Cold war – En panoramique étriqué

En 2015, Pawel Pawlikowski obtenait l’Oscar du meilleur film en langue étrangère avec Ida (2013). Dans sa nouvelle réalisation, Cold war, le cinéaste polonais reconduit le même formalisme cinématographique à savoir un noir et blanc enfermé dans un format 4/3. Face à la chronique mélancolique d’un exil entre la Pologne, l’Allemagne, la France et la Yougoslavie, ce style était-il le plus approprié ?

Pendant la guerre froide, entre la Pologne stalinienne et le Paris bohème des années 1950, un musicien épris de liberté et une jeune chanteuse passionnée vivent un amour impossible dans une époque impossible.

Exceptions faites de quelques scènes chantées et/ou dansées faites pour « plaire » lors d’un long circuit festivalier, le noir et blanc demeure plutôt sobre dans Cold war. Il sied aux années 50 filmées dans l’ancien bloc de l’Est. La meilleure utilisation de la bichromie est cependant faite en début de métrage quand Pawel Pawlikowski filme, côté rural, le folklore polonais. Il émane alors des images un sens certain que le film ne saura retrouver au-delà de cette belle introduction.

L’utilisation du format 4/3 se révèle beaucoup plus problématique. Que faut-il penser de la propension du metteur en scène à laisser souvent la moitié haute de l’écran inoccupée par les protagonistes ? Le constat est même quasi systématique si nous nous bornons au tiers le plus haut de l’écran ! Un format 4/3 avec seulement 2/3 de la hauteur « utile » cela équivaut à un format panoramique… réduit ! En d’autres termes, c’est une forme de négation d’un cinéma projeté sur grand écran.

Nous avions déjà constaté ce gimmick de mise en scène dans Ida. Mais sa systématisation dans Cold war rend vite le procédé assez détestable d’autant qu’aucun élément ne semble le justifier. L’affaire tourne même au burlesque involontaire quand on s’aperçoit que Joanna Kulig (qui incarnait déjà une chanteuse dans Ida) rend une bonne trentaine de centimètre à son partenaire Tomasz Kot ! Il n’y a pas de bonne mise en scène sans une direction d’acteurs à l’avenant. Et une bonne direction d’acteurs doit prêter une attention particulière à la morphologie des acteurs mis dans le champ de la caméra.

Alors que nombre de films dépassent allègrement les deux heures, Pawlikowski condense Cold war en moins de quatre-vingt-dix minutes. Faire le récit romanesque d’une histoire d’amour sur une quinzaine d’années et sur fond de guerre froide en moins d’une heure et demi relève d’un choix discutable et risqué. Le cinéaste polonais échoue à satisfaire son ambition narrative démesurée entre la campagne et la capitale polonaise, Berlin-Est, Paris et la Yougoslavie. Les nombreuses ellipses surlignées par des fondus au noir sont autant de trouées narratives abyssales. Pawlikowski ajoute ainsi au non-dit le non-vu. Épure répondront nombre de critiques.

Pire encore, de nombreuses séquences, limitées souvent à un unique plan, peinent à convaincre car elles sont mal amenées et non terminées ! Il est dès lors bien difficile pour le spectateur de ne pas se sentir étranger aux actions défilant sur l’écran. Film-confettis étriqué, Cold war aurait trouvé un meilleur élan et souffle narratifs sur une durée de deux heures minimum.

Au final, le grand malheur de Cold war est de voir son esthétique discutable l’emporter sans peine sur un propos superficiel et sans épaisseur parfaitement figuré par le sentimentalisme des paroles des chansons qui viennent émailler le film. L’absence de profondeur psychologique des personnages enfermés dans une vision romantique paraît dès lors relever de l’épiphénomène. Pawlikowski rattache à la sauvette la lointaine toile de fond invoquée par le titre du film lors d’un épilogue d’une extrême maladresse dans la manipulation très datée de clichés. Ultime moment de non cinéma sur un scénario qui en laissait espérer tant.

Peu importe, le cinéaste est le lauréat du Prix de la mise en scène remis en mai lors du festival de Cannes. Une récompense très peu discutée, dont acte. Elle vient récompenser un dispositif cinématographique inadapté à Cold war, film moins sobre et moins poignant que Ida.

9 réflexions sur “Cold war – En panoramique étriqué

    • Salut Princeranoir,
      Pour avoir vu en son temps Ida, je n’avais pas souvenir d’un recours systématique à ces cadres que je trouve par ailleurs peu convaincants. Et j’avoue avoir du mal à évoquer un travail de montage concernant Cold war. Cette façon d’écourter de nombreuses séquences m’a exaspéré. Bon, visiblement, Pawlikowski voulait faire tenir son film en moins de 90 minutes, une hérésie.

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    • Salut Strum,
      Je viens d’aller lire ta chronique. Nous sommes 100% d’accord ! Il est rigolo de constater que tu blâmes la verticalité des cadres alors que c’est le tiers haut de l’écran laissé en jachère qui m’a le plus embêté. Je classe ce film dans la catégorie films à festivals : forme « soignée » ou plutôt chichiteuse ici et fond quasi inexistant emmené par une « narration » à l’emporte pièce. Il m’est impossible de me satisfaire d’un tel cahier des charges.

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  1. Je suis totalement en phase avec cette critique. Les ellipses sont béantes et restreignent le romanesque à quelques décors changeants. On ne sent jamais le passage des années et comment elles affectent la psychologie des personnages. On se raccroche donc à la très belle bichromie et aux quelques jolies scènes musicales. Aucune émotion en ce qui me concerne.

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    • Merci François
      On est d’accord. Je suis aussi resté à l’extérieur de ce film. D’un autre côté, balayer 15 ans d’histoire en moins de 90 minutes relève d’une entreprise bien aventureuse. Cold war est un film à festival et rien d’autre à mon sens.

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    • Ida est un meilleur film que Cold war mais reste un film surestimé à mon goût. Il y a une narration et le format carré en noir et blanc est plus justifié dans Ida qu’il ne l’est dans Cold war. Côté cadres, Ida relève des mêmes gimmicks que ceux de Cold war mais leur côté non systématiques rend la chose acceptable.

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