Saul Bass – Graphisme, affiches et génériques (2/4)

Saul Bass (1920-1996), new-yorkais de naissance, graphiste de formation, débuta sa carrière dans la publicité. Il mit ses talents de graphistes dans la conception d’affiches et de génériques pour l’industrie cinématographique. Il collabora avec de nombreux cinéastes dont Alfred Hitchcock.

Si Saul Bass a beaucoup travaillé avec Otto Preminger comme nous l’avons relaté dans la première partie de ce focus, il n’en demeure pas moins que, de 1954 à 1966, il collabora avec de nombreux autres cinéastes. Ainsi, en l’espace de trois ans, il signa l’affiche et le générique de trois longs métrages d’Alfred Hitchcock : Sueurs froides (Vertigo, 1958), La mort aux trousses (North by northwest, 1959) et Psychose (Psycho, 1960).

Symboliser le vertige

Pour sa première collaboration avec le maître du suspense, Saul Bass annonce, dès l’affiche conçue pour Sueurs froides, l’importance accordée à la dimension visuelle du film. Son choix se porte sur l’utilisation de spirales devenues célèbres depuis. Outre l’aspect visuel, par ce motif graphique, Saul Bass transcrit les notions essentielles du film que sont le vertige, le déséquilibre et le rêve. Au-delà, le film d’Alfred Hitchcock n’est pas dénué d’une dimension hypnotique annoncée par l’œil formé par le motif graphique de l’affiche. En dehors de ces caractéristiques propres, l’affiche de Vertigo comporte des éléments récurrents tels que la couleur orange, une typographie grasse et l’utilisation de la couleur de fond de l’affiche, autant de marqueurs de la méthode Saul Bass.

Dans le générique de Sueurs froides, Saul Bass mélange prises de vues réelles et formes abstraites. D’un côté, les fragments d’un visage féminin, qui n’est pas celui de Kim Nowak, et de l’autre, des formes géométriques dont les couleurs éclatantes sont renforcées par le fond noir. Ce générique est le premier de l’histoire du cinéma à comporter des figures géométriques générées et animées par ordinateur. L’animation produite privilégie les mouvements circulaires sur deux motifs visuels symbolisant la perte de l’identité et le vertige.

Le générique de Sueurs froides présente une autre curiosité. Alors que ce film a été tourné en Technicolor, c’est le logo en noir et blanc de la Paramount qui est utilisé alors que la version couleur sera visible lors du générique de fin.

La bonne direction

Concernant La mort aux trousses, il est préférable de retenir le titre original du film, à savoir North by northwest. La direction « north by northwest » n’existe pas, la plus littéralement approchante est north-northwest, le nord-nord-ouest français. Nous sommes bien sur la bonne direction puisque Alfred Hitchcock lui-même révéla lors d’une interview en 1963 que le titre du film était inspiré d’une réplique d’Hamlet tirée de l’œuvre éponyme de Shakespeare : « I am but mad north-north-west: when the wind is southerly, I know a hawk from a handsaw ». Enfin, il faut remarquer que le projet qui a précédé le film a, tout à tour, eu pour titre In a north west direction et In a northwesterly direction.

L’affiche du film conçue par Saul Bass renvoie parfaitement à cette notion de direction. L’œil est attiré par le titre du film derrière lequel une rose des vents est parfaitement visible. Le motif dominant l’affiche est le carré ou rectangle. Ces formats renvoient à ceux des cartes routières avec séparation verticale et horizontale partageant la carte en quatre parties égales et pointant vers les quatre points cardinaux. Aucun itinéraire n’est visible, les trajets ne sont pas tracés à l’avance, ils sont vagues à l’image de la vague formée par le titre du film qui louvoie sur les limites du cadre séparant Cary Grant des autres protagonistes. Ces trajectoires s’annoncent d’étendues variables puisque l’identité de chaque protagoniste est enfermée dans un carré distinct. Seule celle de Cary Grant échappe à ce procédé. Thornhill, le personnage qu’il incarne semble déjà avoir pris la fuite. Contrairement à ceux de ses compagnons d’aventure, ses déplacements ne sont ni cadrés ni contraints.

L’orientation du corps de Cary Grant sur l’affiche n’est pas le fruit du hasard. Le haut du corps pointe vers le coin haut gauche de l’affiche. C’est bien sa tête qui orientera sa fuite en direction du nord et de l’ouest. Vue de profil, presque hors affiche et de couleur presque assimilable à celle de l’affiche, nous constatons que sa main droite est peu visible. En opposition, sa main gauche ouverte sur fond rouge attire le regard. Elle pointe la direction indiquée par le titre…

Dans les faits, le périple de Thornhill le mènera de New York à Rapid City dans la Dakota du Sud (Mount Rushmore) via Chicago. Tracé sur une carte, l’itinéraire emprunté ouest-nord-ouest ne correspond pas au trajet nord-nord-ouest attendu ! C’est ici oublier que dans le projet initial, il était prévu que La mort aux trousses se termine en Alaska.

