Arras 2019


Découvertes européennes

Lola vers la mer (2019, Laurent Micheli)

Avec Mya Bollaers, Benoît Magimel, Samir Outalbali, Els Deceukelier

La mère de Lola, jeune fille transgenre de 18 ans qui s’apprête à se faire opérer, vient de mourir brutalement. Afin de respecter ses dernières volontés, Lola et son père, qui ne se voyaient plus, partent pour un drôle de voyage où ils apprendront à mieux se connaître. Loin des clichés, un Road movie chargé d’émotion sur la transidentité et la filiation.

Notre avis (3/5) : Mommy Anyways

Madre (2019, Rodrigo Sorogoyen)

Avec Marta Nieto, Jules Porier, Alex Brendemühl, Anne Consigny, Frédéric Pierrot

Une femme discute avec sa mère dans son appartement en Espagne quand son téléphone sonne. Au bout du fil, Iván, son fils de 6 ans, en vacances avec son père en France. Il est à la plage, seul, et quelque chose ne va pas… Un drame psychologique troublant et inattendu filmé avec la maestria d’un thriller.

Notre avis (3/5) : Errance et abandon

Aurora (2019, Miia Tervo)

Avec Mimosa Willamo, Amir Escandari, Oona Airola, Hannu-Pekka Björman

Un soir, Aurora, jeune femme désinvolte, rencontre Darian, un immigré iranien. Celui-ci lui demande de l’épouser afin d’obtenir l’asile en Finlande pour lui et sa fille. Aurora refuse, mais elle accepte de l’aider à trouver sa future femme. Une comédie romantique qui décoiffe à l’image de sa touchante héroïne.

Notre avis (2.5/5) : Miia Terco signe avec Aurora son premier long-métrage de fiction. Pour cette première, cette réalisatrice-scénariste finlandaise opte pour une comédie romantique. Mais borner Aurora à ce seul genre serait trop réducteur. La désinvolture d’Aurora interprétée par Mimosa Willamo apporte quelques touches excentriques. L’humour noir construit autour des préjugés raciaux envers les migrants sert d’ultime ingrédient à cette comédie agréable et de bonne facture.

De plus, derrière la comédie émerge des questions plus profondes. Ce film mêle ainsi la question épineuse de l’immigration à celle de l’alcoolisme. Et à la quête d’un pays d’accueil pour Darian, immigré iranien, et sa fille répond la recherche plus classique d’une place dans le monde des adultes pour le personnage-titre. Il fait sens ainsi de faire un parallèle entre d’une part Darian et sa fille, et d’autre part Aurora et son père.

Tu mourras à 20 ans (2019, Amjad Abu Alala)

Avec Mustafa Shehata, Islam Mubarak, Mahmoud Elsaraj, Bunna Khalid, Talal Afifi

Soudan, de nos jours. Peu après la naissance de Mozamil, le chef religieux du village prédit qu’il mourra à 20 ans. Le père étant parti travailler à l’étranger, Sakina élève seule son fils, le couvant de toutes ses attentions. Un jour, pourtant, Mozamil a 19 ans… Une œuvre forte sur le poids de la religion et des croyances sur la vie d’un individu.

Notre avis (3/5) : Si le réalisateur-scénariste Amjad Abu Alala vit aujourd’hui à Dubaï, il fait partie des rares cinéastes de nationalité soudanaise. Les films soudanais sont rares car ce pays dispose de peu de salles et d’une industrie du cinéma embryonnaire.

Tu mourras à 20 ans est le premier long métrage de ce réalisateur. Le film, Lion du futur lors de la dernière Mostra de Venise, s’inscrit dans l’histoire de son pays d’origine mais aussi dans la propre histoire de son auteur. Le titre et le début du film sont prophétiques. Abu Alala oriente les spectateurs vers un film programmatique qu’il ne sera finalement peut-être pas. Les vingt (premières ?) années de la vie de Muzamil (Moatasem Rashed puis Mustafa Shehata) sont livrées par ordre strictement chronologique. Le réalisateur-scénariste privilégie cependant l’adolescence et l’entrée à l’âge adulte de son protagoniste principal dans une quasi unicité de lieu. L’itinéraire suivi se fait initiatique par nécessité alors que les rites ancestraux et religieux forment autant de jalons bornant ce parcours.

