Dovlatov – L’art empêché

Années 1970 débutantes, Sergueï Dovlatov alors simple journaliste aspirant romancier incarné ici par Milan Maric est le fil directeur d’un récit discursif et littéraire. Mais Dovlatov, film d’Alexey Guerman Jr., n’est pas un biopic centré sur son personnage-titre mais le portrait d’un groupe de jeunes artistes russes interdits d’exercer et d’exprimer librement leur art.

U.R.S.S., 1971. Six jours dans la vie de l’auteur Sergueï Dovlatov, alors journaliste pour des magazines au service de la propagande du régime – mais qui rêve avant tout d’écrire un grand livre. Six jours dans l’intimité d’un artiste brillant et caustique, qui se bat pour continuer à écrire avec intégrité malgré les persécutions d’une écrasante machine politique. Six jours qui façonnent le destin d’un des plus grands écrivains russes du XXème siècle, qui fut capable de penser au-delà des limites imposées par le régime soviétique.

Alexey Guerman Jr. procède à une longue déambulation dans de Leningrad du début des années 1970, aujourd’hui Saint-Pétersbourg, dans la foulée de son personnage-titre. En début de film, l’absence de contextualisation de cet écrivain dont la renommée à l’international sera posthume fait barrage à une immersion rapide du spectateur dans le film. L’immersion proposée est d’abord visuelle. Le réalisateur parvient à faire ressentir l’ambiance de cette époque dans cette grande métropole soviétique. La bande son très jazzy du film pourrait paraître étrangère au contexte historique et géographique du film. Elle s’avère finalement très appropriée au microcosme d’intellectuels mis en scène et accompagne les mouvements délicats de la caméra qui se fraye un chemin entre les protagonistes.

Récipiendaire de l’Ours d’Argent de la Meilleure contribution artistique attribué à Elena Okopnaya en début d’année lors de la Berlinale, Dovlatov aurait pu également être récompensé pour ses qualités de mise en scène et de réalisation. Guerman a réalisé un gros travail de composition tant dans ses scènes en intérieur que dans celles filmées en extérieur. Nombre des plans réalisés en extérieur font penser à ceux de Théo Angelopoulos. L’emploi de longues focales plonge dans le flou des arrière-plans toujours animés et des premiers-plans souvent en partie bouchés par le positionnement d’un protagoniste ou par la traversée du champ de la caméra par un autre. Sur ce dernier aspect, Guerman semble faire référence à son père et notamment son film Il est difficile d’être un dieu (2013, Fresque-expérience testamentaire virtuose). L’autre caractéristique que partage les deux films réside dans des dialogues filmés en longs plans-séquences qui font l’objet systématiquement d’interférences, voire d’interruptions, dont les prometteurs sont des personnages étrangers à l’échange verbal filmé.

Contrairement à ce que pourrait suggérer son titre, Dovlatov n’est pas un biopic sur l’écrivain russe de même nom. D’abord, le film ne couvre que six jours de l’année 1971 alors que l’aspirant écrivain n’est qu’un journaliste, membre parmi d’autres de la rédaction d’un magazine propagandiste. Ensuite, Guerman ne montre pas et fait finalement peu cas des écrits du personnage-titre. Par le portrait de cet écrivain, le réalisateur trace plutôt en filigrane celui d’un groupe d’artistes. Qu’ils soient peintres, musiciens, écrivains ou poètes (Joseph Brodsky sous les traits d’Artur Beschastny), tous sont confrontés au conformisme prôné par une U.R.S.S. en phase de « regel » sous Léonid Brejnev.

A travers des dialogues très écrits porteurs de nombreuses références littéraires, Guerman questionne ce qu’était la littérature russe, ce qu’elle est devenue en ce début des années 1970 et ce qu’elle pourrait devenir. Sous ces interrogations, c’est bel et bien la position d’une jeune génération d’artistes russes qui est interrogée avec brio.

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