract nommé aux Oscars 2017 suit le cours de l’histoire américaine. DuVernay y tisse des liens surprenants entre esclavagisme, ségrégation, criminalité et surpopulation carcérale. En filigrane, les intérêts économiques dictent la marche à suivre permise par un 13ème amendement, faille béante et constitutionnelle.

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