Abu Alala porte une attention toute particulière aux couleurs et aux cadres composés avec minutie. Il joue aussi sur l’alternance des séquences entre culture locale ancestrale et projection inévitable vers la modernité. Tu mourras à 20 ans forme ainsi un hymne à la liberté strié de traditions et de malédiction.

When the trees fall (2018, Marysia Nikitiuk)

Avec Anastasiia Pustovit, Maksym Samchik, Sonia Khalaimova

Larysa rêve de fuir le village où elle vit avec sa grand-mère autoritaire et sa jeune cousine, Vitka. Elle projette de s’enfuir avec Scar, un petit voyou, mais rien n’arrive comme prévu et bientôt Larysa se trouve contrainte d’épouser un homme choisi par sa famille. Un conte sur trois générations de femmes, déchirées entre leurs rêves et la tradition.

Notre avis (2/5) : Marysia Nikitiuk a construit When the trees fall sur la base de nouvelles fantastiques que la réalisatrice-scénariste ukrainienne a écrites sur sa propre enfance. Ainsi le film se pare de textes au caractère enfantin assumé pour restituer une perception pure et magique de la réalité. Le voyage proposé s’entend tant sur le plan narratif que sur le plan visuel.

Il faut en effet reconnaître à Nikitiuk une habileté certaine à la mise en scène. Les cadres et les images produites sont composées avec brio. Mais cette mise en scène, parfois démonstrative, parfois posée, paraît complaisante en regard de la violence souvent gratuite filmée. Les protagonistes masculins, nuls ou criminels, sont les vecteurs de cette violence.

Derrière le visuel de ce premier long-métrage, la narration paraît délaissée. Le fil narratif proposé, étiré outre mesure, demeure faible et finalement peu consistant. L’idée du proteste et que tout est possible voulue par la réalisatrice émerge peu.

Vision de l’Est

La communion (2019, Jan Komasa)

Avec Bartosz Bielenia, Eliza Rycembel, Aleksandra Konieczna, Tomasz Ziętek

Daniel, 20 ans, s’est découvert une vocation spirituelle en prison. Mais en tant qu’ancien détenu, il ne peut s’engager dans cette voie. Un hasard va cependant lui donner l’occasion d’exercer comme prêtre dans une paroisse où un drame s’est produit quelque temps auparavant. Une œuvre puissante sur la foi, la religion et la rédemption.

Notre avis (3.5/5) : Ange ou démon ?

Parking (2019, Tudor Giurgiu)

Avec Mihai Smarandache, Belen Cuesta, Ariadna Gil, Luis Bermejo

Adrian rêve de consacrer sa vie à l’écriture. Mais en attendant, il a quitté la Roumanie pour l’Espagne où il travaille comme gardien de nuit d’un grand parking où sont entreposées des centaines de voiture. Sa vie change lorsqu’il rencontre la pétillante Maria, après un concert. Celle-ci décide de tout abandonner pour lui, même si elle ignore bien des choses sur son nouveau compagnon dont le passé ne va tarder à ressurgir au milieu de leur idylle.

Notre avis (3.5/5) : Tudor Giurgiu, ici scénariste-réalisateur, adapte et porte au cinéma un best-seller roumain publié en 2010. Sous couvert d’une histoire passionnelle, Parking pose un regard singulier sur l’immigration. Adrian, protagoniste principal interprété par Mihai Smarandache, est roumain et vit depuis six mois en Espagne, loin de sa famille. La singularité de Parking vient du point de vue adopté, à savoir celui d’Adrian. Le film réaliste et âpre n’a pas de velléité qui pourrait le rapprocher de documentaires abordant le même sujet. Ce qui est porté à l’écran n’est ni plus ni moins que la vérité crue sur la situation commune à de nombreux immigrés : isolement, solitude, exploitation économique.