Le générique de La mort aux trousses affiche le logo de la Metro Goldwyn Mayer sur fond vert alors que les rugissements du lion sont en partie couverts par la musique du générique composée par Bernard Herrmann. Ces deux particularités sont contraires aux usages de l’époque qui dictaient de maintenir en l’état les logos des compagnies de distribution. Sur le fond vert maintenu apparaissent deux séries de lignes parallèles, l’une verticale, l’autre oblique. Une fois le quadrillage en place, commence le défilement du générique. Le générique défile verticalement, alternativement du haut vers le bas puis du bas vers le haut de l’écran. Chaque inscription marque un temps de pause en milieu d’écran. Les lignes verticales servent ainsi de rails de défilement, les lignes obliques de stations d’arrêt. Quand apparaît le titre « North by northwest », le « N » initial indique la direction du nord, alors que le « T » final pointe la direction de l’ouest.

Alors que le générique se poursuit, le fond vert disparaît mais les lignes sont maintenues à l’écran. Elles délimitent les panneaux d’une façade d’immeuble entièrement vitrée sur laquelle se reflète la circulation urbaine de New York. C’est quand la caméra abandonne sa position aérienne pour se poser sur un trottoir à hauteur d’homme que le défilement vertical du générique laisse place à un défilement horizontal. Mais le procédé demeure, le générique traverse l’écran alternativement de gauche à droite et de droite à gauche en marquant un temps de pause au centre de l’écran. Au moment où disparaît le dernier carton sur lequel est inscrit « directed by Alfred Hitchcock » apparaît ledit Alfred Hitchcock par la gauche de l’écran. Faisant dos au nord-nord-ouest du titre, le metteur en scène trouvera logiquement porte close. Il ne pourra pas monter dans ce bus qui n’avait probablement pas le nord-nord-ouest pour destination. Comme le metteur en scène, Thornhill, son personnage principal, apparaîtra quasi systématiquement sur la gauche de l’écran durant tout le film.

Aux mouvements verticaux puis horizontaux du générique, nous pouvons associer les placements d’une caméra d’abord absente, puis aérienne et enfin à hauteur d’homme. La progression descendante de la caméra a pour parallèle celle observée vis-à-vis de la population, estimée très nombreuse derrière la façade du gratte-ciel, puis nombreuse sur les trottoirs de New-York avant d’être réduite à un seul individu sous les traits du réalisateur du film.

Du désordre dans l’ordre

Dans le générique de Psycho, Saul Bass joue à nouveau avec le logo de la société de distribution Paramount. Celui-ci apparaît fort logiquement en noir et blanc et avant que ne retentissent les premières notes de la partition de Bernard Herrmann, mais il est en partie masqué par une multitude de fines striures horizontales blanches. Elles annoncent celles qui orneront le générique à suivre ainsi que le thème musical strident qui va l’accompagner. A nouveau donc, le générique affecte l’aspect visuel du logo de la Paramount.

Le premier fond d’écran est gris et éphémère car rapidement remplacé par un fond noir maintenu jusqu’au terme du générique. Le passage du gris au noir s’effectue par le tracé de lignes noires horizontales depuis la droite jusqu’à la gauche de l’écran. Par effet miroir, ces lignes noires parallèles génèrent des lignes grises qui sont celles qui sortent ensuite par la gauche de l’écran en prolongement du mouvement amorcé par les lignes noires. Ainsi apparaît le premier carton « Alfred Hitchcock’s » en caractères blancs très lisibles sur fond noir.

Le glissement de lignes parallèles grises sur un fond d’écran noir est le seul motif visuel utilisé durant toute la séquence. Le procédé mis en œuvre est extrêmement simple. Il pourrait paraître répétitif, mais dans les faits il ne l’est absolument pas. Comme dans le générique de North by northwest, Saul Bass fait alterner mouvements horizontaux et mouvements verticaux. L’apparition des barres grises s’effectue également alternativement sur l’un des quatre bords de l’écran ou au milieu de celui-ci. Durant sa durée de près de deux minutes, il n’est décelé aucune redondance dans les animations qui composent le générique.

Au dépouillement du générique de Psycho, Saul Bass joint une géométrie également poussée à l’extrême. Toutes les lignes sont de couleur grise, d’une égale largeur et effectuent le même déplacement linéaire que ses voisines dont elles sont séparées par le même espace. Cette régularité toute géométrique est observée également sur les distorsions appliquées aux titres jusqu’à les rendre furtivement illisibles dans un générique parfaitement limpide. Faut-il voir ici la métaphore d’un environnement bien rangé qu’un rien va bousculer et fragmenter ?

Ce générique est aussi l’un des plus dynamiques qu’ait conçu Saul Bass. Le rythme des animations suit scrupuleusement le tempo imposé par la menaçante musique pour cordes de Herrmann. En cela, il préfigure également le vigoureux montage technique du long métrage d’Alfred Hitchcock.

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