Une décennie sépare la réalisation de It must be heaven d’Elia Suleiman et Le temps qui reste (2009), désormais avant-dernière réalisation en date du réalisateur palestinien. Celui-ci n’aura signé que cinq longs métrages de fiction en un quart de siècle. Son dernier opus, dont il est question ici, lui a permis d’obtenir le Prix Fipresci et une Mention spéciale lors de l’édition 2019 du festival de Cannes. Il y a dix ans, Le temps qui reste avait aussi eu les honneurs de concourir à l’obtention de la Palme d’or. L’insuccès de 2009 s’est transformé en succès en 2019. Voilà une étrangeté puisque It must be heaven déroule le même canevas narratif et use des mêmes ressorts dramaturgiques que son aîné. Deux films jumeaux dont l’écart d’âge est de dix ans !
ES fuit la Palestine à la recherche d’une nouvelle terre d’accueil, avant de réaliser que son pays d’origine le suit toujours comme une ombre. La promesse d’une vie nouvelle se transforme vite en comédie de l’absurde. Aussi loin qu’il voyage, de Paris à New York, quelque chose lui rappelle sa patrie.
Un conte burlesque explorant l’identité, la nationalité et l’appartenance, dans lequel Elia Suleiman pose une question fondamentale : où peut-on se sentir « chez soi » ?
It must be heaven et Le temps qui reste ont aussi pour point commun de voir leur réalisateur se mettre en scène devant la caméra. En l’occurrence pour It must be heaven, Suleiman se met volontiers et littéralement face à l’objectif de l’appareil pour interpréter un personnage anonyme qui, in fine, est son double alternativement observateur des actions filmées ou simple figurant n’influant aucunement sur lesdites actions.
Le réalisateur-acteur fait là un choix étrange possiblement influencé par le cinéma de Buster Keaton et de Jacques Tati. La nonchalance et la non implication de son personnage omniprésent sur le cours des événements créent une distance entre celui-ci et les actions. Par effet de bord, entre le spectateur et le film. Cet effet est renforcé par l’impassibilité et le quasi mutisme du personnage interprété. Son unique réplique tiendra en trois mots : « I am palestinian ».
Trois, c’est également le nombre de segments composant le film pour autant de lieux visités successivement : Nazareth (le réalisateur y est né) puis Paris et enfin New York avant un retour à Nazareth pour fermer la boucle narrative. It must be heaven se décline donc comme une sorte de triptyque dont la narration se montre fuyante. Car, si Suleiman dédie son film à la Palestine, It must be heaven ne fait de la cause palestinienne qu’un trop lointain prétexte.
Les saynètes s’enchaînent lentement pour esquisser un portrait vaguement critique et absurde du monde contemporain. La comédie qui en découle joue plus sur un humour distancié qu’un humour noir à vocation critique. Dès lors le film prend les reflets d’une fable divertissante parsemée de situations surréalistes. Si l’excellente scène d’ouverture est prometteuse, très rapidement It must be heaven donne l’impression d’une succession de vignettes dont les plus drôles sont celles qui sont dialoguées. L’une de ces vignettes fait apparaître Gael García Bernal flanqué de Suleiman toujours aussi flegmatique et nonchalant. Mais comme le réalisateur-acteur reste le seul liant entre ces saynètes, l’ensemble peine à révéler un récit consistant et tenu de bout en bout.