L’à-propos de Parking réside dans cette intéressante option narrative. Le film est aussi servi par un bon casting dont la générosité dans le jeu permet au film de ne pas sombrer dans la sinistrose. Giurgiu, aussi président de la télévision nationale roumaine, parvient à générer une belle osmose entre ses acteurs qui se reflète très bien à l’écran. Il fait preuve d’une évidente maîtrise des ruptures de ton et changements d’ambiance. Ainsi, bien que portant sur un sujet possiblement pesant, Parking convainc de bout en bout tant sur le plan du récit que sur celui de la réalisation.

Parking à la distribution restée confidentielle mériterait une plus large diffusion d’autant qu’il porte sur un sujet d’actualité dont le traitement proposé ici est digne d’un grand intérêt.

Irina (2019, Nadejda Koseva)

Avec Martina Apostolova, Hristo Ushev, Irini Jambonas, Kasiel Noah Asher

Irina travaille comme plongeuse dans un restaurant. Le jour de son licenciement, son mari est victime d’un grave accident. Pour nourrir sa famille, Irina décide de devenir mère porteuse. Mais cela se révèle moins simple qu’elle ne l’avait imaginé. Un premier film maîtrisé qui traduit parfaitement les conflits intérieurs de sa magnifique héroïne.

Notre avis (2.5/5) : Irina est le premier long-métrage réalisé par Nadejda Koseva. La réalisatrice-scénariste bulgare le dédie à toutes les mères et le considère « féminin » mais pas « féministe ». Elle n’épargne pourtant guère son personnage-titre interprété par Martina Apostolova. Irina subit un déluge d’événements contraires qui, même ceux ne la concernant pas directement, auront de significatifs impacts sur son quotidien et sa situation déjà précaires.

Cet enchaînement de coups du sort fait un instant craindre un film larmoyant et sans issue. Koseva parvient à éviter ce piège vers lequel Irina semblait pourtant s’orienter à toute allure. La réalisatrice inscrit en effet quelques lueurs d’espoir salvatrices dans un film au réalisme et à l’âpreté non feints.

A shelter among the clouds (2019, Robert Budina)

Avec Arben Bajraktaraj, Esela Pysqyli, Irena Cahani, Bruno Shllaku

La quiétude d’un village de montagne où vivent musulmans et chrétiens est soudain brisée par une découverte qui révèle que la mosquée était jadis une église. Un berger, Besnik propose que l’endroit serve de lieu de culte pour les deux religions, mais tous ne sont pas de cet avis. Un hymne à la tolérance religieuse dans un monde qui l’a oubliée.

Notre avis (2.5/5) : Ni juge, ni partie

Cinémas du monde

Passed by censor (2019, Serhat Karaaslan)

Avec Berkay Ates, Saadet Aksoy, Ipek Türktan, Müfit Kayacan

À la prison d’Istanbul, Zakir, 30 ans, contrôle les lettres que reçoivent les prisonniers. Il s’ennuie ferme jusqu’au jour où sa curiosité le pousse à épier l’épouse d’un détenu, la mystérieuse Selma, convaincu que celle-ci est malheureuse et maltraitée par son beau-père. Les mésaventures d’un doux-rêveur pris au piège de son propre imaginaire.

Notre avis (3.5/5) : Censure et conjoncture

Maternal (2019, Maura Delpero)

Avec Lydiya Liberman, Denise Carrizo, Augustina Malale, Renata Palminiello

Lu et Fati, deux jeunes mères adolescentes, vivent dans un foyer au sein d’un couvent de Buenos Aires. Sœur Paola y arrive d’Italie pour prononcer ses vœux perpétuels. Au contact de la maternité des jeunes filles, elle va se confronter à une situation délicate. Un regard bienveillant et nuancé sur l’amour maternel dans un pays où l’avortement demeure illégal.

