La charrette fantôme – Survivances en surimpression

Comment représenter les morts parmi les vivants au cinéma ? Dans La charrette fantôme tourné durant l’été 1920, Victor Sjöström a l’ingénieuse idée de procéder par des surimpressions. Cet effet spécial expérimental, audacieux et novateur pour l’époque, sied ici parfaitement à la figuration de présences spectrales. Dans ce film considéré à juste titre comme un des sommets de son œuvre, le cinéaste suédois redonne vie aux morts.

La nuit de la Saint-Sylvestre, une jeune femme gravement malade tente de ramener un ivrogne dans le droit chemin.

Dans La charrette fantôme, Victor Sjöström superpose à l’écran un temps présent et un temps post mortem. Il fait ainsi entrer en collision deux temporalités où les flashbacks hantent non pas classiquement le passé mais le présent. Mieux encore, en figeant le temps présent dans l’immobilité et le mutisme et en laissant toute sa mobilité au temps post mortem, le cinéaste compose des images sur lesquelles le temps présent mort est mis en parallèle d’un temps spectral vivant ! L’effet est saisissant, troublant et possiblement dérangeant.

Habile dans sa mise en scène, Sjöström se montre tout aussi à son avantage devant la caméra. Il incarne un personnage principal tout en masculinité machiste prompt à railler toutes les bondieuseries. Mais l’évolution psychologique de son personnage emmènera celui-ci à s’effondrer pour retrouver une part d’humanité des plus touchantes.

Au-delà de sa plasticité, La charrette fantôme jouit d’une belle réalisation et d’une narration maîtrisée menée en cinq temps. À l’époque, Sjöström commençait à bénéficier d’une reconnaissance  née de la réalisation de ses précédents films, tous tournés en environnement et lumière naturels. C’est pourtant ce premier film entièrement réalisé en studio qui permettra à son auteur, homme de théâtre, d’exporter son savoir-faire de sa Suède natale vers Hollywood. Et si le réalisateur-acteur suédois réalisa quelques autres films en Suède après La charrette fantôme, ce constat n’est dû qu’à une très longue post-production de plusieurs mois pour ce film.

Outre sa prestation en tant que comédien et réalisateur, Sjöström est aussi crédité au scénario de La charrette fantôme. Le récit est adapté du Charretier de la mort (1912) écrit par la romancière suédoise Selma Lagerlöf. L’histoire porte sur le retour de morts parmi les vivants à grand renfort de flashbacks et de hantises. Les jeux de lumière ne sont pas observés uniquement sur l’éclairage des scènes réalisé avec précision et beaucoup d’à-propos. En effet, les miroitements ne relèvent pas uniquement de la mise en scène. Ils sont ceux aussi des âmes… mortelles.

En 1939, près de deux décennies plus tard, ce même roman fit l’objet d’une nouvelle adaptation au cinéma. Le cinéaste français Julien Duvivier officiait alors derrière la caméra. Devant cette même caméra, il nous était donné de voir, entre autres, Louis Jouvet, Pierre Fresnay et Robert Le vigan. Le cinéma mondial était alors devenu parlant. Mais, malgré l’ajout de dialogues entre les personnages et de grincements émis par la charrette-titre, le ressenti est moindre par rapport à la trame dramaturgique et cinématographique déployée ici. La charrette fantôme de Sjöström, conte moral à la structure complexe et indiscutable chef d’œuvre du cinéma muet, réussit à véhiculer un dialogue avec l’au-delà. Fantastique !

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