Seules les bêtes – Puzzle narratif

Révélé en 2000 par Harry, un ami qui vous veut du bien, Dominik Moll a depuis réalisé des longs métrages et des séries de qualité variable sans qu’aucune de ces réalisations n’atteignent la qualité de son opus de 2000. Son nouveau film, Seules les bêtes, est indéniablement plus abouti que ses prédécesseurs sans pour autant atteindre la qualité de Harry, un ami qui vous veut du bien à cause, peut-être, d’une durée ramenée aux deux heures « contractuelles ». Le plus grand attrait de Seules les bêtes réside dans sa construction très maîtrisée autour d’une narration dont les segments successifs sont articulés autour d’un personnage central propre à chaque chapitre.

Une femme disparaît. Le lendemain d’une tempête de neige, sa voiture est retrouvée sur une route qui monte vers le plateau où subsistent quelques fermes isolées. Alors que les gendarmes n’ont aucune piste, cinq personnes se savent liées à cette disparition. Chacune a son secret, mais personne ne se doute que cette histoire a commencé́ loin de cette montagne balayée par les vents d’hiver, sur un autre continent où le soleil brûle, et où la pauvreté́ n’empêche pas le désir de dicter sa loi.

Avec l’aide de son fidèle scénariste Gilles Marchand, Dominik Moll adapte au grand écran le roman éponyme de Colin Niel. Le procédé de narration du livre est conservé : chaque chapitre est construit autour d’un personnage principal qui lui est propre. Tous les personnages principaux ne disposent cependant pas d’un segment dédié dans Seules les bêtes, version film. Les coupes réalisées pour aboutir à un film d’une durée légèrement inférieure à deux heures ont repoussé quelques protagonistes principaux au second rang et contribuent à déséquilibrer un peu le récit. Nul doute que les trois heures de la première version montée du film réservaient un chapitre à chaque personnage.

L’exercice de style porté sur la narration est tout à fait remarquable. Chaque segment du film vient éclairer d’une lumière nouvelle son protagoniste central. Chacun permet de lever progressivement les zones d’ombre venues épaissir un mystère brillamment entretenu sur le meurtre d’Évelyne (Valeria Bruni Tedeschi) dont le responsable et les mobiles restent à découvrir. Tout est ici affaire d’un savant équilibre entre ce qui est dit et ce qui ne l’est pas, entre ce qui est filmé et ce qui est caché (hors champ ou ellipse).

Soulignons aussi la direction d’acteurs de Moll qui parvient à obtenir le meilleur de chacun de ses comédiens masculins – Denis Ménochet, Damien Bonnard – ou féminins – Valeria Bruni Tedeschi, Laure Calamy et Nadia Tereskiewicz. Cette dernière a d’ailleurs été récompensée du prix de la meilleure actrice au festival de Tokyo 2019 alors que le réalisateur y remportait le prix du public.

Pour Moll, Seules les bêtes marque un retour gagnant à son genre de prédilection qui l’a fait connaître en 2000, à savoir une chronique empruntant ses principaux attributs au thriller d’ambiance. Il en résulte un vrai film de genre porté par un scénario virtuose parfaitement tenu. Le récit propose autant de points de vue que de protagonistes. Entre les Causses aveyronnais enneigés et Abidjan, les destins individuels se croisent et s’entremêlent pour certains. Cette sophistication de la narration joue parfois en défaveur de la caractérisation de certains personnages.

En définitive, Moll et Marchand mettent en œuvre une narration sophistiquée mais nullement alambiquée. Le récit non strictement chronologique crée du suspense et produit des ellipses promises à être comblées tôt ou tard. L’habile mécanique scénaristique génère des retournements souvent imprévisibles. Dès lors, Seules les bêtes détonne dans le paysage des thrillers français pas son inventivité et sa scrupuleuse originalité.

2 réflexions sur “Seules les bêtes – Puzzle narratif

    • Peu de bruit fait autour de ce film qui mérite pourtant d’être mis en avant. Il y a une proposition très intéressante faite sur la narration. Elle est cependant un peu affaiblie par la contrainte de livrer un film d’une durée de 2 heures maximum. Il sera intéressant de voir si Seules les bêtes sortira en DVD/BR/VOD en version « longue » (le 1er montage du film fait 3 heures).
      Je t’encourage à aller le voir au cinéma. Il faut soutenir ce type de projet cinématographique.

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