Notre avis (3/5) : Foi en l’instinct maternel

Le lac aux oies sauvages (2019, Diao Yinan)

Avec Hu Ge, Gwei Lun Mei, Liao Fan, Wan Qian, Qi Dao

Un chef de gang recherché par la police, et traqué par une bande rivale, et une prostituée prête à tout pour changer de vie se retrouvent au cœur d’une incroyable chasse à l’homme. Ensemble, ils décident de jouer une dernière fois avec leur destin. Un film noir virtuose d’une beauté sidérante sur fond d’amour perdu.

Notre avis (3/5) : Entrelacs lumineux et… nébuleux

Noura rêve (2019, Hinde Boujemaa)

Avec Hend Sabri, Lotfi Abdelli, Hakim Boumsaoudi

Noura a rencontré l’amour de sa vie, Lassad, alors que Sofiane, son mari, est une nouvelle fois en prison. Indépendante, elle travaille dans un hôpital et élève seule ses trois enfants. Les deux amants cachent leur liaison, menacés de 5 ans d’emprisonnement par la loi tunisienne si l’adultère est découvert. Noura a entamé une procédure de divorce, mais Sofiane est soudainement libéré quelques jours avant le jugement…

Notre avis (2.5/5) : Amours mensongères

Rétrospective : L’Italie de Mussolini

Les années difficiles (1948, Luigi Zampa)

Avec Umberto Spadaro, Massimo Girotti, Ave Ninchi, Delia Scala, Milly Vitale

Sicile, années 1930. Aldo Piscitello, modeste employé municipal, est sommé par le maire de s’inscrire au Parti fasciste sous peine de perdre son emploi. Indécis, il est encouragé par sa femme et sa fille, favorables à Mussolini. Il adhère donc et endosse la chemise noire tandis que les événements s’accélèrent et conduisent, peu à peu, le régime à sa chute.

Notre avis (4.5/5) : Euphémisme, eux font mine

Le jardin des Finzi Contini (1970, Vittorio De Sica)

Avec Dominique Sanda, Fabio Testi, Helmut Berger, Lino Capolicchio

En 1938, le régime fasciste met en place les premières lois raciales. À Ferrare, la jeunesse dorée vit dans l’insouciance et se retrouve pour jouer au tennis chez les Finzi-Contini, une riche famille juive. Entre idylles naissantes, déceptions amoureuses et désirs inavoués, les journées s’écoulent, cependant qu’hors des murs, le pire se prépare.

Notre avis (3.5/5) : Mourir une première fois

La carrière d’une femme de chambre (1976, Dino Risi)

Avec Agostina Belli, Vittorio Gassman, Ugo Tognazzi

En 1935, la jolie Marcella, femme de chambre dans un hôtel à Venise, est fascinée par le monde du cinéma. Elle se rend à Rome pour épouser son fiancé Roberto mais lui préfère un partisan de Mussolini. Sa rencontre avec le Duce fera d’elle une actrice très en vogue. La chute du régime signera la fin de son rêve. Mais Marcella a des ressources.

Notre avis (3/5) : Dans La carrière d’une femme de chambre, la femme de chambre est interprétée par Agostina Belli qui signe dans ce film de Dino Risi l’un de ses plus grands rôles. Tout le récit porte sur son personnage dont la « carrière » va l’emmener à faire de nombreuses rencontres souvent intéressées. Elle croise ainsi le chemin d’hommes plus ou moins célèbres et parmi eux ceux incarnés par Vittorio Gassman et Ugo Tognazzi.

La carrière d’une femme de chambre s’apparente à un film à sketchs sur le rythme d’une rencontre par sketch. Ce découpage qui ne faisait probablement pas partie des plans initiaux de Risi est contrebalancé par le période couverte : celle d’une Italie avant et pendant la Seconde Guerre mondiale. Le pouvoir politique italien est alors détenu par Mussolini. Avec un humour parfois potache, Risi prend plaisir à critiquer le régime mussolinien et, dès que l’occasion se présente, le tourner en ridicule.